Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 40 Prévention Nutrition et cancer : un défi de santé publique Le cancer représente un quart des maladies fatales et, selon l’Organisation mondiale de la Santé, au cours des vingt prochaines années, le nombre de décès dans le monde qui lui sera imputé va passer de 6 à 10 millions par an. Un sujet d’inquiétude pour tous les gouvernements En France, tous les ans, ce sont 28 000 nouveaux cas qui sont détectés, et 150 000 malades meurent de son évolution. Le cancer le plus fréquent chez l’homme est celui de la prostate (25 % des cas) suivi par le cancer du poumon (14 %) puis du gros intestin (12 %) ; chez la femme, le cancer du sein (36 %) précède celui du colon et du rectum (14 %), loin devant celui du poumon (4 %). Malheureusement, la fréquence du cancer pulmonaire de la femme va très certainement se rapprocher de celle constatée chez l’homme du fait de l’avancée en âge des femmes de plus en plus nombreuses fumant depuis leur adolescence ou leur majorité. Pour les plus de 65 ans, le cancer est la cause du décès dans plus de deux tiers des cas chez l’homme, trois quarts des cas chez la femme, or la population des sujets de plus de 60 ans va doubler dans les 50 prochaines années, et le poids financier du traitement de ces pathologies comme de la prise en charge et du soutien de personnes âgées malades va devenir considérable. Des mesures de prévention (pour diminuer le nombre de cancers) et de dépistage (pour détecter plus tôt les cancers ou lésions précancéreuses et ainsi pouvoir les guérir) s’avèrent donc indispensables. Facteurs environnementaux Le développement d’un cancer est issu de la rencontre d’un terrain prédisposé (par son patrimoine génétique) et d’un environnement favorable (déséquilibre entre une agression favorisant le cancer et les facteurs de protection vis-à-vis de cette agression). Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 40 Parmi les facteurs d’environnement, l’alimentation interviendrait pour certains spécialistes à une hauteur de 35 % dans le risque de développer un cancer, loin devant le tabac (22 %) et l’alcool. Ces données découlent de l’étude épidémiologique de différentes populations ; ces études comparent la fréquence des cancers en fonction des origines ethniques, des habitudes de vie, d’alimentation, etc. de différentes populations (recherche des facteurs de risque). A titre d’exemple, entre 1968 et 1977, la fréquence des cancers de l’estomac des femmes japonaises ayant émigré à Hawaii chute de presque la moitié à la première génération (celle qui a migré) et aux 2/3 à la seconde génération (enfants d’émigrants). Au contraire, le risque de cancer du sein est multiplié par 3 à la première génération, par 4-5 à la seconde, et le risque de cancer colorectal est multiplié par 4 à la première génération mais reste inchangé à la seconde (Kolonel LN et al, 1980). De telles modifications de fréquence sous l’influence d’une simple migration sont manifestement sous la dépendance de facteurs d’environnement et d’habitudes de vie, en particulier alimentaires. En comparant ces habitudes avant et après l’émigration, on peut développer des hypothèses sur des facteurs de risque ou de protection. Le facteur alimentaire Notre alimentation (et notre mode de vie) s’est considérablement modifiée au cours des dernières décennies : moins d’activité physique et une alimentation trop riche, avec augmentation des corps gras en particulier d’origine animale, réduction des vitamines (légumes et fruits frais) et d’autres acides gras d’origine végétale, réduction des céréales complètes, des légumes secs (fibres). Cette même alimentation trop riche et une activité physique insuffisante sont pour une grande part responsables de l’augmentation sensible du nombre d’individus en surpoids dans les populations occidentales, or l’obésité est indéniablement un facteur associé à un risque accru de cancer. Il existe aujourd’hui des données scientifiques convaincantes pour affirmer qu’une consommation accrue de fruits et légumes est associée à une réduction du risque de cancer du poumon, du colon, du rectum, de l’estomac, de l’œsophage et de la cavité buccale, et cette réduction est plausible dans la plupart des cancers fréquents. Une activité physique augmentée est aussi probablement associée à une réduction du risque de cancer du colon, peut-être du sein et du poumon. Nos dirigeants ont compris l’enjeu que représente l’alimentation