Mutations et constantes sociétales en Algérie et trajectoire du syndicat

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Mutations et constantes sociétales en Algérie et trajectoire du syndicat
CNES (1991-2011) : d’une stratégie de « confrontation » à la
recherche d’un partenariat avec l’Etat-employeur ?
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NB : version provisoire
Introduction
Cette contribution a pour objet de présenter à grands traits la trajectoire du syndicat
« Conseil National de Enseignants du Supérieur » (CNES) depuis sa constitution (1991-
1992), en essayant de mettre en relief ses relations avec les mutations et constantes sociétales
de la formation économique et sociale Algérienne (en prenant en compte la dimension
historique), à travers une démarche qui met en rapport d’une part la vie interne du syndicat
(organisation, stratégies, programmes et formes d’action, contradictions internes…) et d’autre
part une détermination sociétale complexe et évolutive touchant aux aspects politico
institutionnel, économique et « culturel » .
Cette démarche permet de dépasser les réductionnismes « généraliste »,
« économiciste » et « politiste », qui caractérisent souvent les discours sur le syndicalisme, en
particulier dans les pays du tiers monde.
Etant nous-mêmes personnellement impliqué dans la vie organique du CNES (depuis
1996), nous ne prétendons pas, malgré toutes nos précautions, avoir toute l’objectivité d’un
observateur extérieur au syndicat CNES.
Cette réflexion sera menée en deux étapes :
- dans un premier paragraphe, nous présenterons quelques points de repère concrets sur
les mutations de la cohérence sociétale algérienne ;
- dans un deuxième paragraphe nous essayerons de mettre en relation des grandes
mutations d’ensemble du pays et des séquences caractéristiques de la trajectoire du CNES.
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Communication présentée par M. Ben Yaou, enseignant chercheur à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-
Ouzou, Faculté des sciences économiques, commerciales et de gestion
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I- Quelques points de repère concrets sur les mutations de la cohérence
sociétale algérienne
Compte tenu des mutations non négligeables qu’a connues la formation économique et
sociale algérienne depuis l’indépendance, il est possible de distinguer trois grandes périodes
qui correspondent à deux cohérences sociétales relativement différentes, séparées par une
période de transition :
- la cohérence sociétale de la période de l’économie administrée (1962 à 1988) ;
- la période de transition vers l’économie de marché (1989 à 1999) ;
- la cohérence sociétale de la riode des politiques de relance économique (depuis
2000).
1- La cohérence sociétale de la période de l’économie administrée (1962 à 1988)
Dans la cinquantaine d’années de l’histoire de l’Algérie indépendante, la phase d’économie
administrée (1962-1988) se présente comme période fondatrice des institutions et conventions
de base qui vont présider à la configuration et au fonctionnement à long terme des institutions
politiques, économiques, sociales et éducatives du pays..
Les caractéristiques d’ensemble de la cohérence sociétale construite durant la phase
d’économie administrée constituent une véritable trame de déterminations macro sociales qui
vont orienter les cadres interprétatifs et fixer les marges de manœuvre des acteurs. Cette trame
nous semble reposer sur les paramètres suivants :
prééminence et domination étatique autoritaire,
reproduction d’ensemble (simple et élargie) économique et extra économique à
base rentière,
Etat « développementisme » (Etat entrepreneur, mettant en œuvre une stratégie
de développement industrialiste autocentrée),
populisme et nationalisme et égalitarisme avec une vocation socioculturelle
prédominante (identité et ascension sociale) du système éducatif,
développement de la pendance internationale au niveau technologique, au
niveau alimentaire et financier (le niveau de la dépendance financière étant déterminé par le
prix de la mono exportation et l’abondance de la rente masquant la non compétitivité et la
dépendance structurelle internationales du « système » productif),
relégation du marché et des relations professionnelles (administration de
l’allocation des ressources et des prix, organisations professionnelles comme organisations de
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masse du parti unique, la situation de multipartisme actuelle n’ayant pas bouleversé les
relations structurelles antérieures).
