M I S E A U P O I N T Atteintes du système nerveux central secondaires à l’alcoolisme Central nervous system complications of alcohol ● J. de Seze* P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ Les complications neurologiques centrales aiguës de l’alcoolisme regroupent l’encéphalopathie de GayetWernicke, la myélinolyse centropontine et la maladie de Marchiafava-Bignami. ■ L’IRM montre fréquemment des anomalies assez spécifiques de ces différents tableaux qui pourraient également avoir une incidence pronostique. ■ Le traitement par vitaminothérapie doit être débuté précocement, avant toute réhydratation par des composés glucosés, afin de limiter le risque d’évolution vers un syndrome de Korsakoff. Mots-clés : Alcool – Encéphalopathie – Complication – Gayet-Wernicke – Marchiafava-Bignami – Myélinolyse. SUMMARY SUMMARY Central nervous system complications of alcohol are frequent with severe sequelae and social dependence. They include acute or subacute (Gayet-Wernicke encephalopathy, central pontine myelinolysis, Marchiafava-Bignami syndrome) and chronic features (Korsakoff syndrome and dementia). Early and prevent management of these patients are necessary in order to avoid irreversible evolution. Keywords: Alcohol – Encephalopathy – Complication – Gayet-Wernicke – Marchiafava-Bignami – Myelinolysis. * Service de neurologie, CHRU de Strasbourg. La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 9 - novembre 2005 es atteintes du système nerveux central liées à l’alcoolisme chronique sont fréquentes, sources d’invalidité et de décès. Elles regroupent des tableaux aigus ou subaigus (syndrome de Gayet-Wernicke, myélinolyse centropontine, maladie de Marchiafava-Bignami) et des tableaux chroniques (syndrome de Korsakoff et démence alcoolique). La prise en charge préventive et précoce de ces tableaux est primordiale au vu de l’absence de traitement curatif en cas d’atteinte évoluée. L INTRODUCTION Les atteintes du système nerveux central (SNC) secondaires à l’alcoolisme sont fréquentes, de manifestations cliniques et de topographies variées, parfois difficiles à mettre en évidence à la phase aiguë lorsque le syndrome confusionnel est l’élément prédominant. Elles regroupent, par ordre de fréquence, les crises comitiales sur sevrage alcoolique ou plus rarement par intoxication aiguë, l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke (EGW), la myélinolyse centropontine et le syndrome de Marchiafava-Bignami. À la phase chronique, ces pathologies aiguës peuvent aboutir à des tableaux cognitifs irréversibles incluant la démence alcoolique et le syndrome de Korsakoff. Récemment, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a permis d’améliorer le diagnostic de ces affections, notamment à la phase aiguë ou subaiguë (1). Dans cette présentation, nous étudierons successivement les différents tableaux cliniques et radiologiques correspondant à ces entités. Nous n’aborderons pas dans cette revue les cas particuliers des atteintes médullaires par carences vitaminiques (sclérose combinée de moelle par carence en vitamine B12 et en folates) et des neuropathies optiques carentielles, conséquences d’un alcoolisme chronique et d’un tabagisme sévère et ancien. ENCÉPHALOPATHIE DE GAYET-WERNICKE (EGW) Il s’agit d’une encéphalopathie survenant chez l’alcoolique chronique dénutri, secondaire à un déficit en thiamine (vitamine B1) le plus souvent lié à un déficit d’apport alimentaire. L’alcoolisme n’est pas la seule cause d’EGW, puisque celle-ci peut survenir chez des patients présentant un syndrome de malabsorption ou au cours de vomissements itératifs, voire durant la grossesse (2). …/… 323 M I S E A …/… Cependant, dans la majorité des cas, il existe un contexte d’alcoolisme chronique, l’EGW étant la conséquence d’un déficit en vitamine B1 secondaire à une interaction de l’éthanol sur le stockage et l’utilisation de la thiamine (3). Manifestations cliniques L’installation est généralement progressive, précédée de troubles digestifs, d’une asthénie, d’une perte de poids et d’une somnolence. Parfois, en cas de carence en vitamines B12 ou en acide folique surajoutée, le