et l’exercice physique dans l’évolution de la santé des Français. Ainsi le Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 40 Plan national nutrition santé (PNNSjanvier 2001 www.sante/gouv.fr/) prévoyait-il parmi ses objectifs : - de réduire de 25 % le nombre de petits consommateurs de fruits et légumes ; - de réduire les apports quotidiens en matières grasses des Français ; - d’augmenter les apports de sucres « lents » (glucides complexes) en particulier de fibres et de réduire la consommation de sucres « rapides » ; - de réduire la prévalence du surpoids et de l'obésité de l’adulte mais surtout de stopper l’augmentation de fréquence de l’obésité chez l’enfant ; - d’augmenter l’activité physique journalière des Français de l’équivalent d’une demi-heure de marche rapide supplémentaire par jour ; - et bien sûr de réduire la consommation moyenne d’alcool, l’un des principaux facteurs de risque des cancers de l’œsophage, de la cavité buccale et des voies aéro-digestives supérieures, mais aussi dans un objectif nutritionnel (contribution excessive à l’apport énergétique). Information et prévention Les moyens utilisés par le PNNS sont multiples : diffusion de près de 4 millions d’exemplaires d’un guide alimentaire grand public La santé vient en mangeant, diffusion de guides plus ciblés, campagnes d’information, par exemple, dans le milieu scolaire, campagnes de promotions (fruits et légumes)… Les conseils sont simples et faciles à appliquer : « Consommez au moins 5 portions de fruits et légumes par jour (400-800 g) » ; « Augmentez la consommation des féculents sources d’amidon (fibres), notamment des aliments à base de céréales complètes, des pommes de terre, des légumes secs (soit 600 à 800 g par jour) » ; « Consommez viandes, poissons ou produits de la pêche, volailles ou œufs en alternance, 1 à 2 fois par jour, en quantité inférieure à celle des accompagnements, tout en choisissant les viandes les moins grasses, en favorisant le poisson (2 fois par semaine) » ; « Pour un bon équilibre entre vos dépenses énergétiques et vos apports alimentaires, effectuez au moins l’équivalent de 30 minutes de marche rapide par jour (montez les escaliers, faites du vélo…) » ; « Limitez votre consommation de graisses totales, graisses saturées en particulier, en limitant les viennoiseries, pâtisseries, beurre, charcuterie » ; « Limitez votre consommation de sucre ou aliments riches en sucres, tels sodas, chocolat, confiserie, desserts sucrés » ; « Pour les Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 40 goûters ou collations, privilégiez les fruits, jus de fruits, produits laitiers ou céréaliers »… Ces messages sont encore plus importants pour les enfants, dont on éduque le goût et les habitudes alimentaires ou de vie et pour lesquels les chances de protection vis-à-vis du cancer, de l’obésité et des autres maladies associées, cardio-vasculaires et métaboliques (diabète), ont le plus de possibilités d’être efficaces. Car, au long cours, ces mesures ont de sérieuses chances d’améliorer la santé et le bien-être des Français, pas seulement de réduire le risque de cancer. Mais pas d’erreurs ! Des études ont montré que l’on ne pouvait pas remplacer les bénéfices sur le risque de cancer d’une alimentation variée, équilibrée, riche en fruits et légumes, par l’absorption de médicaments, de pilules de vitamines. Bien au contraire, certaines études montrent un risque accru de la prise de vitamines à des doses élevées (augmentation de la mortalité et du risque de cancer du poumon chez le fumeur, par exemple pour la vitamine A). Un éventail d’actions En juin 2003, le plan Cancer (www.sante/gouv.fr/htm/dossiers/cancer/), dans son volet prévention, outre la lutte prioritaire contre le tabac et l’alcoolisme, propose de développer des actions d’éducation et de prévention sur les risques des facteurs d’environnement et de poursuivre la promotion d’une meilleure hygiène alimentaire (poursuite du PNNS). Espérons que les mesures conseillées seront appliquées et que l’éducation, la meilleure information de la population, avec l’aide de tous les partenaires, consommateurs, familles, éducateurs, médias, industries agroalimentaires, renverseront la tendance désastreuse de l’évolution de notre alimentation occidentale, en tout cas trop riche au regard de notre activité physique quotidienne pour beaucoup. Patrick Bachmann, médecin spécialiste de CRLCC, responsable de l’unité de nutrition CRLCC L.-Bérard à Lyon