C h r o n i q u e d u d r o i t Actualités de jurisprudence ! G. Devers* RESPONSABILITÉ SUITE À UNE HOSPITALISATION D’OFFICE * Avocat au barreau de Lyon. Une personne fait l’objet d’un arrêté d’hospitalisation d’office signé par le préfet le 4 septembre 1989. Le premier renouvellement est opéré dans des conditions régulières mais le préfet omet de régulariser la situation le 5 octobre 1989 et, en l’absence de décision préfectorale de sortie, le directeur d’établissement maintient l’hospitalisation. Saisi ultérieurement, le tribunal administratif annule l’arrêté préfectoral initial d’hospitalisation d’office du 4 septembre 1989, pour des motifs qui ne seront plus ultérieurement contestés. En outre, la personne hospitalisée sans consentement a également demandé l’annulation de la “décision” du directeur d’établissement qui l’avait maintenue hospitalisée malgré le nonrenouvellement de la mesure préfectorale. Ce recours est rejeté parce qu’il a été dirigé contre le directeur de l’établissement. Conseil d’État – 5 juin 1996 – RDSS 1997, p. 38 Le requérant a vécu un grand moment d’illégalité : l’arrêté préfectoral initial qui avait prononcé l’hospitalisation d’office est annulé pour des motifs qui n’ont pas été repris par le Conseil d’État car ils n’étaient plus contestés. On peut donc penser à une insuffisance nette de motivation. Par ailleurs, l’arrêté préfectoral n’a pas été renouvelé au terme d’un mois, de telle sorte que l’illégalité était acquise. Or, faute d’avoir reçu levée explicite de l’hospitalisation par le préfet, le directeur avait provisoirement refusé de faire droit à cette personne hospitalisée qui demandait sa sortie. Malgré ce cumul d’illégalités, le recours engagé est rejeté. La réponse du Conseil d’État tient en quelques mots : l’hospitalisation d’office est une décision qui relève de la compétence exclu- Correspondances en médecine - n° 2 - octobre 2000 sive du préfet, et le directeur d’établissement est alors un simple exécutant. À l’inverse, l’hospitalisation sur demande entière est une décision du directeur d’établissement et engage la responsabilité de l’établissement. Cette personne, qui a été hospitalisée en toute illégalité depuis l’origine jusqu’à sa sortie effective, garde encore une possibilité d’indemnisation, mais qui doit être dirigée contre l’État, le préfet étant représentant de l’État. Ces décisions concernent des faits antérieurs à l’application de la loi du 27 juin 1990, mais la solution reste inchangée. REFUS DE SOIN ET AGGRAVATION DES DOMMAGES Le conducteur d’un camion est grièvement blessé à l’occasion d’un accident de la circulation. Il subit un préjudice corporel important et obtient la condamnation de l’assurance à lui verser une indemnisation sous forme d’un capital. La compagnie d’assurance proteste, demandant que soit allouée une rente et non un capital afin qu’il puisse être tenu compte d’une possible évolution favorable qui pourrait résulter d’une nouvelle intervention chirurgicale. La victime s’oppose à la compagnie d’assurance, n’entendant pas subir cette intervention qui consisterait en la pose d’une prothèse. Pour la Cour de cassation, la compagnie d’assurance ne peut tirer d’argument de ce refus de soin. Elle cite les termes de l’article 16-3 du Code civil qui rappelle solennellement la nécessité du consentement avant tout acte médical. Cour de cassation – 2e chambre civile – 19 mars 1999 – Bull. civ. n° 86 p. 48 Libre d’accepter les soins, le patient est libre de les refuser dès lors qu’il est conscient et en mesure d’apprécier les conséquences de son choix. C’est ce qu’énonce explicitement l’article 73 C h r o n i q u e 16-3 du Code civil. Le droit ne méconnaissait pas auparavant la règle, mais la déduisait de l’analyse du principe de libre disposition du corps humain. On retrouve la règle avec l’article 36 du Code de déontologie médicale : “Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences”. Ainsi, le