Les interactions biotiques façonnent le vivant

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Dossier
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Les interactions biotiques
façonnent le vivant
Le Métatron de Moulis est un grand équipement
scientifique d’une surface de 4 ha permettant
d’étudier les processus écologiques et évolutifs
à des échelles proches de celles de la nature
et ce notamment face au réchauffement
climatique (SEEM).
Comment les êtres vivants, les communautés et les écosystèmes qui les abritent,
répondent-ils aux changements environnementaux ?
Répondre à cette question nécessite de faire collaborer des spécialistes venus d’horizons
divers, réunis au sein du LABEX TULIP.
L
’accroissement de la population mondiale
place l’homme devant de nombreux défis :
l’alimentation et l’utilisation des sols ou
de l’eau, le maintien de la biodiversité et plus
généralement d’un fonctionnement durable
des systèmes écologiques à toutes les échelles
constituent des enjeux prioritaires. D’autant plus
prioritaires que, d’après les données actuelles,
le réchauffement global s’annonce encore plus
rapide que les prédictions les plus pessimistes
émises il y a seulement quelques années.
C’est pour aborder ces questions qu’a été créé
le « laboratoire d’excellence » (LabEx) TULIP :
Toward a Unified theory of biotic Interactions :
4
PAUL SABATIER J a n v i e r 2 0 1 4
roLe of environmental Perturbations. Il apporte
l’éclairage de la recherche fondamentale menée
par plus de 400 scientifiques, rassemblés dans la
fédération de recherche « Agrobiosciences, interactions et biodiversité ». TULIP implique ainsi
5 unités(1).
La réponse des plantes
Le principal défi de TULIP est de continuer à
œuvrer au rapprochement entre deux disciplines de la biologie qui trop souvent s’ignorent,
à savoir l’étude des mécanismes sous-jacents
aux interactions biotiques et l’écologie évolutive. A Toulouse, la communauté des biologistes
des interactions se focalise sur les mécanismes
qui sous-tendent les réponses adaptatives des
plantes aux stimuli environnementaux, qu’ils
soient abiotiques ou biotiques. Dans ce dernier
cas, il s’agit plus particulièrement de disséquer
la réponse des plantes aux microorganismes
pathogènes ou symbiotiques. De son côté, la
communauté toulousaine spécialisée dans l’écologie évolutive étudie les mécanismes ultimes
des dynamiques des populations et des communautés d’espèces à toutes les échelles d’espace
et de temps. Leur rapprochement nécessite un
travail important aussi bien sur les technologies,
les concepts et les théories.
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Instruments uniques dans le monde
Au plan technologique, le site d’Auzeville exploite toutes les approches omics à haut débit
(génomique, protéomique, métabolomique, etc.),
incluant notamment le développement de plateforme de phénotypage robotisé et à haut
débit dans différents environnements, ainsi que
la gestion bioinformatique des grandes masses
de données générées. D’autre part, le passage
d’espèces modèles à des espèces d’intérêt
agronomique et écologique constitue un des
points charnière de la communauté. A la station expérimentale de Moulis, sont développés
de grands instruments uniques dans le monde.
Par exemple, le métatron d’une surface de
4 hectares se compose de 48 unités de 100m2,
chacune reliée à ses quatre unités voisines par
des couloirs pour étudier la dispersion de divers
organismes (papillons et autres insectes, lézards,
plantes) dans un système clairement spatialisé.
Il permet l’étude des processus écologiques à
des échelles spatiales et temporelles pertinentes
pour l’écologie évolutive.
Aux plans conceptuel et théorique, ces équipes
jouent un rôle important à l’échelle nationale et internationale dans le décryptage des
mécanismes qui président à la mise en place de
symbioses fixatrices d’azote chez les plantes
et leur transfert potentiel aux plantes ne possédant pas cette capacité, telles les céréales.
La compréhension de la perception par les
plantes des bioagresseurs, des voies de signalisation en découlant ainsi que de l’établissement
des mécanismes de résistance ou de sensibilité constitue un autre pan important de nos
recherches. Enfin, notre communauté a été à
l’origine de l’émergence de la théorie neutre de
la biodiversité ou de l’hérédité non génétique
(épigénétique et culturelle). Ces sujets sont au
cœur des intérêts des Instituts INEE et INSB du
CNRS, mais également de l’INRA. C’est aussi
dans le domaine de la théorie et de la modélisation que TULIP affiche ses plus grandes ambitions qui correspondent au cinquième thème
majeur de recherche intitulé ‘Vers une théorie
unifiée des interactions biotiques’. C’est aussi
dans ce domaine que TULIP nous a permis de
réaliser nos premières opérations d’attraction
avec la venue sur un poste CNRS de Michel
Loreau, l’un des experts mondiaux de la biodiversité, qui a immédiatement créé le ‘Centre de
Théorie et Modélisation de la Biodiversité’.
