LE SYMPTÔME Le symptôme en neuropsychologie S. Terrien*, F. Gierski* L * CHU de Reims ; laboratoire C2S (EA 6291) Cognition, Santé, Socialisation, université de Reims ChampagneArdenne. a neuropsychologie est une branche de la psychologie qui étudie les fonctions mentales supérieures dans leurs rapports avec les structures cérébrales. Ces fonctions mentales supérieures, ou fonctions cognitives, regroupent la mémoire, le langage, les praxies, les gnosies et les fonctions exécutives. Les symptômes observés en neuropsychologie correspondent à un déficit de l’une ou de plusieurs de ces fonctions. Ces déficits peuvent avoir une étiologie fonctionnelle ou organique et le rôle du neuropsychologue est de faire la part entre la première et la seconde hypothèse. Les symptômes neuropsychologiques font régulièrement l’objet de doléances de la part du patient ou de son entourage car ils ont des répercussions directes sur la vie quotidienne. Mais il arrive aussi, parfois, que le symptôme neuropsychologique ne soit pas reconnu par le patient. Ce phénomène s’explique soit par la mise en œuvre inconsciente du mécanisme de défense de déni, soit par la présence d’un autre symptôme neuropsychologique : l’anosognosie (du grec ancien signifiant “sans connaissance de la maladie”), qui trouve ses origines dans une anomalie neurologique encore aujourd’hui méconnue. Les symptômes neuropsychologiques repérés par le praticien peuvent faire l’objet d’une demande de bilan. L’objectif de ce bilan neuropsychologique sera de les appréhender de manière objective, qualitative et quantitative, ainsi que de les caractériser. Pour cela, les neuropsychologues étudient les éléments de l’histoire du patient et mettent en œuvre la passation de tests neuropsychologiques spécifiques. Les tests, tels que les définissait Pierre Pichot, “[…] correspondent à une situation expérimentale standardisée servant de stimulus à un compor- 172 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 tement. Ce comportement est évalué par une comparaison statistique avec celui d’autres individus placés dans la même situation, permettant ainsi de classer le sujet examiné, soit quantitativement, soit typologiquement” (1). Les résultats, ou objectivation qualitative et quantitative des symptômes du patient, sont donc comparés à des données obtenues préalablement auprès d’une population asymptomatique, de même âge et de même niveau d’étude que lui. Au-delà de la description symptomatique, les conclusions du bilan neuropsychologique permettront d’orienter le clinicien dans la démarche de diagnostic et de prise en charge du patient en proposant, quand cela est possible, une remédiation cognitive. Un trouble de la mémoire est facilement repérable lorsqu’une personne oublie systématiquement ses rendez-vous ou des événements de sa vie passée ; un trouble du langage engendre des problèmes de compréhension et de communication et, enfin, les troubles des fonctions exécutives créent des problèmes d’organisation dans la vie quotidienne et suscitent des comportements atypiques chez le patient qui les présente. Nous verrons, aux travers de descriptions générales de ces fonctions cognitives, quels sont les principaux symptômes neuropsychologiques rencontrés dans le domaine de la psychiatrie. Les symptômes mnésiques Il existe plusieurs définitions de la mémoire humaine. Selon le Trésor de la langue française, la mémoire est : “une faculté comparable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués”. Pendant de nombreuses années, la mémoire LE SYMPTÔME était considérée comme la “connaissance des événements passés”. Les travaux des chercheurs ont progressivement montré que la mémoire ne peut pas être considérée uniquement comme un système d’évocation, mais qu’elle regroupe un ensemble de sous-systèmes qui permettent de stocker, maintenir et restituer de l’information. Les avancées scientifiques de ces dernières années ont également souligné le rôle de la mémoire dans la construction de l’identité personnelle, familiale et sociale, mais aussi dans la capacité à se projeter dans le futur. Ainsi, la mémoire serait l’une des clés de l’intersubjectivité. Les premières études empiriques sur la mémoire ont été réalisées par le psychologue allemand Hermann Hebbinghaus (1850-1909). Ce chercheur a contribué à la mise au point de nouvelles méthodes d’étude de la mémoire et a introduit une rupture avec le paradigme philosophique dans l’étude des phénomènes mentaux qui régnait jusqu’alors. Néanmoins, de façon parallèle, le philosophe français Théodule Ribot (18391916) a soutenu une thèse en 1873 dans laquelle il émettait l’hypothèse selon laquelle la mémoire serait une forme d’inconscient où le souvenir correspondrait au passage de la représentation mnésique de l’inconscient à la conscience. Dans ses travaux, T. Ribot montre que les formes les moins stables de la mémoire sont atteintes et que les formes organiques sont préservées. Selon lui, la destruction des souvenirs suit une loi appelée “loi de régression” (aujourd’hui dénommée “loi de Ribot”) : elle consiste, en cas de pathologies, en une régression mnésique qui consiste en la dégradation des souvenirs allant des plus récents aux plus anciens, des plus complexes aux plus simples, des plus volontaires aux plus automatiques, des moins organisés aux plus organisés, des plus stables aux moins stables. À partir des années 1970, avec l’essor des sciences cognitives, et notamment les travaux d’Endel Tulving, il a été montré que la mémoire n’était pas unitaire mais pouvait être envisagée en systèmes de mémoire. Selon E. Tulving, la mémoire se composerait de 5 systèmes : le système de représentations perceptives, la mémoire procédurale, la mémoire sémantique, la mémoire de travail et la mémoire épisodique (2). Ce dernier système est dédié à la mémorisation d’informations personnellement vécues, situées dans leurs contextes spatial et temporel d’apprentissage. Un déficit de mémoire épisodique conduit à l’expression du symptôme amnésique, puisqu’il engendre chez le patient une incapacité à mémoriser de nouveaux événements. Le cas de déficit épisodique isolé le plus documenté dans la littérature est celui d’Henry Gustav Molaison (1926-2008), dit “H. M”. Ce patient américain présente, à la suite d’un accident sur la voie publique, des crises d’épilepsie à l’âge de 10 ans. Ces crises s’aggravent au fil des années et il est opéré à 27 ans par un neurochirurgien qui lui ôte les lobes temporaux internes incluant les 2 hippocampes. Le traitement expérimental guérit H.M. de son épilepsie, mais le laisse avec un déficit de mémoire considérable dont il ne se remit jamais. Le patient se révèle tout simplement incapable de retenir toute nouvelle information sur le long terme. Notons que cette amnésie n’endommagea pas ses facultés intellectuelles et ne changea pas radicalement sa personnalité. En effet, il resta tout à fait apte à accomplir des actes tels que faire des courses au supermarché, tondre la pelouse de son jardin ou préparer à manger. Mais il était incapable de se rappeler, moins de 1 heure après le repas, ce qu’il avait mangé et même s’il avait mangé. Selon E. Tulving, la mémoire épisodique est le système mnésique le plus évolué sur les plans phylogénétique et ontogénétique. Il est également le plus fragile car il nécessite la mise en œuvre de 3 processus différents : l’encodage, le stockage et la récupération. Aussi l’expression d’un même symptôme pourra-t-elle avoir pour origine une atteinte dissociée ou combinée de l’un de ces processus. De plus, alors qu’un déficit des processus de stockage est associé à une atteinte des structures hippocampiques, les processus d’encodage et de récupération semblent davantage sous-tendus par des réseaux cérébraux frontaux. En psychiatrie, les symptômes d’un déficit de la mémoire épisodique s’observeront par l’intermédiaire de l’établissement de profils de performance tels qu’obtenus dans des tests. Pour une même plainte, un patient déprimé ou souffrant de troubles anxieux peut présenter de faibles scores dans le rappel libre de mots (“Quels étaient les mots de la liste ?” Exemple de réponse : “Orange... ”) et une amélioration par l’indiçage (par exemple “donner la catégorie sémantique du mot à retrouver : quel était le fruit... ”) et la reconnaissance (“Le mot ‘orange’ Mots-clés Symptôme, Psychiatrie, Théorie, Clinique Keywords Symptom, Psychiatry, Theory, Clinical La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 | 173 LE SYMPTÔME faisait-il partie de la liste ?”) ; cela signe un déficit des processus d’encodage et de récupération de la mémoire épisodique. Au contraire, un patient éthylique chronique ou ayant une démence de type Alzheimer présente un déficit dans les 3 modalités de réponse, marquant un déficit global des processus mnésiques en lien, notamment, avec une altération des structures diencéphaliques ou hippocampiques. Outre ces francs symptômes d’amnésie, certains auteurs se sont intéressés aux liens dynamiques existant entre les troubles de la mémoire épisodique et les maladies mentales. Dans les définitions les plus actualisées de la mémoire épisodique, E. Tulving souligne qu’elle possèderait la capacité d’acquérir et de coder des connaissances concernant des expériences personnelles, ainsi que de revenir en arrière dans le temps. Les représentations du système épisodique relieraient les événements associés à l’identité personnelle du sujet dans le temps et dans l’espace. Le niveau de conscience associé à ce système est dit “autonoétique” : il permettrait au sujet de revivre l’expérience avec les pensées, les sentiments, les perceptions présentes lors de l’acquisition de l’événement et d’être ainsi conscient de son identité dans un continuum passé-présent-futur. À partir de ces éléments théoriques et d’une série de paradigmes expérimentaux, J.M. Danion et al. ont mis en évidence une altération de la conscience de soi et de l’identité personnelle dans la schizophrénie, et postulé que la schizophrénie pourrait être une pathologie des états de conscience (3). Les symptômes langagiers Le langage est un processus permettant d’utiliser un code conventionnel servant à représenter des concepts, des idées ou à les communiquer. C’est en cela que le langage tient une place importante dans notre société et dans les relations que nous entretenons avec autrui. Dès lors que le langage est dégradé, les relations interpersonnelles sont mises à mal et le manque de compréhension 174 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 entre les différents interlocuteurs peut conduire au repli sur soi et, ainsi, aggraver la marginalité de certains malades. C’est dans la deuxième moitié du xixe siècle que les premières connaissances inhérentes aux substrats neuronaux du langage ont été acquises. Ces découvertes fondamentales ont été entreprises par des pionniers de la méthode anatomo­clinique. