216
revue des questions scientifiques
«incurable». Le comportement n’y échapperait pas et être disculpé sous le
motif: «Ce n’est pas moi, ce sont mes gènes!»pourrait faire jurisprudence1:
condamné par les gènes, il semblerait qu’on ne pourrait plus l’être par la jus-
tice! Mais, si le verdict génétique est sans appel, alors devant le grand tribunal
de la sélection naturelle qui juge de l’essor ou de l’extinction des espèces, la
nôtre, aectée comme elle l’est dans ses gènes, n’aurait-elle plus aucun recours
à opposer à la fatalité? Or, c’est ici que, précisément, C. de Duve nous assure
d’une possibilité de «rédemption» du «péché originel». Une réaction de sa-
gesse seule pourrait, dit-il, conjurer le destin fatidique de l’espèce. Mais,
ajoute-t-il, elle ne pourra venir de la «génétique» et sera nécessairement «épi-
génétique». L’auteur forge-t-il là, pour la cause, un nouveau concept ? En
réalité, les termes de «génétique» et «épigénétique» sont l’un et l’autre très
anciens et, bien que créés dans des contextes à l’origine distincts, ils sont aussi
profondément complémentaires; leur association par C. de Duve dans le
cadre où il les utilise est parfaitement pertinente.
Le but de cette note est de préciser l’acception de ces termes, loin d’être
univoques, et de montrer comment elle a évolué et évolue encore dans le pa-
norama de la biologie actuelle.
Au préalable, nous ferons une brève évocation des conceptions fonda-
trices de la biologie moderne qui servent de trame à la pensée de C. de Duve.
Mendel, Darwin et la synthèse moderne.
La dernière moitié du xixe siècle va modier radicalement le regard porté jusque
là sur le phénomène vivant, suite à quelques avancées scientiques majeures. Louis
Pasteur, rappelons-le exclut la génération spontanée : le vivant autour de nous, pro-
cède du vivant avec ses caractéristiques, ses propriétés, disons d’un mot, sa «forme»
spécique. Toutefois, si la production de vivants ou re-production est assortie de
constance (sans laquelle la classication serait vaine) elle manifeste aussi de la varia-
tion (qui rend la classication dicile). Il y a une constance dans les formes: les es-
pèces existent bel et bien et l’héritage ou l’hérédité est cette part des caractéristiques
d’un ascendant, transmissible à ses descendants. Mais la multiplication n’est jamais
(re)production à l’identique: la variation est omniprésente. Elle s’observe dans la
1. Un jugement rendu en appel par la cour deTrieste a récemment allégé une peine sous le
motif de «vulnérabilité génétique» du condamné.