Au plan stratégique et managérial, le laboratoire
investit dans la recherche de pointe, et cherche
à attirer sur des postes permanents des scientifiques seniors et juniors de stature internationale. Le pari est en effet de miser sur l’attraction
de chercheurs de plan mondial pour entraîner
automatiquement la communauté vers une
plus grande interaction et compétitivité des
recherches. L’accueil de visiteurs sur une courte
durée permet de proposer une animation scientifique, des séminaires, dont certains sont liés à
la formation.
Pour la formation, précisément, le laboratoire
a mis en place une école d’été internationale
annuelle dont la troisième édition se déroulera
en juillet 2014 et qui attire chaque année une
vingtaine d’étudiants venus d’une vingtaine de
pays de par le monde. D’autre part, il œuvre au
rapprochement et à la coordination d’au moins
deux des Masters portés par notre communauté
(MABS et BEE)(2) de façon à faire émerger un
parcours en biologie et écologie intégratives à
l’Université Paul Sabatier.
Etienne Danchin, directeur de recherches
CNRS, directeur du laboratoire Évolution et
diversité biologique (EDB, unité mixte UPS/
CNRS/ENFA) et Dominique Roby, directrice
de recherches CNRS, directrice du Laboratoire
des interactions plantes-microorganismes
(LIPM, unité mixte CNRS/INRA).
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Biofertilisants et biofongicides
En termes de valorisation, la conjonction
d’approches différentes et complémentaires en
biologie et écologie, permettent d’aborder ces
questions sous différents angles: développement de biofertilisants et biofongicides, amélioration de la résistance des plantes aux maladies
ou encore évaluation de l’impact environnemental à long terme de nouveaux intrants ou procédés. TULIP souhaite la création d’une structure
de transfert avec des partenaires, industriels ou
publics. n
(1) LIPM : Laboratoire des Interactions Plantes-Microorganismes (unité CNRS-INRA) ; EDB : Évolution
et Diversité Biologique (unité CNRS-UPS-ENFA) ;
LRSV : Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales (unité UPS-CNRS) ; GBF : Génomique et Biotechnologie des Fruits (unité INRA-INP-ENSAT) ;
SEEM: Station d’Écologie Expérimentale du Moulis
(USR CNRS).
(2) MABS : Master Microbiologie Agrobiosciences
Bioinformatique et biologie des Systèmes (UPS Toulouse) ; BEE : Master Biodiversité Écologie Évolution
(UPS Toulouse).
Cinq thèmes majeurs de recherche (TMR)
transversaux aux laboratoires impliqués,
forment l’assise de TULIP, allant des questions
au niveau le plus simple au plus compliqué
et intégrateur.
• TMR1 : Interactions organisme-environnement
Expression d’un gène rapporteur dans
une jeune racine d’Arabidopsis thaliana.
Cette plante modèle est la « souris de
laboratoire » du monde végétal.
© D.Trémousaygue - LIPM
• TMR2 : Interactions organisme-organisme
• TMR3 : Effet de l’environnement sur les
interactions organisme-organisme
• TMR4 : Interactions entre populations et
communautés / écosystèmes
Visualisation de la mort cellulaire
programmée, mécanisme de défense
des plantes afin d’endiguer la
progression d’un bio-agresseur
© C.Balagué - LIPM
• TMR5 : Vers une théorie unifiée des
interactions biotiques
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Dossier
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Plantes : de la protection
individuelle à l’évolution
des populations
Lorsque l’environnement change, les plantes s’adaptent. Mais
comment la réaction des individus conduit-elle à l’évolution
d’une population entière, outrepassant les générations ?
T
ous les organismes vivants sont exposés
aux variations physiques de l’environnement (lumière, température, disponibilité
en eau), mais contrairement aux animaux qui
ont la faculté de se déplacer, les plantes doivent
faire face à ces conditions pour achever leur
cycle de développement et de reproduction.
Cette aptitude des plantes à percevoir des
informations physiques ou chimiques et à les
convertir en réponses adaptées repose sur des
réseaux de signalisation dont la compréhension
constitue l’un des enjeux de la biologie intégrative. L’ion calcium est l’un des premiers messagers à véhiculer ces informations dans la cellule.