début peut être aigu. Les signes cliniques forment une triade détaillée par Harper et al. [1986] (4), associant des troubles psychiques (confusion, agitation), des troubles oculomoteurs (diplopie, nystagmus) et un syndrome cérébelleux. Cependant, la triade n’est pas toujours complète. Ces auteurs proposent que deux des trois éléments précités soient présents (en dehors d’autres étiologies neurologiques pouvant expliquer les symptômes) pour poser le diagnostic d’EGW. ✓ Troubles psychiques Ils sont présents dans 90 % des cas et représentent donc le signe cardinal de l’EGW. Ils comportent essentiellement un syndrome confusionnel, rendant l’analyse neuropsychologique fine difficile à la phase aiguë, fréquemment associé à des hallucinations et à des zoopsies. U P O I N T En ce qui concerne les examens radiologiques, l’IRM cérébrale a clairement montré sa supériorité sur le scanner et doit désormais être considérée comme l’examen de référence (1). Cependant, la réalisation de l’IRM peut s’avérer difficile en raison de l’agitation et de la confusion des patients à la phase aiguë. L’IRM cérébrale montre un hypersignal diencéphalique en séquence FLAIR ou en pondération T2, pouvant s’étendre au thalamus (figures 1 et 2). Une prise de gadolinium peut être observée de façon transitoire. Dans un second temps, une atrophie apparait, notamment cérébelleuse et du corps calleux (figure 3). Il semble que les images en hypersignal T2 persistent fréquemment pendant plusieurs semaines après la phase aiguë (1). L’évolution peut se faire vers un syndrome de Korsakoff ou vers un retour ad integrum du tableau clinique. Il semblerait que l’absence d’hypersignal diencéphalique en pondération T2 soit prédictif d’une meilleure évolution (1). Les études autopsiques ont montré que ces lésions en hypersignal T2 correspondaient à une dilatation des capillaires associée à une hypertrophie des cellules endothéliales, à une démyélinisation et à une prolifération astrocytaire et microgliale. Il peut également exister des lésions pétéchiales hémorragiques du tronc cérébral (4). ✓ Troubles oculomoteurs Bien que très évocateurs d’une EGW dans un contexte de confusion, ils ne sont présents que dans 50 % des cas environ. Ils sont difficiles à affirmer au début des troubles car la coopération des patients est souvent faible, notamment pour examiner la poursuite et les saccades. Les symptômes les plus fréquents sont une diplopie (atteinte du III ou du VI), parfois une ophtalmoplégie inter- ou supranucléaire, souvent associée à un nystagmus multidirectionnel. L’atteinte de la musculature intrinsèque est exceptionnelle. ✓ Syndrome cérébelleux Une ataxie est plus fréquemment observée qu’un syndrome cérébelleux cinétique ou qu’une dysarthrie. ✓ Signes associés Il existe souvent des troubles neurovégétatifs, un signe de Babinski, une hypertonie oppositionnelle et un syndrome frontal. Examens complémentaires Aucun examen complémentaire n’est spécifique de l’EGW, mais un certain nombre d’éléments biologiques et radiologiques seront des arguments forts pour le diagnostic. Les examens biologiques recherchent une carence vitaminique grâce au dosage de la thiamine, de l’activité transcétolasique des hématies, des folates, de la vitamine B12 et de la vitamine PP. On évaluera la présence de désordres hydroélectrolytiques associés à cette carence vitaminique. La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 9 - novembre 2005 Figure 1. IRM en pondération T2, en coupe axiale, montrant un hypersignal périaqueducal très évocateur dans un contexte d’EGW à sa phase aiguë. 