LA LIBERTÉ
VENDREDI 18 JANVIER 2008
10 HISTOIRE VIVANTE
Hitler comptait sur la bombe atomique pour gagner la guerre. Comme d’autres «armes secrètes», elle est arrivée trop tard. KEYSTONE
UNE LONGUE
ENQUÊTE
L’historien Rainer Karlsch
reçoit en 2001 une lettre qui
l’énerve. Dans ce courrier, le
journaliste Heiko Petermann,
qui enquête sur d’éventuelles
expérimentations de bombes
atomiques dans le Reich, lui
demande s’il sait de combien
de tonnes d’uranium dispo-
saient les nazis durant la
guerre. «J’eus l’impression
qu’il se moquait de moi»,
résume le chercheur allemand
qui, comme la majorité des
spécialistes de la période, esti-
mait impossible qu’Hitler ait
pu développer une arme
nucléaire. Et pourtant Peter-
mann présente à Karlsch des
témoins certifiant qu’ils ont vu
un brillant éclair de lumière et
une colonne de fumée en mars
1945. Dans un premier temps,
Karlsch doute de ces informa-
tions. Les physiciens alle-
mands n’avaient-ils pas fait
tout leur possible pour torpiller
le projet de bombe atomique
nazie? Ils l’avaient d’ailleurs
juré sur l’honneur aux alliés qui
les avaient fait prisonniers
après la guerre. Et où sont les
preuves, se dit l’historien qui
se prend tout de même au jeu.
Avec succès. Après plusieurs
années de recherche dans des
fonds d’archives inexploités en
Allemagne, mais aussi en
Russie et en Angleterre, il
découvre des documents
inédits démontrant que les
scientifiques nazis savaient ce
qu’était une bombe au pluto-
nium. Il se rend aussi compte
que de nombreuses preuves
ont été détruites par ces
mêmes scientifiques. Histoire
de conserver leur place dans la
communauté scientifique
internationale. Mais c’est sur le
terrain, là où les bombes
auraient explosé, que Karlsch
trouve la preuve d’une activité
nucléaire. Des scientifiques
analysent les sols et confir-
ment la présence, entre autres,
de césium 137 et de cobalt 60.
La boucle est bouclée même
s’il manque encore la preuve
visuelle des essais, regrette
l’historien en ajoutant qu’un
film au moins a été tourné lors
d’une des explosions et qu’il
est tombé dans les mains de
Staline en 1945. Mais voilà, il
s’est perdu dans les archives
russes. Officiellement du
moins.
PV
Hitler avait la bombe nucléaire
INÉDIT •
Bien avant les Américains,les nazis ont réussi plusieurs essais atomiques entre
la fin 1944 et le printemps 1945.Trop tard pour changer le cours de la guerre.Récit.
PATRICK VALLÉLIAN
«Grand éclair. Feu,
beaucoup de morts
tout de suite. Avec
grandes brûlures.
Beaucoup aveugles…»
Oleg agonise. Mais
avant de mourir de ses
brûlures, ce prisonnier de guerre sovié-
tique du camp de concentration nazi
d’Ohrdruf, dans le centre de l’Alle-
magne, se confie à un compatriote en
cherchant ses mots. Il lui explique ce qui
vient de se passer. La gigantesque explo-
sion qui l’a aveuglé avant de tout carbo-
niser autour de lui.
Sans le savoir, Oleg est l’une des pre-
mières victimes de l’ère atomique.
Comme plusieurs centaines d’autres
cobayes, dont certains se sont littérale-
ment volatilisés, il a été exposé à un test
nucléaire organisé dans le plus grand
secret par les nazis le 3 ou 4 mars 1945.
Deux mois avant la fin de la Seconde
Guerre mondiale en Europe.