La variation de la teneur en calcium agit comme
une alarme cellulaire qu’il faut décoder. Récemment, des équipes du Labex TULIP ont montré
l’importance de protéines de décodage du calcium dans la tolérance au déficit hydrique chez
la plante modèle Arabidopsis. Si le calcium joue
un rôle clé, la mise en place des réponses mobilise également des hormones (acide abscissique,
éthylène, acide jasmonique) qui vont coordon-
ner les mécanismes permettant aux plantes de
lutter contre ces stress (fermeture des stomates,
synthèse d’osmolytes, régulation génique) mais
également contrôler les processus de développement (modification de la paroi, lignification,
floraison et développement des fruits). Ces réponses illustrent la plasticité phénotypique des
plantes. Si cette plasticité est indispensable à la
survie d’un individu, celle de sa descendance est
conditionnée par l’acquisition de mécanismes
adaptatifs qui reposent sur l’apparition et la
sélection de caractères nouveaux, d’espèces
nouvelles au sein de populations végétales.
Changement d’échelle
Ce changement d’échelle entre l’individu et la
population a souvent entretenu une séparation
entre deux communautés scientifiques : physiologistes et écologues. L’un des enjeux du Labex
TULIP est de regrouper ces deux communautés
qui abordent ces problématiques de façon transversale et intégrée. La description d’un processus de développement peut être interprétée à la
lumière de modèles d’évolution, en introduisant
B
A
(A) Un fruit sous influence: des
modifications dans l’expression
d’un gène de signalisation
hormonale à l’origine d’une
diversité de formes ou de
couleurs.
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PAUL SABATIER J a n v i e r 2 0 1 4
C
(B-C) Le muflier a une croissance réduite
dans un environnement ouvert, exposé
au vent et au soleil ou dans une faille de
roche (B) ; la tige d’un muflier apparenté
s’est allongée afin d’atteindre la lumière
dans une clairière (C).
Benoit Van Der Rest, maître de conférences INPT, au Laboratoire de génomique
et biotechnologie des fruits (LGBF, unité
mixte INRA/INPT), Jean-Philippe Galaud,
maître de conférences UPS, au Laboratoire de
recherche en sciences végétales (LRSV, unité
mixte UPS/CNRS), et Benoit PUJOL, chargé
de recherche CNRS, au Laboratoire évolution
et diversité biologique (EDB, unité mixte UPS/
CNRS/ENFA).
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la notion de trade-off, c’est à dire de compromis
évolutif. Ainsi, en réponse aux stress, le nombre
de fleurs, la taille, la forme des fruits et leur teneur
en sucres résultent d’un trade-off entre l’énergie
allouée pour la reproduction et celle investie
pour lutter contre ces stress. La nature de ce
compromis façonne donc la réponse individuelle
de l’organisme et son évolution. Par ailleurs, les
changements adaptatifs, qui sont à l’origine
de nombreux remaniements de la diversité des
espèces et des populations ne semblent pas toujours dictés par des modifications génétiques.
Souvent, ils sont associés aux changements de
l’environnement. Peu de données permettent
d’intégrer dans un même modèle déterminisme
environnemental et déterminisme génétique
des caractères observables. Les scientifiques
impliqués dans le Labex tentent de décoder la
réponse des organismes à leur environnement
chez la plante Antirrhinum majus (le muflier).
Le témoignage apporté par la relation entre
diversité génétique et variabilité environnementale chez le muflier a permis de comprendre
pourquoi les plantes et leurs fleurs différent
d’une population à l’autre dans les Pyrénées.
Nos objectifs visent donc, à l’échelle cellulaire,
moléculaire mais également à l’échelle de l’individu et des populations, à identifier les mécanismes qui permettent aux plantes de s’adapter
aux contraintes de l’environnement et à décrire
les réseaux de signalisation qui les activent. n
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Endosymbioses racinaires.
(A) Nodules sur une racine de pois (barre d’échelle : 1 cm).
(B) Section de nodule porteur de bactéries rhizobium visualisées à l’aide d’une protéine fluorescente GFP
(couleur verte) (barre d’échelle : 100 µm).
(C ) Racine colonisée avec un champignon mycorhizien à arbuscules coloré à l’encre bleue (barre d’échelle : 300 µm).
