elle-même par la grâce de « l’auto-effectuation de la raison »1, à rien de
moins que l’idéalisme phénoménologique transcendantal, ont depuis bien
longtemps été critiqué par tout un courant de Gegenaufklärung — en ce qui
concerne Husserl, je pense en particulier aux critiques de Gérard Granel — et
l’on serait en peine de trouver aujourd’hui quelqu’un pour les défendre.
Toutefois, comme le note L. Perreau dans sa riche introduction, le
registre de la téléologie, auquel Husserl fait appel dans sa philosophie de
l’histoire de la philosophie, est inséparable de la phénoménologie génétique,
c’est-à-dire de la réflexion sur la formation des objets de la conscience. Dans
cette perspective, il s’agit d’être attentif aux arguments avancés par Husserl
pour expliciter le parcours de l’esprit qui advient à la phénoménologie
idéaliste transcendantale : un mouvement spirituel qui semble se réaliser,
dans la reprise consciente par les sujets-philosophes de l’idéal de la philo-
sophie, par-devers cette reprise consciente. On retrouve de cette façon, dans
ces textes de Husserl sur la tâche du philosophe, une variation de ce qui se
joue dans la sphère de la pure passivité — quoiqu’ici non plus simplement
dans le cadre d’une théorie « empiriste » de la connaissance, qui s’occupe de
l’émergence des objets de connaissance à partir de l’expérience sensible —,
mais dans le cadre d’une « philosophie de la culture » tentant de comprendre
le rôle de l’inscription sociale, politique, culturelle dans le processus d’émer-
gence des productions philosophiques. En s’intéressant à la tâche du philo-
sophe, Husserl donne à sa philosophie de l’histoire — sur la base de sa
philosophie de l’histoire de la philosophie — un tour concret que peut-être la
Krisis n’avait pu, sur certains plans, lui offrir. Cela est d’autant plus vrai de
la question relative à l’institution originaire de la philosophie, qui est ici mise
en lumière d’une façon tout à fait originale. J’en dirai brièvement un mot.
Au niveau de la vie pré-scientifique, c’est-à-dire pré-philosophique, il
existe déjà des questions portant sur le sens du monde, une curiosité intel-
lectuelle, mais encore enclose dans le monde d’une tradition nationale, « au
sein duquel le mythique représente une strate générale, s’étendant jusqu’à la
quotidienneté la plus quotidienne » (p. 61). La configuration historique,
politique, nationale particulière des Grecs va néanmoins conduire cette curio-
sité pré-scientifique à devenir un intérêt cosmologique d’un genre entière-
ment nouveau « en ce qu’il questionne l’étant en soi, l’"étant" complètement
irrelatif et au-delà de la tradition » (p. 61). Un intérêt strictement théorique
était donc né — et, avec lui, une humanité européenne qui atteint à cette
raison universelle qui veut connaître comment les choses sont en soi, au lieu
1 E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendan-
tale, trad. fr. G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. 298.
Bull. anal. phén. XI 2 (2015)
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