A l’époque, les Allemands se replient
de toutes parts. La défaite totale est
proche. Reste un espoir pour les nazis:
leurs «armes miracles», ces avions, ces
fusées ou ces sous-marins (lire ci-des-
sous) qui pourraient changer le cours de
la guerre. Mais ce que Hitler attend avec
le plus d’impatience, c’est un nouveau
type d’explosif. Une bombe si puissante
qu’elle «détruirait toute vie humaine
dans un rayon de trois à quatre kilo-
mètres du point d’impact», explique le
Führer en août 1944 à Ion Antonescu,
chef de l’Etat roumain.
Une bombe tactique
Les physiciens allemands y tra-
vaillent sans relâche depuis 1942. De-
puis que l’état-major de la Wehrmacht
et les SS ont libéré de gros budgets pour
réaliser la bombe. Sans succès, préten-
daient les alliés après la guerre, en ajou-
tant que les scientifiques nazis étaient
très en retard sur leurs collègues améri-
cains et britanniques.
Faux, rétorque aujourd’hui Rainer
Karlsch. Dans son livre «La bombe de
Hitler» (Calmann-Levy), l’historien alle-
mand prouve que les nazis ont testé plu-
sieurs bombes nucléaires tactiques
entre octobre 1944 et mars 1945. Soit
bien avant les attaques américaines qui
détruiront les villes japonaises d’Hiro-
shima et de Nagasaki en août 1945.
Mais, précise d’emblée le chercheur
berlinois, le potentiel de destruction de
la bombe nazie était bien inférieur à ce-
lui des deux bombes atomiques améri-
caines. La raison en est simple: les Alle-
mands n’avaient pas assez de matériaux
fissibles, comme l’uranium enrichi par
exemple, pour construire des bombes A.
Reste que c’était une question de temps.
Si les nazis avaient pu prolonger la guer-
re d’une année, ils auraient très certaine-
ment disposé d’armes aussi dévasta-
trices que celles des Américains.
Comme en plein jour
Mais revenons à cet essai nucléaire
dont Staline saura tout dès le 23 mars
grâce aux rapports de ses espions qui
décrivent avec précision l’onde de choc,
les hautes températures, les bâtiments
soufflés et les prisonniers de guerre
anéantis. Cläre Werner, une habitante
de la région d’Ohrdruf, raconte qu’elle a
vu vers 21h30 un éclair très vif, rou-
geâtre à l’intérieur, jaunâtre à l’exté-
rieur. Il a illuminé le paysage de telle
sorte qu’elle aurait pu lire le journal sans
problème. Un autre témoin parle des
habitants des environs qui, les jours sui-
vants, souffrent de migraine et qui cra-
chent du sang. Il décrit aussi les effets
dévastateurs de la bombe, notamment
sur les 700 ou 800 prisonniers de guerre
sacrifiés à cette occasion.
«Les chairs nues et à vif»
«Tous ces gens n’avaient plus aucun
cheveu. Certains avaient des cloques de
brûlure sur la peau, les chairs nues et à
vif…» D’autres témoins prétendent que
des sentinelles SS ont été tuées lors de
l’essai. Preuve que les nazis avaient été
dépassés par la force de leur création,
qu’ils appelaient «bombe de la désagré-
gation» comme l’a entendu Luigi Ro-
mersa en octobre 1944.
Ce journaliste italien avait été en-
voyé par Mussolini pour constater de
visu les avancées technologiques alle-
mandes. Il se trouvait alors sur un autre
site d’essai nucléaire, l’île de Rügen dans
la mer Baltique. «Nous avons ressenti un
véritable tremblement de terre», té-
moigne-t-il dans le livre de Rainer
Karlsch. «Nous avons vu très clairement
un éclair, une lumière incandescente,
puis une grande paroi de fumée s’est
dressée devant nous.»
Alors pourquoi les Allemands n’ont-
ils pas utilisé leur «arme miracle» finale-
ment? Selon l’historien allemand, la
bombe nucléaire nazie n’était pas prête
pour une application militaire. Il lui
manquait notamment un vecteur, un
avion ou une fusée, pour bombarder les
villes ennemies.
