1 – L’essor des troupes coloniales
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élevés surtout à cause des maladies. La perte éventuelle des soldats qui composent ces troupes
spéciales (engagés volontaires
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, délinquants, mercenaires étrangers, et supplétifs recrutés de
force) était en effet beaucoup moins impopulaire, voire indifférente, à la population métropolitaine,
et donc sans risque du point de vue électoral. Mieux, c’était un moyen de se débarrasser d’un
certain nombre d’indésirables sociaux, de « la partie la plus agitée, la plus instable »
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de la société.
De plus, comme les missions des troupes coloniales ont été étendues pour participer à des
guerres européennes ou assurer la défense du territoire national, cela a aussi permis de réduire
progressivement la durée de la conscription dans l’armée métropolitaine, sans pour autant
renoncer à une politique belliqueuse avant 1914.
A leurs débuts, les troupes coloniales sont méprisées par les officiers métropolitains, mais
leur prestige ne cesse de croître, parallèlement à l'importance prise en France par l'idéologie
coloniale. Au départ, les Troupes de marine attirent surtout les officiers en mal d’exotisme et
d’aventure, face au conformisme et à la monotonie des casernes. Mais leur commandement
devient de plus en plus recherché : en temps de paix, c’est l’occasion d’« exploits » qui permettent
de se distinguer plus rapidement qu’en métropole. L’image du « fondateur d’empire » constitue,
pour les officiers avides de gloire, le tremplin d’une carrière militaire et parfois politique. Les
campagnes coloniales ont également la réputation d'aguerrir les chefs et surtout, après 1880 elles
offrent l'avantage d'une solde majorée et d'un déroulement de carrière accéléré (mesures toujours
en vigueur).
Après la défaite de 1870, la mouvance nationaliste-réactionnaire, bien représentée au sein
de l’armée métropolitaine, considère que la politique de conquête et les troupes coloniales font
diversion face à la priorité que constituent la « Revanche » et la reconquête de l’Alsace-Lorraine.
Mais ces reproches s’estompent entre 1880 et 1914 : les conquêtes coloniales contribuent au
contraire à effacer l’humiliation de 1870 aux yeux de l’opinion publique. Elles ne sont bientôt plus
perçues comme s'opposant à la préparation de la guerre contre l’Allemagne, mais au contraire
comme un moyen de développer la puissance de la France. L’intégration progressive des troupes
coloniales à la défense nationale les fait apparaître comme un renfort d'abord utile, puis
indispensable. Et ce d’autant plus que leurs qualités guerrières, comparables à celle d'armées
professionnelles, sont jugées supérieures à celles de l'armée métropolitaine composée de
conscrits. Le poids des officiers coloniaux s’est également accru du fait des liens de ces derniers
avec les élites politiques et économiques. Mis à contribution pour diriger la répression de la
Révolution de 1848, ils ont été favorisés sous Napoléon III. Par la suite, la III
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République ayant
non seulement poursuivi mais amplifié la politique d’expansion coloniale, elle a rallié au nouveau
régime des hommes qui auraient pu rester royalistes ou monarchistes. De plus, des officiers
importants comme Gallieni ou Lyautey ne se sont pas compromis avec les anti-dreyfusards, ce qui
leur vaudra de bénéficier d'une grande liberté d'action. Enfin, les officiers coloniaux ont également
bénéficié de tout le soutien du puissant parti colonial. Quand la guerre de 1914 éclate, les officiers
formés aux colonies (Gallieni, Franchet d'Esperey, Joffre, Lyautey) arrivent aux plus hauts grades
et leur influence rivalise avec celle des officiers métropolitains au sein de l'institution militaire.
Cette importance croissante au sein de l’armée n’est pas sans conséquence sur la vie
politique tout entière. De 1880 à 1900, « en même temps qu'une fraction de l'armée se
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L’armée d’Afrique et la Coloniale ont ensuite été plus ou moins ouvertes à la conscription, en fonction de
leurs missions, des évolutions démographiques, des débats politiques.
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Paul Leroy Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, 1891, cité par Cl. Liauzu, Dictionnaire
de la colonisation française, Larousse, 2007, p. 221.