(D) Co-culture d’une racine et d’un champignon mycorhizien à arbuscules montrant les hyphes et les spores du
champignon, ainsi que le signal symbiotique lipochitooligosaccharidique qu’il produit (barre d’échelle : 500 µm).
Le langage de la symbiose
Quand ils établissent des échanges gagnant-gagnant
avec les plantes, bactéries et champignons, utiliseraient un
langage assez proche. Cette découverte inattendue ouvre
de nouvelles perspectives de fertilisation.
Biofertilisants
Deux symbioses végétales très répandues dans
la nature sont étudiées par plusieurs équipes
de TULIP : la symbiose rhizobienne qui s’établit
entre les bactéries rhizobium et les légumineuses, une très grande famille de plantes (pois,
soja, luzerne, fèverole, acacia, mimosa, etc.),
et la symbiose mycorhizienne à arbuscules qui
s’établit entre certains champignons microscopiques et la plupart des plantes terrestres. Ces
deux symbioses ont joué un rôle considérable au
cours de l’évolution des plantes terrestres, pour
lesquelles les bactéries rhizobium et les champignons mycorhiziens à arbuscules ont servi de
biofertilisants naturels. Si elles attirent autant
l’attention d’une très large communauté scientifique internationale, c’est parce qu’elles représentent des solutions biologiques pour réduire
l’utilisation des engrais chimiques en agriculture.
A l’intérieur des racines, dans des structures
spécifiques appelées nodules, les bactéries rhizobium transforment l’azote de l’air en ammoniac, une forme d’azote directement assimilable
par les plantes. Les champignons mycorhiziens à
arbuscules, eux, s’insinuent entre les cellules du
cortex racinaire où ils forment des structures très
ramifiées appelées arbuscules). Ils fournissent
ainsi à la plante de l’eau et des minéraux, notamment du phosphate. L’intérêt de la symbiose pour
le microorganisme, aussi bien bactérien que fongique, est de bénéficier d’une source privilégiée
de carbone issu de la photosynthèse de la plante.
Malgré cette caractéristique commune, les deux
symbioses rhizobienne et mycorhizienne apparaissaient en première analyse comme bien différentes. Jusqu’à une époque récente, chacune
avait sa communauté scientifique propre et ses
réunions scientifiques spécialisées.
Voies de signalisation
Des découvertes importantes, dont plusieurs
faites à Toulouse, ont depuis quelques années
rapproché ces deux communautés. Le processus qui conduit à la formation des nodules est
déclenché par une voie de signalisation activée
par des molécules secrétées par les rhizobia, appelées facteurs Nod. Ces signaux symbiotiques,
découverts à Toulouse il y a 23 ans, sont des lipochitooligosaccharides. On pensait alors qu’ils
n’étaient perçus que par les légumineuses. De
même on pensait qu’en aval des récepteurs des
facteurs Nod, le complexe de protéines servant
à transduire le signal bactérien et à déclencher le
programme de nodulation chez la plante, était
la seule propriété des légumineuses. Puis, des
approches génétiques ont montré que certaines
mutations chez les légumineuses conduisant à la
perte de l’aptitude à la nodulation entraînaient
également la perte de l’aptitude à la mycorhization: un tout nouveau champ de recherche a
alors émergé. Les communautés scientifiques
Nod et Myc, dont les équipes de TULIP, ont progressivement mis en lumière le fait que les voies
de signalisation Nod et Myc, conduisant respectivement à la nodulation et à la mycorhization,
étaient très similaires. Elles ont découvert que
pratiquement toutes les plantes, et pas seulement les légumineuses, possédent la voie de
signalisation Nod, au moins pour l’essentiel. Les
équipes de Toulouse ont notamment montré il y
a deux ans que les champignons mycorhiziens à
arbuscules, comme les rhizobia, produisent des
lipochitooligosaccharides, similaires à ceux produits par les bactéries rhizobia. Pour expliquer ce
phénomène inattendu, il faut faire l’hypothèse
que la symbiose rhizobienne, apparue il y a 60
millions d’années, a exploité une voie de signalisation beaucoup plus ancienne, celle qui permet
la mycorhization (vieille de plusieurs centaines
de millions d’années).
Ces découvertes ouvrent des perspectives extrêmement prometteuses : réussir peut-être un jour
à noduler des plantes non légumineuses comme
les céréales, dont les cultures pourraient alors se
faire sans apport de fertilisation azotée. n
Guillaume Bécard, professeur UPS
au Laboratoire de recherche en sciences
végétales (LRSV, unité mixte UPS/CNRS)
et Pascal Gamas, directeur de recherche
CNRS au Laboratoire des interactions
plantes microorganismes, (LIPM, unité
mixte CNRS/INRA).
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J a n v i e r 2 0 1 4 PAUL SABATIER 7
Dossier
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Symptômes de flétrissement provoqués
par la bactérie Ralstonia solanacearum.
L’utilisation de la plante modèle
Arabidopsis thaliana permet d’élucider,
au niveau moléculaire, les mécanismes
développés par la plante hôte afin de
percevoir la présence de son agresseur.
Comment augmenter
la résistance des plantes aux
micro-organismes pathogènes
En étudiant la manière dont les plantes se protègent naturellement contre
leurs pathogènes, les scientifiques développent des pesticides biologiques.
D
epuis les débuts de l’agriculture, l’homme
doit faire face aux maladies causées aux
plantes par des microorganismes. Certaines de ces maladies affectent des cultures à
la base de l’alimentation humaine et leur impact
sur les rendements a entraîné des famines et
l’émigration de populations. Aujourd’hui, le
changement rapide des conditions climatiques
fait craindre un bouleversement de la répartition
des microorganismes pathogènes et l’émergence de nouvelles maladies pouvant affecter
des espèces végétales cultivées ou sauvages.
Bernard Dumas, directeur de recherche
CNRS au Laboratoire de recherche en
sciences végétales (LRSV, unité mixte
UPS/CNRS) et Laurent Deslandes,
chargé de recherche CNRS au Laboratoire
des interactions plantes microorganismes
(unité mixte CNRS/INRA).
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PAUL SABATIER J a n v i e r 2 0 1 4
Réduire l’utilisation des pesticides
Pour lutter contre ces maladies plusieurs dizaines
de milliers de tonnes de pesticides sont répandus
sur les cultures chaque année en France, posant
de graves problèmes pour l’environnement et la
santé humaine. Depuis plusieurs années, des politiques nationales et européennes visant à la réduction de l’usage de ces produits ont été mises
en place. En France, le plan Ecophyto lancé à la
suite du Grenelle de l’environnement en 2008 a
pour objectif de réduire progressivement l’utilisation des pesticides tout en maintenant une
agriculture économiquement performante. Pour
atteindre cet objectif, il est absolument nécessaire d’identifier de nouvelles stratégies de lutte
et de développer les connaissances fondamentales sur les mécanismes moléculaires régissant
les interactions entre les plantes et les micro-
organismes pathogènes. En effet, loin d’être désarmés, les végétaux ont mis en place au cours
de leur évolution un système immunitaire efficace leur permettant de résister à la plupart de
leurs agresseurs. En retour, les microorganismes
produisent des molécules, appelées effecteurs,
dont un des rôles est de contrecarrer les réponses
immunitaires de l’hôte.
Variétés naturellement résistantes
Les objectifs principaux des équipes du Labex
TULIP travaillant sur ces questions est de
décoder les éléments du dialogue effecteurs
– système immunitaire. Les recherches sont
principalement menées sur des plantes modèles
(Arabidopsis thaliana, Medicago truncatula)
mais également sur des plantes de grande
culture, telles que la tomate et le tournesol. Ces
plantes permettent notamment la mise en place
d’approches génétiques globales et d’exploiter la variabilité naturelle rencontrée entre des
individus de ces espèces. De nouveaux gènes
importants pour la résistance des plantes aux
maladies ont ainsi été identifiés fournissant
des pistes particulièrement intéressantes pour
sélectionner de nouvelles variétés naturellement résistantes. Les effecteurs produits par les
microorganismes sont identifiés par des
approches d’analyse génomique et des tests
fonctionnels. Une autre stratégie pour l’amélioration de la résistance des plantes aux maladies
porte sur la recherche de composés naturels et
de microorganismes bénéfiques capables de
stimuler le système immunitaire des plantes.
Des analyses haut-débit sont développées afin
de tester à la chaîne des collections de substances et de repérer les candidats les plus actifs.
Une partie de ces recherches est réalisée en
collaboration avec des industriels du secteur
phytosanitaire et des semences afin de pouvoir
transférer rapidement les résultats générés vers
des solutions applicables au champ. n
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Les interactions entre organismes face aux changements
environnementaux
Les espèces vivantes peuvent réagir aux changement de leur environnement soit par le déplacement de leur aire de distribution, soit en s’adaptant
à ces nouvelles conditions. Pour évaluer le potentiel d’adaptation d’espèces
sauvages ou cultivées, il est nécessaire d’envisager le réseau complexe
d’interactions dans lequel elles évoluent.