325 M I S E A U P O I N T MYÉLINOLYSE CENTROPONTINE Il s’agit d’une complication rare mais grave de l’alcoolisme chronique généralement observée en cas de modification trop brutale de la natrémie. Cette pathologie ne se voit pas seulement dans ce cadre, mais l’alcoolique chronique présente un terrain privilégié, comme pour la maladie de Marchiafava-Bignami. La démyélinisation intéresse essentiellement la protubérance, mais elle peut s’étendre à d’autres territoires ; on parle alors de myélinolyse centro- et extrapontine. Clinique L’examen clinique peut être relativement polymorphe, mais on observe généralement un syndrome pseudo-bulbaire comportant des “rires et pleurs” spasmodiques. Les troubles de la marche sont en rapport avec un syndrome pyramidal. Un syndrome cérébelleux est fréquemment retrouvé. Il existe parfois, à la phase aiguë, un mutisme akinétique (5). Figure 2. IRM en séquence FLAIR montrant, en coupe coronale, un hypersignal des thalamus chez un patient atteint d’EGW. Examens complémentaires L’IRM cérébrale permet d’observer à la phase aiguë une lésion centropontine en hypersignal en pondération T2, correspondant à une démyélinisation qui évolue vers un hyposignal T1 à la phase chronique (figure 4). Des cas de découverte fortuite des lésions centropontines à l’IRM ont été décrits (5). Traitements et évolution Le traitement est exclusivement préventif, en évitant les modifications trop brutales de la natrémie, notamment en cas d’hyponatrémie sévère chez un alcoolique chronique (situation particulièrement fréquente chez les buveurs de bière). L’état clinique à la phase chronique peut se stabiliser voire, dans de rares cas, s’améliorer. Cependant, comme dans la maladie de Marchiafava-Bignami, le mutisme akinétique peut aboutir au coma, puis au décès. MALADIE DE MARCHIAFAVA-BIGNAMI Figure 3. Patient ayant présenté une EGW. IRM montrant en coupe sagittale, en pondération T1 avec injection de gadolinium, une atrophie du cortex, du corps calleux et du cervelet, associée à un hypersignal du corps mamillaire. Le mécanisme exact de cette affection demeure inconnu, mais il s’agit d’un état carentiel de l’alcoolique chronique entraînant une démyélinisation subaiguë et progressive avec nécrose du corps calleux et de la commissure antérieure. Clinique Traitement Le traitement repose à la phase aiguë sur la perfusion de thiamine (vitamine B1) par voie intraveineuse (1 g) avant toute perfusion de sérum glucosé, qui peut aggraver le tableau clinique et accélérer l’évolution vers un syndrome de Korsakoff (4). 326 Le début est le plus souvent aigu, sous la forme de crises convulsives, voire d’un état de mal convulsif, d’une hypertonie ou d’un mutisme akinétique. Les formes chroniques sans formes aiguës sont plus rares. Dans un second temps apparaissent fréquemment une démence, une dysarthrie et des phénomènes d’astasie-abasie. L’examen neuropsychologique plus fin, à distance de la phase aiguë, La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 9 - novembre 2005 met en évidence un tableau de dysconnexion interhémisphérique associant une apraxie unilatérale, une apraxie diagonistique, une anomie tactile, une dysconnexion auditive et visuelle (6, 7). Examens complémentaires Le bilan neuropsychologique devra être complet, à la recherche notamment de signes de dysconnexion. Cependant, il n’est le plus souvent réalisable que quelques jours après la phase aiguë. Le scanner cérébral et surtout l’IRM permettront de mettre en évidence une nécrose du corps calleux. L’IRM cérébrale met en évidence, à la phase aiguë, un hypersignal en pondération T2 et une prise de gadolinium du corps calleux, témoin d’une démyélinisation aiguë puis, à la phase chronique, un hyposignal T1 et une atrophie, témoins de la nécrose du corps calleux [figure 5] (8). Le tableau de dysconnexion pourra être confirmé par des tests d’écoute dichotique et des tests visuels selon le même principe. Traitement et évolution Le traitement est essentiellement préventif. L’évolution peut se faire vers une lente amélioration, avec cependant des formes d’évolution brutale avec mutisme akinétique et décès. Quelques cas évoluant par poussées ont été décrits (8). B A Figure 4. Patient atteint d’une myélinolyse centropontine. À la phase aiguë, l’IRM montre une lésion centropontine en hypersignal en pondération T2, correspondant à une démyélinisation (A) évoluant vers un hyposignal T1 à la phase chronique (B). A B C Figure 5. Patient atteint d’une maladie de Marchiafava-Bignami. L’IRM montre, à la phase aiguë, en coupes sagittales en pondération T2 (A) et en pondération T1 après injection de gadolinium (B), un hypersignal prédominant au niveau de la tête et de la