N’est-ce pas aussi le reflet du tropisme des services de développement économique local pour les questions de
croissance et de compétitivité ?
Effectivement, dans la plupart des services de développement économique des collectivités, même dans les
communautés de communes, quand on vous parle de développement économique, on va vous parler en priorité des
zones d’activités, des actions ciblées pour attirer de nouvelles entreprises, de préférence des multinationales… Les
discours et les schémas de pensée sont quasiment les mêmes dans les grands villes et dans les endroits reculés. Nos
travaux sur l’économie résidentielle leur restent encore étrangers. Pour ceux qui ont eu écho de nos analyses, il y a eu
une époque de malentendus. On nous a taxés d’être des promoteurs de l’économie résidentielle contre l’économie
productive. Pourtant, aucune de nos publications ne verse dans le discours normatif. Nous n’avons jamais dit que le tout
résidentiel était la seule voie souhaitable. Au contraire, dès le départ, les travaux de Laurent Davezies ont souligné le fait
que sans production de richesses, aucune redistribution n’est possible. En fait, la difficulté est d’arriver à faire
comprendre qu’il y a deux leviers complémentaires de développement économique territorial : le productif et le
résidentiel. De la même manière que l’on peut accompagner le développement des activités exportatrices pour enrichir le
territoire, on peut également jouer sur les flux de revenus résidentiels – pensions de retraire, revenus dortoirs, dépenses
touristiques – pour capter du revenu.
Peut-on revenir justement sur le fondement théorique de vos travaux, la théorie de la base, pour comprendre
comment coexistent ces logiques productive et résidentielle ?
Les travaux sur l’économie résidentielle initiés par Laurent Davezies revisitent en effet la théorie de la base développée
au début du 20ème siècle par le sociologue allemand Werner Sombart. Selon cette théorie, le développement des
territoires dépend de deux mécanismes : de leur capacité à capter du revenu à l’extérieur et de leur capacité à
redistribuer ces revenus dans leur économie locale sous la forme de dépenses de consommation. Cette approche
distingue ainsi deux grands secteurs d’activités au sein d’un territoire. On a d’un côté les activités à vocation exportatrice,
c’est le secteur « basique ». D’un autre côté, nous avons le secteur « domestique » qui est tourné vers la demande
locale de biens et de services. Dans ce cadre, le secteur basique est considéré comme le moteur de l’économie local en
ce qu’il permet de capter des revenus qui viennent stimuler l’essor du secteur domestique.
Ce qu’apporte de nouveau la notion d’économie résidentielle à ce schéma, c’est de montrer qu’il existe des bases non
productives, c’est-à-dire des mécanismes de captation de revenus qui ne reposent pas sur la création préalable de
richesses. Quatre bases différentes sont distinguées. Tout d’abord la base productive, dont on a vu qu’elle est au cœur
de la théorie de la base. La base publique, ensuite, traduit le fait que certains emplois publics locaux ne sont pas
financés localement mais par le biais de dotations en provenance d’une administration extérieure au territoire. La base
sociale, quant à elle, renvoie aux divers transferts publics de revenu prévus par la protection sociale dont bénéficient les
habitants. Enfin, la base résidentielle comprend les revenus dont bénéficient les actifs qui résident sur le territoire mais
travaillent ailleurs, les pensions de retraites versées aux retraités résidants sur le territoire, les dépenses des touristes
présents sur le territoire. La notion d’économie résidentielle a permis justement de souligner le poids de cette dernière
base qui représente en moyenne la majeure partie des revenus captés par un territoire, que l’on raisonne à l’échelle des
communes, des agglomérations, des zones d’emplois ou encore des régions. Plus précisément, la notion d’économie
résidentielle est venue faire le lien entre ces flux de revenus et les choix résidentiels et récréatifs des individus. En ce
sens, développer l’économie résidentielle consiste à développer les atouts résidentiels au sens large des territoires,
c’est-à-dire tout ce qui participe à attirer des touristes et des ménages retraités et actifs.
Pourquoi avoir inclus les pensions de retraite à la base résidentielle ? Il peut paraitre plus naturel de les intégrer
à la base sociale ?
Les stratégies résidentielles des retraités ne sont pas conditionnées par des préoccupations liées au marché de travail
(base productive) et leur mobilité est souvent source de régénération économique pour de nombreux territoires. Les
atouts territoriaux requis pour favoriser l’attractivité auprès de cette population sont de nature résidentielle, récréative et
donc en lien direct avec l’économie résidentielle. La base sociale caractérise plutôt des revenus de prestations sociales
et une population précaire.
Est-il juste de considérer que toutes les activités d’un territoire puissent être réparties entre sphère productive
et sphère domestique ? La réalité économique est-elle aussi tranchée ?
Vous avez raison, la réalité est loin d’être binaire. Lorsque l’on prend la Nomenclature d’Activités Françaises (NAF) grâce
à laquelle l’Insee découpe l’ensemble des activités du pays en 732 classes différentes, on peut assez facilement répartir
une grande partie des activités entre la sphère productive et la sphère domestique. Certaines activités apparaissent
clairement productives au sens où elles se produisent et exportent la majeure partie de leur production à l’extérieur du
territoire. Ce sont l’agriculture, l’industrie, la R&D, etc. D’autres activités peuvent être considérées comme ayant pour
principale vocation de satisfaire les besoins de la population présente sur le territoire. On pense ici au commerce, à la