production de biens matériels. On sait chercher de l’argent pour produire des biens matériels, alors que la production et
la diffusion de biens immatériels, plus incertaines et foisonnantes, reposent sur des leviers différents. Ça n’est pas la
première fois que le monde change et que les conditions de production peinent à suivre. Aujourd’hui, si l’on veut financer
une économie de la créativité, de l’innovation, du savoir, il faut aller vers une plus forte socialisation non seulement des
risques liés à la production, mais aussi des résultats financiers obtenus à l’aval des filières.
Si je prends l’exemple de la recherche, on sait bien que les entreprises doivent mutualiser leurs efforts de recherche. Car
il faut financer de très nombreuses idées pour en avoir une qui fonctionne effectivement. Si une entreprise restreint trop
son département recherche et innovation, elle va avoir tendance à prendre moins de risques et à favoriser ce qui
fonctionne dès le premier essai. Mais ce faisant, elle se coupe de nombreuses autres pistes, qui semblent au premier
abord plus risquées, plus aléatoires, mais dont une minorité peut s’avérer au contraire extrêmement porteuse.
Quelles sont les possibilités offertes aux acteurs culturels pour trouver d'autres sources de financement privé ?
Que pensez vous du mécénat ?
Le mécénat n’est pas une alternative. C’est un système qui a été mis au point dans une économie classique mais qui est
peu pertinent pour une économie de l’innovation telle qu’elle se dessine de plus en plus nettement pour l’art et la culture.
C’est une stratégie de fonds de tiroir, une manière de repousser une échéance, mais ça n’est pas en privatisant les «
subventions » que l’on parviendra à faire fonctionner un domaine comme celui des arts et plus largement une société du
savoir. Une économie créative est une économie risquée : ça ne peut donc pas être en privatisant les découvertes et les
profits qui y sont liés, tout en refusant de mutualiser les risques et les résultats, qu’on peut parvenir à la faire fonctionner.
J’ajoute que le mécénat artistique va essentiellement aux grandes institutions, aux grandes expositions, aux opéras. Le
mécénat ne va jamais, ou très peu, vers les structures innovantes ou qui prennent vraiment des risques. On trouvera
toujours des exemples à m’opposer, il y aura toujours une fondation, un mécène sur le terrain, qui va agir pertinemment
sur des projets risqués portés par des groupes émergents, mais ça ne constitue aujourd’hui que des exceptions.
Peut-être y aurait-il une alternative plus efficace pour le mécénat, à partir du moment où il serait encadré et piloté par de
grandes fondations qui auraient les capacités pour évaluer la pertinence de projets artistiques et culturels audacieux et
une réelle volonté de s’y engager. Ayant aussi pour mission de prendre des risques et de mutualiser les réussites, on ne
pourrait pas leur reprocher les inévitables et toujours nombreuses « non réussites » propres aux productions du champ
artistique et culturel. Pour l’instant, le mécénat reste un système d’appoint, qui ne parviendra pas, en l’état, à faire face à
la mutation systémique à laquelle nous sommes pourtant déjà confrontés.
N'y-a-t-il pas sur le mécénat une très forte concurrence avec d’autres secteurs comme l’humanitaire, la santé, le
sport et maintenant les universités ?
Oui, c’est vrai aussi. Il est en effet bien plus complexe pour le secteur artistique et culturel de dire « voilà, vous allez nous
aider pour réaliser ceci ou cela ». Alors que pour l’humanitaire, on peut mobiliser des arguments beaucoup plus directs :
« Vous donnez trente Euros et cinq enfants seront vaccinés ». C’est plus clair, il y a un rapport immédiat de cause à
effet. Alors que le champ du savoir et de l’art propose des formes pour lesquelles il n’y a bien souvent pas de besoins
prédéfinis. La seule manière, pour un mécène, de limiter les risques, sera de miser sur une tête d’affiche, et encore
n’est-il pas sûr de gagner à tous les coups.
En fait, ne raisonner qu’en termes monétaires est une mauvaise piste. Il faut raisonner sur une mutualisation des
moyens, sur des systèmes qui permettent d’associer une compétence, de trouver un local, de bénéficier d’un apport en
nature, d’un réseau d’alliés… Une compagnie par exemple n’a pas seulement des besoins monétaires, c’est tout un
environnement qu’il faut mettre en place. Il faut favoriser un véritable éco-système relationnel et qualitatif, qui ne se base
pas seulement sur des échanges monétaires, même si les capacités de financement demeurent un élément important.
A-t-on sur ces questions des études fiables, des données sérieuses, des recherches parlantes ?
Actuellement, le système français de soutien par la fiscalité au mécénat est très ouvert, très généreux. Mais on a peu
d’études. Bercy sait sans doute combien coûte au budget de l’État le système d’exonération sur les dons aux
associations, sans pour autant savoir quelle est la part faite au domaine artistique ou culturel. Pour l’instant, on n’a pas
de données fines suffisamment fiables (au-delà de celles de l’ – Association pour le développement du mécénatAdmical
industriel et commercial) et en effet, il serait intéressant que des chercheurs soient autorisés à en produire à partir des
différentes sources disponibles.
Cela dit, l’intérêt de ce type de mesure d’incitation fiscale pour les arts et la culture est réel – quoique mesuré comme je
l’ai dit – et surtout quand il permet une réelle démarche relationnelle et coopérative. Localement, quantité de petites
associations sont ainsi aidées par des contributions individuelles ou collectives qui sont souvent modestes. Je vais