Charles Bolduc
Le rôle de l’expérience dans la pratique philosophique de Gilles Deleuze
Thèse présentée
à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval
comme exigence partielle du programme de doctorat en philosophie
offert à l’Université de Sherbrooke
en vertu du protocole d’entente avec l’Université Laval
pour l’obtention du grade Philosophiæ Doctor (Ph.D.)
Faculté de philosophie
Université Laval
Québec
et
Faculté des lettres et sciences humaines
Université de Sherbrooke
Sherbrooke
2013
© Charles Bolduc, 2013
II
III
Résumé
Pour Gilles Deleuze, la philosophie consiste à créer des concepts. Prenant le
contrepied de cette définition, la plupart de ses commentateurs se contentent soit de répéter
les propos du philosophe en les généralisant et en leur donnant de ce fait une portée
universelle, soit d’appliquer les concepts qu’il a inventés à n’importe quel phénomène qui
leur tombe sous la main, ce qui condamne irrémédiablement la philosophie à n’être qu’une
entreprise abstraite alors que Deleuze la voulait on ne peut plus concrète.
La source de ce contresens est bien simple : ils ne tiennent pas compte de la place
primordiale qu’occupe l’empirisme dans son œuvre. Ainsi, en ne portant pas une attention
toute particulière à cette attitude philosophique qui privilégie l’expérience, ils minimisent le
rôle de celle-ci dans sa pratique et, conséquemment, ils détachent les créations de concepts
des situations d’où elles tirent leur nécessité.
Contrairement à l’esprit qui anime les principales études sur la philosophie
deleuzienne, cette thèse a donc pour objectif de démontrer que c’est seulement en prenant
en compte les expériences singulières qui les ont suscitées que les concepts forgés par ce
penseur gardent un sens, tout comme c’est uniquement dans ce cadre que se comprennent
les critiques qu’il a formulées à l’égard de différentes prises de position philosophiques. Au
terme de ce parcours, ces dernières apparaîtront alors toujours partielles et redevables d’une
expérience de pensée qui a forcé cette remise en question de telle sorte que ce qui était au
départ incompréhensible d’après une certaine perspective devient soudainement accessible
quand un nouveau concept est créé.
Pour parvenir à cette fin, cette thèse a été divisée en deux parties. La première porte
sur la conception deleuzienne de l’expérience. Par une étude de deux tentatives de
renouvellement de l’empirisme au XXe siècle, soit le bergsonisme et la phénoménologie, la
position deleuzienne sur cette question se révèle comme un prolongement de la voie
ouverte par Bergson en opposition à celle dégagée par Husserl et, à sa suite, Sartre. Séparé
des préoccupations ontologiques bergsoniennes, l’empirisme transcendantal deleuzien
apparaît alors comme une recherche de la potentielle singularité d’un phénomène au
détriment de la quête d’une forme commune à toute expérience.
La seconde partie quant à elle se concentre sur quatre expériences de pensée et
montre à chaque fois le lien indissoluble qui unit la création de concept et la remise en
question qui lui est concomitante. Que ce soit avec la critique d’une philosophie de la
représentation qui découle du concept de sensation forgé au contact des œuvres du peintre
Francis Bacon, que ce soit avec la double remise en cause de la phénoménologie comme
effet de la création des concepts d’image-affection et d’image-temps à partir de Persona
d’Ingmar Bergman et Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, que ce soit encore avec la
critique des postulats de linguistique qui dérive du concept de littérature mineure inventé
pour rendre compte du Procès de Kafka, dans tous ces cas, ce qui est mis en lumière, c’est
le rôle essentiel de l’expérience dans la pratique philosophique de Gilles Deleuze.
IV
Abstract
Philosophy, for Gilles Deleuze, is the creation of concepts. Taking the opposing
view, the majority of Deleuze’s critics prefer either to universalize the philosopher’s
principles or to apply the concepts Deleuze created indiscriminately to any and all
phenomenon. This condemns his philosophy to the status of an abstract enterprise when
Deleuze sought above all that it be concrete.
The source of this contradiction is simple: his critics overlook the central role that
empiricism occupies in his work. Therefore, by disregarding the importance of this
philosophical position, which privileges experience, they minimise the role of the latter in
Deleuze’s intellectual practice and, consequently, they detach the creation of concepts from
the very situations from which they derive their pertinence and necessity.
Contrary to the spirit which animates the principal studies of Deleuze’s philosophy,
this thesis has for its objective to demonstrate that it is only by taking into account the
singular experiences which gave rise to his concepts that these concepts make sense. Just as
it is uniquely in this context that the critiques that Deleuze formulated of different
philosophical positions can be understood. In the end these critiques appear both partial and
indebted to an experience (aesthetic or otherwise) that disrupts preconceived notions, such
that what was in the beginning incomprehensible from a certain perspective becomes
suddenly accessible with the creation of a new concept.
To arrive at this conclusion, this thesis has been divided into two parts. The first part
deals with the Deleuzian conception of experience. Through a study of two attempts at
renewing the empiricist project in the twentieth century Bergsonism and
Phenomenology – Deleuze’s position can be seen as an extension of the argument of
Bergson, and thus in opposition to that of Husserl and Sartre. Separated from its
preoccupation with Bergsonian ontology, the transcendental empiricism of Deleuze thus
appears as a quest for the singular potential of a phenomenon to the detriment of the quest
for a common form for all experience.
The second part is focused on four experiences that disrupt preconceived notions
and will demonstrate each time the indissoluble link which unites the creation of a concept
and its concomitant critique. The first experience consists of a critique of a philosophy of
representation that derives from a concept of sensation itself forged in contact with the
works of the painter Francis Bacon. The second and third will consist in an interrogation of
phenomenology as an effect of the creation of concepts of ‘affection-image’ by way of
Ingmar Bergman’s Persona and ‘time-image’ in Alain Resnais’ Hiroshima mon amour.
Finally, the fourth will be a critique of the postulates of linguistics derived from the concept
of ‘minor literature’ invented to analyse Kafka’s The Trial. In all these cases what is
exposed is the essential role of experience in the philosophical practice of Gilles Deleuze.
V
Table des matières
Résumé III
Abstract IV
Table des matières V
Remerciements VII
Introduction 1
1ère partie – La définition deleuzienne de l’expérience 27
1.1 – Le rapport à l’expérience dans l’histoire de la philosophie 29
1.2 – Les références philosophiques de Deleuze sur la question de l’expérience 35
1.2.1 Deux tentatives de renouvellement de l’empirisme 40
1.2.2 L’objet de toutes les critiques : le psychologisme 44
1.2.3 Le bergsonisme 46
1.2.4 La phénoménologie husserlienne 52
1.2.5 L’appropriation française de la phénoménologie husserlienne :
le cas de Jean-Paul Sartre 65
1.2.6 Une autre lecture de Bergson :
une réponse à la critique sartrienne 75
1.3 – De Bergson à Deleuze : pour un nouveau rapport à l’expérience 89
1.3.1 L’empirisme transcendantal 89
1.3.2 La mise à l’écart du questionnement ontologique 100
1.3.3 Les différents types d’expériences et de créations :
science, art et philosophie 121
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