droit reconnaît la validité du refus de soin. Notamment, il a toujours été jugé que le médecin doit s’incliner devant un refus de soin, hors le cas d’urgence ou de nécessité vitale. En revanche, la décision du patient de refuser les soins peut être jugée fautive à l’égard des tiers, et notamment de l’assureur qui doit indemniser le dommage. La limite était traditionnellement fixée au regard du caractère bénin des soins et appréciée par une absence de risque réel ou de souffrance. En visant l’article 16-3, la Cour de cassation fixe une règle plus stricte. Toute intervention chirurgicale peut être refusée parce qu’elle comporte un aléa lié à l’anesthésie. Dès lors, la compagnie d’assurance ne peut soutenir que ce refus est fautif à son égard. EXISTENCE D’UN CABINET SECONDAIRE Un médecin spécialiste en ophtalmologie installé à Toulouse pratique des interventions chirurgicales sur des patients atteints de la cataracte dans une polyclinique située à Castres. Le Conseil départemental de l’ordre estime que, compte tenu de leur caractère habituel et régulier, les opérations auxquelles se livre le praticien caractérisent l’existence d’un cabinet secondaire. Le praticien conteste, en relevant que les patients lui sont adressés par des confrères qui ont établi eux-mêmes le diagnostic et qu’ils n’assurent pas le contrôle postopératoire. Pour l’instance ordinale, confirmée par le Conseil d’État, le fait qu’il s’agisse d’une intervention ponctuelle ne suffit pas à retirer la qualification de cabinet secondaire. En outre, la juridiction relève que, compte tenu de la distance de soixante kilomètres, le praticien n’était pas en mesure d’organiser un suivi correct des patients. Enfin, il est souligné que plu- 74 d u d r o i t sieurs médecins spécialistes de la même discipline exercent leur activité dans la ville de Castres. Dès lors, bien que les techniques utilisées par le praticien présentent un caractère novateur, l’existence du cabinet secondaire qu’il exploite à Castres n’est pas justifiée par les besoins des malades. Conseil d’État – 18 février 1999 Jurisdata 050277 Le Code de déontologie défend l’unicité du cabinet dans les conditions suivantes : “Un médecin ne doit avoir en principe qu’un seul cabinet. La création ou le maintien d’un cabinet secondaire, sous quelque forme que ce soit, n’est possible qu’avec l’autorisation du Conseil départemental. Cette autorisation ne peut être refusée par le Conseil départemental ou les Conseils départementaux intéressés si l’éloignement d’un médecin de même discipline est préjudiciable aux malades”. L’instance ordinale retient une interprétation extensive de cet article. Elle ne se satisfait pas d’apparences formelles, mais cherche à vérifier si les données d’exercice pratique correspondent bien à la réalité d’un exercice en cabinet secondaire. Ainsi le cabinet secondaire est d’abord une notion de fait qualifié par la juridiction. S’appliquent ensuite les critères de validité du cabinet secondaire, c’est-à-dire la nécessité de répondre à un besoin de santé, la capacité d’assurer un suivi correct et l’absence de praticiens de même spécialité. Cet arrêt du Conseil d’État témoigne d’une grande fermeté. L’acte médical ne peut se réduire à un geste technique, mais intègre la continuité des soins, et l’on sait que la responsabilité du chirurgien inclut le postopératoire. Il n’est pas interdit à ce praticien de pouvoir exercer occasionnellement sa technique à la demande de confrères, mais l’organisation, qui semble accorder la prime à l’acte technique sur le caractère relationnel, conduit l’Ordre à refuser l’autorisation. En l’état, il s’agit d’une décision administrative d’interdiction d’ouvrir un cabinet secondaire. Si le praticien passe outre, en usant de subterfuges formels, l’affaire peut alors être appréciée sur le plan disciplinaire, pour le refus d’appliquer une décision administrative. Correspondances en médecine - n° 2 - octobre 2000