La dimension historique de la domination étatique autoritaire
L’historien algérien M. Harbi, dans un article de synthèse cemment publié
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, situe les
sources de l’autoritarisme algérien dans un processus de sédimentation dont les origines
remontent à l’époque de la domination turque. « L’Algérie moderne est le produit d’une
accumulation d’influences. (…) dans des contextes sociopolitiques différents, les pouvoirs qui
s’y sont succédé se sont affirmés sur la base du principe autoritaire. »
3
« Du XVIe au XIXe
siècle, la formation étatique établie par les Ottomans peut se définir comme une domination
patrimoniale de type militaire (…) la sphère politique se présente à la manière des poupées
russes comme une imbrication de groupements d’intérêts clientélistes. »
4
La religion envahit
toutes les activités. « Les vertus prônées par la tradition islamique : respect, obéissance aux
gouvernants, aux supérieurs en rang, aux parents conviennent à tous les pouvoirs, qu’ils soient
de caractère spirituel ou temporel. »
5
« L’autoritarisme n’est pas simplement une
caractéristique du pouvoir. Il est aussi celle de la société. » « L’ambiance de routine et
d’immobilisme qui fait de l’innovation une initiative blâmable (bidâ’)
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est peu propice au
progrès. L’autocratie ne dissout pas la société dans l’État et ne l’incorpore pas. »
7
Dans ces
conditions, selon M. Harbi, c’est la colonisation qui a imposé le changement.
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La colonisation
va détruire l’ancienne organisation étatique et asseoir « (…) un nouveau système appupar
un peuplement (…) qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs et impose par la violence
une autre culture. » « Le capitalisme colonial intègre les Algériens au monde et les met en
présence d’un nouveau système de références »
9
. « La fascination des élites nouvelles pour
le modèle français n’étouffe pas l’intérêt des Algériens pour leur passé : bien au contraire, la
langue [arabe] et la religion [musulmane] tiennent une place centrale dans le débat identitaire,
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M. Harbi « Culture et démocratie en Algérie : retour sur une histoire », les Éditions de l’Atelier | Le
Mouvement Social, 2007/2-3 - n° 219-220, pages 25 à 34.
3
M. Harbi, op. Cite, p 25.
4
Idem, pp 25/26.
5
Idem.
6
Croyance ou coutume qui n’est pas fondée sur un précédent datant de l’époque du prophète.
7
Idem, p 27
8
Nous pensons que cette assertion n’est vraie qu’en partie, car, après l’affaiblissement de la domination
patrimoniale étatique de type militaire établie par les Ottomans, qui a perdu la flotte navale (base des activités
essentielles que sont la course et le trafic marchand) dont elle disposait en Algérie (dans la bataille de Navarin
en 1827), et sans la colonisation française ou celle d’une autre puissance européenne (Espagne, Angleterre) aux
appétences colonialistes similaires , il n’est pas exclu qu’un un processus de dislocation n’ai pu pu s’effectuer et
se cristalliser par la formation de royautés, à l’image de ce qui préexistait à l’intervention du califat ottoman
d’Istanbul, appelé (en 1518) pour protéger le pays contre une occupation espagnole imminente, à un moment
les velléités d’expansion de l’Europe mercantiliste (sous couvert d’affrontement entre la chrétienté et
l’Islam) étaient en plein essor.
9
Idem ;
4
(…) ».
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Sur cette base et face à l’idéologie coloniale, les clercs musulmans revendiquent et
parviennent à gitimer l’histoire délaissée par les modernistes. « Ce n’est pas sans raison que
les Algériens l’adoptent, mais c’est une mémoire manipulée qui procède par effacement et qui
idéalise l’Algérie précoloniale, donne à son État des traits modernes, tronque les fondements
de l’identité algérienne en occultant la diversité culturelle et en taisant la part de la religion
dans les racines de l’autoritarisme. »
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« L’absence de consensus entre la France et le
mouvement national algérien, toutes tendances confondues, sur le statut de l’Algérie,
l’impossibilité de faire avancer les demandes politiques par la voie électorale, enfin les
divergences entre forces politiques et sociales, favorables à la naissance d’un État algérien,
sur les voies et moyens d’y parvenir, déterminent ses caractères généraux : exclusivisme
(dévalorisation du pluralisme politique et revendication de monopole), militarisation et
mobilisation autoritaire, incorporation de la société dans l’État algérien en voie de formation
[et] dont le Front de libération nationale (FLN) s’arroge tous les attributs ».