Haut : Fabrice Roux, chargé de
recherche CNRS et Etienne Baron,
doctorant au Laboratoire des
Interactions Plantes Micro-Organismes
(LIPM, unité mixte CNRS/INRA).
Bas : Jérôme Chave, directeur
de recherche CNRS au laboratoire
Evolution et Diversité Biologique (EDB,
unité mixte UPS/CNRS/ENFA).
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(A) Arabidopsis thaliana (indiquée par une flèche blanche) en présence de ses compétiteurs.
(B) Antirrhinum majus dans les Pyrénées, avec des individus présentant des formes hybrides de coloration florale.
L
e réchauffement de la Terre se confirme. Il
s’accompagne de nombreuses autres perturbations induites par l’action humaine :
fragmentation des habitats, l’introduction
d’espèces exotiques envahissantes, pollution et
intensification agricole, qui peuvent aussi nuire
à la biodiversité. Ces changements environnementaux pourraient conduire à d’importants
bouleversements dans la structure et la fonction
des écosystèmes, un risque accru d’extinctions
d’espèces, ou encore des déplacements de leurs
aires de répartition.
Pressions de sélection
En biologie évolutive, tous ces phénomènes sont
considérés comme des pressions sélectives. Un
des défis de TULIP est donc d’évaluer le potentiel
et la dynamique d’une réponse adaptative à ces
pressions de sélection. Une éventuelle incapacité
des espèces à répondre à cette sélection pourrait
causer une érosion majeure de la biodiversité,
ce qui pourrait perturber durablement les
écosystèmes.
Il faut aussi garder à l’esprit que la réponse
adaptative potentielle d’une espèce aux changements globaux ne dépend pas seulement de l’effet du climat, mais aussi des effets indirects sur
le réseau d’espèces avec lesquelles elle interagit.
Cependant, nos connaissances sur la dynamique
des interactions entre organismes, et plus précisément sur la coévolution entre deux espèces en
interaction, reste étonnamment limitée.
Les plantes à cycle de vie annuel offrent des
modèles d’étude particulièrement attirants pour
étudier ces questions. L’une d’entre elles est l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana) et ses
espèces compétitrices et pathogènes (étudiés
au LIPM), l’autre est la gueule-de-loup (Antirrhinum majus) et ses pollinisateurs et pathogènes
(étudiés à EDB).
En moins de 8 générations
Les études en cours sur Arabidopsis visent à
suivre dans la nature l’évolution de la réponse à
la compétition et aux pathogènes. Les premiers
résultats indiquent que certaines populations
présentent à la fois une diversité génétique
importante et une évolution en moins de 8
générations pour la réponse à la compétition
et aux pathogènes, suggérant qu’une réponse
rapide pourrait être observée envers différentes
pressions de sélection. Ces études sont accompagnées d’une estimation expérimentale du
potentiel adaptatif de populations naturelles
vis-à-vis d’assemblages d’espèces végétales à
richesses spécifiques différentes et/ou incluant
des espèces invasives, et ceci à différentes températures. Des travaux sur Antirrhinum menés
dans les Pyrénées permettent de mettre en
évidence le rôle relatif des conditions environnementales et de la prévalence de ses pollinisateurs
et ses pathogènes sur le succès de reproduction
dans la nature. Ces études sont aussi complétées
par des approches expérimentales sur la réponse
des interactions plante-pollinisateur dans des
conditions climatiques contrôlées (expériences
menées à la Station d’écologie expérimentale de
Moulis).
Un de objectifs des équipes est aussi d’identifier les bases moléculaires qui soustendent les
relations spécifiques hôte-pathogène et planteplante. Les technologies de séquençage hautdébit représentent aujourd’hui une incroyable
opportunité pour cartographier les bases
génétiques de la coévolution et ainsi détecter
les traces de sélection sur les populations en
interaction. L’un des débouchés possibles de ces
études serait d’améliorer notre compréhension
sur l’émergence des maladies chez les plantes. n
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Dossier
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Des poissons d’eau douce
indicateurs des impacts
des changements globaux
sur les écosystèmes
L’introduction de nouvelles espèces est-elle une richesse ou une menace
pour les écosystèmes ? L’étude des communautés de poissons d’eau douce
fournit des pistes précieuses pour répondre à cette question.