queue du corps calleux. À la phase chronique, on observe un hyposignal, témoin d’une nécrose (C). La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 9 - novembre 2005 327 M I S E A TROUBLES COGNITIFS SECONDAIRES À L’ALCOOLISME CHRONIQUE Syndrome de Korsakoff Le syndrome de Korsakoff fait le plus souvent suite à l’EGW, mais il peut apparaître directement après un sevrage alcoolique (notamment en cas de perfusion de glucosé sans vitamines) ou durant l’évolution progressive d’un alcoolisme chronique (9). L’élément clé de ce syndrome est l’atteinte mnésique (antérograde et rétrograde), mais il existe également d’autres éléments, inconstants, tels que des confabulations et de fausses reconnaissances. L’attention et la mémoire immédiate sont le plus souvent préservées, le patient pouvant répéter des séries de mots ou de chiffres. Un certain nombre de souvenirs du passé semblent préservés chez ces patients, mais ces derniers ont du mal à structurer leurs souvenirs, avec des phénomènes de “téléscopages”. Les confabulations semblent relativement spécifiques du syndrome de Korsakoff et correspondent le plus souvent à une juxtaposition de faits anciens rendant le discours non plausible. Les confabulations et les fausses reconnaissances ont tendance à disparaître avec le temps, laissant la place à des troubles mnésiques purs persistant de façon chronique. Démence alcoolique Ce terme est utilisé de façon large pour désigner une démence d’apparition progressive survenant chez l’alcoolique chronique en l’absence d’argument en faveur d’une autre origine neurologique. Cependant, cette affection n’a jamais été bien délimitée, au regard tant des critères psychiatriques (DSM-IV) que des critères neurologiques. Depuis une vingtaine d’années, il a été proposé de distinguer le syndrome de Korsakoff, touchant de façon préférentielle la mémoire, des atteintes plus diffuses et globales (9). Il s’agit donc plus d’un diagnostic d’“élimination” que d’un 328 U P O I N T diagnostic positif. L’IRM comme le scanner cérébral montrent une atrophie diffuse cortico- sous-corticale, prédominante sur les lobes frontaux et le cervelet, mais toutes les structures cérébrales sont concernées (figure 3). Sur le plan anatomopathologique, il existe une diminution du poids total du cerveau et une réduction de la densité d’axone prédominant sur le cortex frontal supérieur. Des lésions de contusions post-traumatiques sont aussi fréquemment observées. Enfin, il n’y a bien évidemment pas de thérapeutique à ce stade évolutif. Le seul traitement reste préventif, respectant le vieil adage : “L’alcool conserve les fruits, mais pas les neurones.”… ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Varnet O, de Seze J, Soto-Ares G et al. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : intérêt diagnostique et pronostique de l’imagerie par résonance magnétique. Rev Neurol 2002;158:1181-5. 2. Beck WS. Cobalamine and the central nervous system. N Engl J Med 1988; 318:1752. 3. Olindo S, Smadja D, Cabre P et al. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke et myélinolyse centropontine induites par des vomissements gravides. Rev Neurol 1997; 153:427-9. 4. Harper CG, Giles M, Finlay-Jones R. Clinical signs in the Wernicke-Korsakoff complex: a retrospective analysis of 131 cases diagnosed at necropsy. J Neurol Neurosurg Neuropsychiatry 1986;48:211-7. 5. Lauenberger J, Schneider B, Ansorgue O et al. Central pontine myelinolysis: clinical presentation and radiologic findings. Eur Radiol 1996;6:177-83. 6. Moreaud O, Dufosse N, Pellat J. Maladie de Marchiafava-Bignami : évolution par poussée. Rev Neurol 1996;152:560-2. 7. Nicoli F, Vion-Dury J, Chave B et al. Maladie de Marchiafava-Bignami : dysconnexion interhémisphérique, syndrome de Balint, évolution spontanément favorable. Rev Neurol 1994;150:157-61. 8. Capparos-Lefebvre D, Pruvo JP, Josien E et al. Marchiafava-Bignami disease: use of contrast media in CT and MRI. Neuroradiology 1994;36:509-11. 9. Lishman WA. Cerebral disorder in alcoholism: syndromes of impairment. Brain 1981;104:1-20. La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 9 - novembre 2005