En outre, les pontes nazis, à la diffé-
rence de Hitler, ont compris, dès la fin
du mois de mars 1945, que les
quelques armes atomiques qu’ils
pourraient fabriquer n’arrêteraient
pas l’avancée des Soviétiques, des
Américains et des Britanniques. Et,
surtout, leur utilisation sur le front au-
rait provoqué la vengeance des alliés
qui auraient eu beau jeu de détruire
l’Allemagne sous un tapis de
bombes… traditionnelles. La guerre
était perdue. Il fallait arrêter les frais et
éviter, si possible, le peloton d’exécu-
tion pour crime de guerre.
I
Des armes redoutables mais développées trop tard
PASCAL FLEURY
Leader en matière de sciences et de
techniques au début des années 1940,
l’Allemagne pouvait compter sur une
véritable «armée» de physiciens et d’in-
génieurs pour inventer et développer
des armes redoutables contre les alliés.
Des armes «secrètes» qui auraient pu as-
surer à Hitler la suprématie dans les airs,
sur terre et dans les mers, mais qui sont
arrivées trop tard, étaient trop chères,
trop peu nombreuses ou mal exploitées.
Exemples.
MESSERSCHMITT262
En avance sur
son temps, le Messerschmitt ME262 est
le premier avion à réaction opérationnel
au monde. Sa vitesse maximale de
860km/h lui permettait théoriquement
de maîtriser le ciel. Hitler voit d’abord
dans cet avion maniable et bien armé
un «bombardier-éclair» idéal pour ap-
puyer ses troupes au sol. Une erreur tac-
tique qui reportera l’engagement du
chasseur à l’été 1944, trop tard pour
contrer le déferlement des bombardiers
alliés en Allemagne. Le général Adolf
Galland l’avait pourtant testé avec en-
thousiasme en mai 1943 déjà, s’étant
senti comme «poussé par des anges».
A la fin de la guerre, environ 1400 ap-
pareils avaient été construits, mais la
moitié seulement rendus opérationnels.
Beaucoup de ME 262 ont été pris par les
alliés et nombre de moteurs ont servi en
Occident et en URSS au développement
des premiers jets. Les Américains s’en
sont inspirés pour produire leur pre-
mier chasseur à réaction, le F-86 Sabre.
MISSILESV2
Contrairement aux très
imprécis et bruyants avions sans pilote
V1, qui finissaient en vol plané sur leur
cible, les missiles V2 étaient révolution-
naires. Ancêtres des missiles balistiques
et des fusées Saturn V, les V2 avaient une
portée de plus de 300km et pouvaient
transporter près d’une tonne de charge
explosive. Le premier essai réussi re-
monte à octobre 1942. Entre septembre
1944 et mars 1945, plus de 3000 V2 ont
été lancés, principalement vers
Londres, Anvers, Norwich, Liège et Pa-
ris, tuant 5000 civils, mais sans réel im-
pact sur les militaires. L’inventeur du
missile V2, Wernher von Braun, devien-
dra plus tard directeur du centre de vol
spatial de la NASA et dirigera les pro-
grammes de vols habités Mercury, Ge-
mini et Apollo.
U-BOOT TYPE XXI
Winston Churchill
en parlait comme le «cauchemar» de ses
nuits à la fin de la guerre. Le sous-marin
type XXI allemand dépassait les 30km/h
en plongée et pouvait rester 60 heures
sous l’eau à 9km/h grâce à des batteries
électriques. Equipé d’un sonar perfec-
tionné et de radars de détection des ba-
teaux et avions, il pouvait tirer 18 tor-
pilles en 20 minutes. Son moteur diesel
«respirait» même sous l’eau, grâce à un
captage d’air à côté des périscopes, le
«schnorkel». Le submersible ne fut ce-
pendant prêt pour le combat qu’en
1945, trop tard pour changer l’issue de la
bataille de l’Atlantique. Les grandes
puissances s’en sont inspirées jusque
dans les années 1960.
I