La perche soleil (Lepomis
gibbosus) est une espèce
originaire d’Amérique
du Nord. Elle est invasive
en Europe, possède des
traits fonctionnels peu
représentés dans la
faune européenne (soins
parentaux par exemple),
et son aire de distribution
sera probablement
accrue sous l’effet du
réchauffement climatique.
Elle est donc une espèce
susceptible d’affecter
le fonctionnement des
écosystèmes aquatiques.
L
es écosystèmes aquatiques d’eau douce
(rivières, fleuves, lacs, etc.) constituent
un modèle de choix pour identifier et
comprendre les processus naturels et humains
agissant sur leur composition en espèces et
leur fonctionnement. En effet, les eaux douces
constituent de véritables îles pouvant être considérées comme autant d’entités indépendantes,
isolées entre elles par des océans d’eau salée ou
de terre ferme.
Cet isolement relatif génère une riche diversité
biologique. Pourtant, ces écosystèmes font actuellement face à de nombreuses perturbations
d’origine humaine, susceptibles d’altérer leur
diversité biologique, leur fonctionnement et les
multiples services qu’ils procurent à l’homme. La
compréhension des relations entre diversité biologique et fonctionnement de ces écosystèmes
s’avère donc indissociable des applications
visant à assurer l’intégrité de ces écosystèmes
pour in fine maintenir les services qu’ils procurent aux sociétés humaines.
Diversité taxonomique
Le nombre et l’identité des espèces composant
une communauté (diversité taxonomique) est la
facette la plus classiquement étudiée de la diversité biologique. En effet, nous savons maintenant
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PAUL SABATIER J a n v i e r 2 0 1 4
qu’à large échelle géographique, le climat et les
contingences historiques sont responsables de
la composition des communautés, alors qu’à des
échelles plus fines, les interactions entre espèces
et avec l’environnement expliquent la composition des communautés locales et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques.
D’autres facettes de la diversité biologique
restent cependant à analyser, telles que les différences de proximité phylogénétique entre ces
espèces (relations « d’apparentements » entre
les espèces) ou les différences de fonctions
qu’exercent les espèces au sein des écosystèmes
(diversité fonctionnelle). Concernant cette dernière facette, les chercheurs toulousains ont
récemment montré que les différences de diversité fonctionnelle des poissons entre cours d’eau
européens sont plus faibles que les différences
de diversité taxonomique. Cette tendance s’explique par l’existence d’une forte redondance
fonctionnelle entre les espèces.
Structure des communautés
Les activités humaines agissent sur les communautés de poissons, que ce soit en introduisant
des espèces exotiques ou en altérant les conditions environnementales dans les cours d’eau. Le
changement climatique, par exemple, modifie
Simon Blanchet, chargé de recherche CNRS,
membre de la station d’écologie expérimentale
de Moulis, Sébastien Brosse, professeur à l’UPS,
responsable de l’équipe « Ecologie aquatique et
changements globaux » (AquaEco),
Gael Grenouillet, maître de conférences à l’UPS,
et Julien Cucherousset, chargé de recherche
CNRS, tous les deux membres de l’équipe AquaEco
du Laboratoire Evolution et diversité biologique
(EDB, unité mixte UPS/CNRS/ENFA).
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les conditions de vie des poissons en réchauffant
la température de l’eau, et pourrait, dans un
futur proche, influencer la structure fonctionnelle des communautés. Nous avons en effet
montré que les espèces de poissons avaient
modifié leurs aires de distribution en réponse
au réchauffement climatique de ces dernières
décennies. Les prédictions climatiques pour la
fin du siècle suggèrent une accentuation de ces
réponses et la composition de ces communautés
en sera profondément affectée.
Espèces exotiques originales
Les modélisations mathématiques ne sont pas
les seules à donner un aperçu du devenir des
communautés. Les effets des perturbations
humaines sur le fonctionnement des écosystèmes sont aussi étudiés in situ et en laboratoire. Plusieurs lacs de la région toulousaine
sont sous surveillance et différentes hypothèses
sont testées en mésocosmes, des dispositifs où
les milieux sont reconstitués et contrôlés. Ces
approches permettent notamment de déterminer si, localement, l’introduction d’espèces nonnatives réduit ou diversifie les fonctions assurées
par les poissons. En effet, l’homme introduit en
général des espèces exotiques qui présentent
des caractéristiques fonctionnelles et trophiques
originales, voire extrêmes, par rapport à la faune
native. Les conséquences sur les réseaux trophiques de ces introductions restent encore mal
connues. n
Aux frontières de l’écologie et de la biologie
Erosion de la
biodiversité :
quel impact ?