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Les fondateurs du FLN vont soumettre à leur propre direction la classe politique qui
existait avant 1954 et se sont attelés à construire un contre-État, tout en menant la révolution,
ce contre-État étant lui-même le produit de la guerre de libération nationale. La dimension
fondamentale de la révolution algérienne est de ce fait celle d’un dirigisme volontariste qui
s’explique par la ruralisation du mouvement politique et sa militarisation.
Les conditions de la guerre vont avoir pour conséquence de donner plus de poids aux
rapports de parenté, de clan et de clientèle dans la structuration de l’appareil du FLN,
l’empêchant de se construire en acteur autonome et d’inscrire sur le terrain son idéal jacobin.
L’incorporation de la société rurale au projet de création d’une nation, par le biais
d’une armée, épine dorsale du processus de libération, va amener le FLN à composer avec la
réalité et à arbitrer entre une première logique, exprimant une culture étatique soutenue par
des cadres politiques et militaires acquis au modèle d’organisation occidentale, et une
deuxième logique de type patrimonial, dérivée d’une tradition ancrée dans la culture. « (…)
les conflits qui ont opposé les dirigeants du FLN entre 1962 et 1965 portent moins sur la
question de la démocratie et de l’autoritarisme que sur les formes institutionnelles (), la
distribution du pouvoir et le style de direction (…) et l’orientation pro-occidentale et
capitaliste ou socialisante et neutraliste. (…) La prééminence de l’armée s’explique par la
militarisation du contexte politique qui a fait de la formation de l’État une entreprise
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Idem, p 28
11
Idem, p 29.
12
Idem, p 32.
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guerrière. (…) le rétrécissement de l’arène politique conforte le pouvoir de l’armée, seule
organisation nationale en l’absence d’un parti.»
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D’où le coup d’Etat du 19 juin 1965 par le colonel Boumediene qui ambitionne de
parachever l’indépendance politique et édifier la base économique et sociale du pays. « Son
projet est d’inscrire la modernisation dans la continuité d’une histoire interrompue par
l’irruption coloniale. Sa vision s’appuie sur une conception réductrice du politique. Pour lui,
la révolution a pour sujet l’État et non le peuple, un État inséparable du secteur militaire. Le
lien entre le politique et le social est donc évacué. Dès lors, la « démocratie participative » à
laquelle il croit œuvrer se confond avec la clientélisation de la société et son enrôlement, y
compris par la corruption. L’État devient le lieu par excellence d’engendrement d’une
nouvelle stratification sociale. »
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Faiblesse des classes sociales modernes, populisme, arabo-islamisme et hostiliau
marché
La formation de l’Etat durant la guerre de libération, le poids des références culturelles
traditionnelles et l’extrême faiblesse des classes modernes, dotées de l’homogénéité et la
capacité politique indispensables pour devenir les principaux acteurs d’un projet national,
expliquent la prééminence du populisme en Algérie sur le libéralisme et sur le
communisme. Pour préciser cette notion de populisme et mieux cerner ses rapports concrets
au champ politico-institutionnel, nous allons recourir à un article récent de L. Addi,
professeur algérien de sociologie politique.
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« L’histoire de l’Algérie ne fait pas de l’Etat un organe émanant de la collectivité, et
que ce soit sous les Turcs ou sous les Français, il a été un appareil oppresseur, extérieur aux
groupes sociaux [algériens] qui le percevaient comme une menace. Voulant rompre avec cette
menace, le mouvement national a cherché à construire un Etat qui soit issu du peuple et qui
soit surtout à son service. »
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« La génération de l’ALN a cherché à créer un Etat idéal,
généreux, nourricier, protecteur, animé par des fonctionnaires compétents, intègres et
engagés, selon la formule de Houari Boumediene. Le projet populiste de ce dernier exigeait
du fonctionnaire qu’il se mette au service des administrés dont les besoins seront satisfaits par
l’Etat. Ce fonctionnaire ne rendra pas compte aux administrés, mais à ses supérieurs qui,
forcément, l’évalueront sur sa capacité à leur obéir et non pas sur ses compétences. (…) Les
13
Idem, p 33.
14
Idem, p 34.
15
Lahouari Addi, « Problématique de la société civile en Algérie. Quelques éléments théoriques et
historiques », 17 pages. Communication à l'occasion de l’Université d'été du CNES (Conseil National de
Enseignants du Supérieur), Zéralda du 1 au 3 septembre 2007.
16
Op cité, p 5
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