La Lettre du Psychiatre • Vol. IX - no 1 - janvier-février 2013 | 17
Résumé
Parmi les troubles psychiatriques, le trouble bipolaire est l’un de ceux qui exposent le plus à des décompen-
sations psychiatriques durant la grossesse et le post-partum. Aux décompensations thymiques gravidiques,
qui exposent particulièrement à des manifestations aiguës de psychose puerpérale après la naissance de
l’enfant, s’ajoute un risque sur le développement de l’enfant à partir d’éventuelles altérations de la qualité
des interactions précoces mère-bébé. La prise en charge, qui doit être pensée dès la planification ou le début
de la grossesse, doit autant envisager le contrôle optimal de la symptomatologie pendant la grossesse que
la prévention des décompensations postnatales, et implique la participation des différents partenaires d’un
réseau élargi au milieu obstétrical, aux professionnels de l’aide à la parentalité et aux parents.
Mots-clés
Trouble bipolaire
Parentalité
Grossesse
Post-partum
Summary
Bipolar disorder is one of the
worst psychiatric conditions
with a high risk of recur-
rences during pregnancy and
postpartum. Suffering exists
for both mothers and fathers.
Gravidic depressive or manic
recurrences, with a subse-
quent risk for acute puerperal
psychoses after childbirth,
are very frequent. Risk exists
for the development of an
impaired mother-baby interac-
tion. Specific cares are needed,
as early as possible, at the time
of pregnancy planning or in the
early stages of the pregnancy.
The target for clinician is to put
the symptoms under control
during the antepartum and
to prevent mood recurrences
from disrupting the postnatal
period. These cares are imple-
mented through a collaborative
network with maternity wards,
parenthood help workers, and
the parents themselves.
Keywords
Bipolar disorder
Parenthood
Pregnancy
Postpartum
pendant la grossesse, la stabilité de l’humeur durant
celle-ci et le risque de rechute thymique dans les
3 premiers mois du post-partum (5).
Il convient également de souligner les risques
évolutifs obstétricaux négatifs associés au trouble
bipolaire. Ceux-ci ont pu être mis en évidence dans
une étude de cohorte suédoise portant sur plus de
330 000 femmes ayant accouché (874 bipolaires).
La proportion de césariennes et de naissances avant
terme s’est avérée significativement supérieure dans
le groupe de femmes bipolaires (6).
Conséquences
sur la relation avec l’enfant
et son développement
Il n’existe que peu de données, dans la littérature, qui
explorent de manière spécifique les modalités inter-
actives entre les parents bipolaires et leur bébé, en
particulier entre la mère souffrante et son enfant. En
contraste avec ce qu’on décrit avec la schizophrénie,
il semble être établi que l’influence sur l’enfant et
son développement soit moins marqué, peut-être en
raison de modalités de fonctionnement, en particu-
lier cognitif et interactionnel, moins déficitaires au
long cours. De même, les accès de psychose puer-
pérale brefs et limités dans le temps pourraient être
sans conséquence sur le développement de l’enfant.
Il conviendrait cependant de distinguer, d’une part,
les influences respectives des différentes dimensions,
thymique, comportementale et cognitive sur les
interactions précoces et, d’autre part, les consé-
quences de la maladie sur la capacité de la mère à
assurer une continuité des soins sécurisante et une
disponibilité comportementale et interactionnelle
satisfaisante. Il conviendrait également de distinguer
les influences respectives de manifestations aussi
différentes qu’un état maniaque, un état dépressif
ou des fluctuations rapides de la polarité thymique.
Ainsi, si, dans le cadre aigu d’une décompensation
psychotique puerpérale, il est nécessaire d’évaluer et
de prévenir le risque d’un éventuel infanticide, l’évo-
lution chaotique caractéristique du trouble bipolaire,
avec la dysrégulation émotionnelle qui lui est asso-
ciée, soumet le bébé aux comportements d’un parent
malade imprévisible et en capacité réduite de pouvoir
réguler les émotions propres de l’enfant. L’existence
d’un épisode maniaque expose de même l’enfant à
un parent dont les comportements et les capacités
parentales sont altérées par la symptomatologie. Le
cadre de la décompensation dépressive renvoie aux
altérations interactionnelles et aux conséquences sur
l’attachement de l’enfant à sa mère (7) : interactions
et échanges émotionnels quantitativement moins
fréquents et qualitativement peu variés, risque de
désorganisation et d’instabilité comportementales
et affectives du bébé, voire de repli.
Des études maintenant anciennes retrouvent des
modalités comportementales attribuées à l’existence
d’un trouble parental bipolaire. Y.B. Davenport et al.
ont, dans les années 1980, comparé des familles dont
l’un au moins des parents était bipolaire sévère à
des familles témoins. L’étude a mis en évidence que
les mères bipolaires étaient moins attentives aux
besoins de santé de leur enfant, qu’elles les encou-
rageaient moins face aux expériences nouvelles,
qu’elles avaient plus d’affects négatifs envers eux,
étaient moins actives, plus surprotectrices, plus
désorganisées, moins heureuses, plus tendues et peu
efficaces (8). Dans une autre étude, T.J. Gaensbauer
a mis en évidence des liens d’attachement moins
sécurisants et des déficits de régulation émotionnelle
chez les enfants avec au moins 1 parent bipolaire, ces
anomalies augmentant de manière significative avec
l’âge de l’enfant jusqu’à 18 mois (9). Il semblerait
en effet que les dépressions sévères unipolaires et
bipolaires aient un effet sur la qualité de l’attache-
ment, même si, par rapport à la schizophrénie et en
dehors de manifestations symptomatiques aiguës,
l’existence d’un trouble de l’humeur chronique ne
semble pas exposer l’enfant à des interactions néga-
tives spécifiques en post-partum très précoce (10).
Par ailleurs, une méta-analyse montre que le taux
de troubles psychopathologiques observés varie
considérablement, sans doute du fait des différences
méthodologiques entre les études, de 23 à 92 % pour
les enfants dont 1 des parents souffre d’un trouble
bipolaire (11).
Les données les plus récentes ont tenté de mettre en
évidence les effets des traitements médicamenteux
prescrits durant la grossesse sur le développement
ultérieur de l’enfant. Si la prise de lithium, dont l’effet
tératogène doit conduire à une prudence spécifique