La quarantaine venue, le voilà de l'autre côté de la clôture. Il essaie d'abord de valoriser le début de
sa thèse sur la règle d'or, mais, faute de financement pour sa recherche, il doit se réorienter. «Sans
formation professionnelle, sans métier, j'ai dû tout réinventer.» Fin 1973, il se marie, puis trouve
un emploi dans un organisme de formation permanente d'ingénieurs et de cadres. Il se forme au
management, à l'économie et à la gestion. «Je me suis fait une nouvelle culture, une culture
d'entreprise», résume-t-il. Dans ces années, la sociologie des organisations est en train d'exploser.
«C'était l'époque où on remettait en cause le travail à la chaîne. On voulait inventer une nouvelle
organisation, prenant en compte les salariés.» Entreprenant, Olivier Du Roy crée bientôt un
cabinet de conseil en organisation. Il travaille avec d'importants groupes industriels comme BSN-
Gervais Danone, Pechiney ou Arcelor. «C'était une époque où les grands managers comme
Antoine Riboud ou Jean Gandois avaient une véritable vision de l'entreprise, se souvient-il. Avec
l'idée que son projet économique ne pouvait réussir que si celle-ci tenait compte de l'homme et du
développement de son capital humain.» Entre ses deux vies très contrastées, Olivier Du Roy voit
une continuité, son intérêt pour «la conduite du changement». «J'ai commencé à mener des projets
de changement dans un univers, la vie religieuse, où c'est le plus difficile parce qu'il est fait de
convictions, de passions et d'idéologies. J'ai beaucoup appris de ce point de vue à Maredsous.»
Mais oublie-t-on jamais ses premières amours? Après une parenthèse de plus de trois décennies,
Olivier Du Roy a renoué avec la philosophie. Posément, sans excitation, ni amertume, il a exhumé
ses dossiers sur la règle d'or. Il s'est remis à fureter dans les bibliothèques, traquant dans un travail
«un peu policier» ses occurrences dans la littérature mondiale. Aujourd'hui, il voudrait défendre
l'héritage de cette tradition morale, que Kant considéra avec mépris et que Bernard Shaw ridiculisa
dans sa célèbre boutade: «Ne fais pas aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent. Leurs goûts
peuvent différer des tiens.» «Évidemment, c'est drôle, sourit-il, mais c'est un malentendu
complet...»
S'il a retrouvé le chemin de la philosophie, Olivier Du Roy n'a pas franchement repris celui de
l'Église. Il a bien gardé de «solides convictions» et des liens d'amitié avec d'anciens confrères,
mais confesse ne pas être très pratiquant. Il faut l'interroger pour qu'il émette un jugement sur ces
années de «crise catholique», selon l'expression de l'historien Denis Pelletier. «Ce fut une
hémorragie incroyable», confie-t-il en pensant aux départs de religieux et d'intellectuels
catholiques de sa génération. Actuellement, la situation lui paraît «bloquée»: «L'Église n'arrive
pas à affronter la modernité et un monde séculier; à envisager une nouvelle place pour les femmes
ou la possibilité de prêtres mariés, alors que le clergé est exsangue, analyse-t-il. Elle se maintient
dans un univers sacral qui ne parle plus à nos contemporains, ou qui suscite une aspiration
religieuse à l'égard de laquelle la foi chrétienne devrait être assez exigeante et critique.»
À l'entendre, il n'en faudrait pas beaucoup pour. qu'il reprenne goût au débat ecclésial. «Pendant
tout un long temps, je n'ai plus trop pensé à tout cela, reconnaît-il. Maintenant, j'y reviens un peu,
avec l'idée d'écrire peut-être quelque chose sur cette période, avec d'autres...»
ÉLODIE MAUROT
REPÈRES Une morale «inventive et exigeante»
• La Règle d'or, le retour d'une maxime oubliée est un «ouvrage philosophique», insiste Olivier Du Roy. Tout en
soulignant le rôle majeur de la règle d'or dans la pensée chrétienne, il veut en effet démontrer son universalité. L'auteur
met en évidence deux formulations, l'une centrée sur l'empathie, l'autre sur la justice. La première prescrit: «Ne fais pas
aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse.» La seconde recommande: «Ce que tu réprouves chez autrui, ne le
fais pas toi-même.»
• «Morale sans contenu prescriptif, sans interdit a priori, sans listes closes d'interdits ou de préceptes, elle est une
morale inventive et exigeante, fondée sur l'autonomie du sujet, mais décentrée de soi, car prenant comme seule source
d'obligation l'autre lui-même, comme un sujet aussi important que moi», écrit l'auteur.
• L'ouvrage a été publié l'été dernier au Cerf [174 p., 18 €]