Nous serions à l’aube d’une extinction significative des espèces. Cette
érosion de la biodiversité inquiète,
mais ses conséquences sont difficiles à cerner. Le diagnostic passe
par l’élaboration de modélisations
mathématiques.
L
es sociétés humaines modifient les systèmes naturels en profondeur. L’un des plus
grands défis du XXIe siècle sera de prendre
la mesure de ces impacts et des effets qu’ils auront en retour sur les sociétés, afin de modifier la
trajectoire de développement des sociétés pour
atténuer ces impacts. Si les conséquences des
changements climatiques sont assez bien comprises, il n’en va pas de même de l’érosion de la
biodiversité. Celle-ci est pourtant au moins aussi
alarmante que le réchauffement climatique
puisque les projections pour le XXIe siècle font
état de taux d’extinction environ dix mille fois
supérieurs aux taux moyens du passé.
La crise globale de la biodiversité appelle une
science intégrative qui transcende les frontières
disciplinaires. C’est dans ce cadre qu’a été créé
le Centre de théorie et modélisation de la biodiversité, dont la mission est de favoriser le développement de théories unifiées et de modèles
prédictifs des changements de biodiversité et de
leurs causes et conséquences écologiques, évolutives et sociales.
Michel Loreau, directeur de
recherches CNRS et Claire
de Mazancourt, chargée de
recherches CNRS, au Centre de
théorie et modélisation de la biodiversité, Station d’écologie expérimentale de Moulis (unité de service
et de recherche du CNRS).
u
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ductivité végétale plus élevée et moins variable
que les écosystèmes appauvris. Nos modèles
théoriques ont permis de clarifier et de quantifier
les mécanismes en jeu dans ces effets de la diversité végétale. En particulier, les écosystèmes
diversifiés produisent plus de biomasse car les
espèces utilisent les ressources de façon différente, et donc plus de ressources sont utilisées
lorsque plusieurs espèces sont présentes. Cette
augmentation de biomasse atténue à son tour
l’effet de la variabilité entre individus sur les variations de la biomasse végétale, amenant une
plus grande stabilité de l’écosystème. En outre,
les espèces réagissent différemment à des variations de leur environnement, de sorte que leurs
variations d’abondance tendent à se compenser
mutuellement, amenant également une plus
grande stabilité de l’écosystème en présence
d’une plus grande diversité d’espèces.
Effets sur les sociétés
Une fois les mécanismes identifiés, nos modèles
peuvent ensuite servir à prédire les effets de
l’érosion de la biodiversité sur le fonctionnement
des écosystèmes, et donc indirectement sur les
sociétés. En les couplant à des modèles qui visent
à prédire les changements de biodiversité induits
par les impacts directs ou indirects des activités humaines, ces modèles devraient, à terme,
permettre de faire un meilleur diagnostic des
changements de biodiversité à venir et de leurs
conséquences écologiques et sociales. Aux sociétés alors d’utiliser ce diagnostic pour éclairer
leurs décisions. n
Services écologiques altérés
Les écosystèmes rendent naturellement un ensemble de « services » écologiques aux sociétés.
L’un de nos axes de recherche vise à comprendre
et à prédire comment l’érosion de la biodiversité
affecte ces services rendus par les écosystèmes.
Nous développons des modèles mathématiques d’écosystèmes, en lien avec des données
d’expériences sur la biodiversité, qui permettent
de mieux comprendre les résultats de ces expériences et de prédire les conséquences écologiques de la perte de biodiversité.
Plusieurs grandes expériences menées en prairies tempérées ont notamment démontré que
les écosystèmes riches en espèces ont une pro-
Un modèle mathématique simple permet d’expliquer pourquoi la diversité augmente la productivité et
la stabilité d’un écosystème composé de plusieurs espèces de plantes. Le graphique de gauche montre
les fluctuations de la biomasse de deux espèces (rouge et bleu) en monoculture. En mélange (graphique
de droite), chaque espèce a une biomasse plus faible et plus variable qu’en monoculture à cause de la
compétition, mais la biomasse totale de la communauté (noir) est néanmoins plus élevée et plus stable
car les deux espèces diffèrent par leur façon d’utiliser les ressources et de répondre aux variations de
l’environnement. La largeur des bandes colorées donne une mesure de la variabilité de chaque série
temporelle (écart-type du logarithme de la biomasse).
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