La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 | 173
LE SYMPTÔME
Mots-clés
Symptôme, Psychiatrie,
Théorie, Clinique
Keywords
Symptom, Psychiatry, Theory,
Clinical
était considérée comme la “connaissance des
événements passés”. Les travaux des chercheurs
ont progressivement montré que la mémoire ne
peut pas être considérée uniquement comme un
système d’évocation, mais qu’elle regroupe un
ensemble de sous-systèmes qui permettent de
stocker, maintenir et restituer de l’information.
Les avancées scientifiques de ces dernières années
ont également souligné le rôle de la mémoire
dans la construction de l’identité personnelle,
familiale et sociale, mais aussi dans la capacité à
se projeter dans le futur. Ainsi, la mémoire serait
l’une des clés de l’intersubjectivité.
Les premières études empiriques sur la mémoire
ont été réalisées par le psychologue allemand
Hermann Hebbinghaus (1850-1909). Ce cher-
cheur a contribué à la mise au point de nouvelles
méthodes d’étude de la mémoire et a introduit
une rupture avec le paradigme philosophique
dans l’étude des phénomènes mentaux qui
régnait jusqu’alors. Néanmoins, de façon paral-
lèle, le philosophe français Théodule Ribot (1839-
1916) a soutenu une thèse en 1873 dans laquelle
il émettait l’hypothèse selon laquelle la mémoire
serait une forme d’inconscient où le souvenir
correspondrait au passage de la représentation
mnésique de l’inconscient à la conscience. Dans
ses travaux, T. Ribot montre que les formes les
moins stables de la mémoire sont atteintes et que
les formes organiques sont préservées. Selon lui,
la destruction des souvenirs suit une loi appelée
“loi de régression” (aujourd’hui dénommée “loi
de Ribot”) : elle consiste, en cas de pathologies,
en une régression mnésique qui consiste en la
dégradation des souvenirs allant des plus récents
aux plus anciens, des plus complexes aux plus
simples, des plus volontaires aux plus automa-
tiques, des moins organisés aux plus organisés,
des plus stables aux moins stables.
À partir des années 1970, avec l’essor des sciences
cognitives, et notamment les travaux d’Endel
Tulving, il a été montré que la mémoire n’était pas
unitaire mais pouvait être envisagée en systèmes
de mémoire. Selon E. Tulving, la mémoire se
composerait de 5 systèmes : le système de
représentations perceptives, la mémoire procé-
durale, la mémoire sémantique, la mémoire de
travail et la mémoire épisodique (2). Ce dernier
système est dédié à la mémorisation d’informa-
tions personnellement vécues, situées dans leurs
contextes spatial et temporel d’apprentissage. Un
déficit de mémoire épisodique conduit à l’expres-
sion du symptôme amnésique, puisqu’il engendre
chez le patient une incapacité à mémoriser de
nouveaux événements. Le cas de déficit épiso-
dique isolé le plus documenté dans la littérature
est celui d’Henry Gustav Molaison (1926-2008),
dit “H. M”. Ce patient américain présente, à la
suite d’un accident sur la voie publique, des
crises d’épilepsie à l’âge de 10 ans. Ces crises
s’aggravent au fil des années et il est opéré à
27 ans par un neurochirurgien qui lui ôte les
lobes temporaux internes incluant les 2 hippo-
campes. Le traitement expérimental guérit H.M.
de son épilepsie, mais le laisse avec un déficit de
mémoire considérable dont il ne se remit jamais.
Le patient se révèle tout simplement incapable
de retenir toute nouvelle information sur le long
terme. Notons que cette amnésie n’endommagea
pas ses facultés intellectuelles et ne changea pas
radicalement sa personnalité. En effet, il resta
tout à fait apte à accomplir des actes tels que faire
des courses au supermarché, tondre la pelouse
de son jardin ou préparer à manger. Mais il était
incapable de se rappeler, moins de 1 heure après
le repas, ce qu’il avait mangé et même s’il avait
mangé. Selon E. Tulving, la mémoire épisodique
est le système mnésique le plus évolué sur les
plans phylogénétique et ontogénétique. Il est
également le plus fragile car il nécessite la mise
en œuvre de 3 processus différents : l’encodage,
le stockage et la récupération. Aussi l’expres-
sion d’un même symptôme pourra-t-elle avoir
pour origine une atteinte dissociée ou combinée
de l’un de ces processus. De plus, alors qu’un
déficit des processus de stockage est associé à
une atteinte des structures hippocampiques,
les processus d’encodage et de récupération
semblent davantage sous-tendus par des réseaux
cérébraux frontaux.
En psychiatrie, les symptômes d’un déficit de
la mémoire épisodique s’observeront par l’in-
termédiaire de l’établissement de profils de
performance tels qu’obtenus dans des tests.
Pour une même plainte, un patient déprimé ou
souffrant de troubles anxieux peut présenter
de faibles scores dans le rappel libre de mots
(“Quels étaient les mots de la liste ?” Exemple
de réponse : “Orange... ”) et une amélioration
par l’indiçage (par exemple “donner la catégorie
sémantique du mot à retrouver : quel était le
fruit... ”) et la reconnaissance (“Le mot ‘orange’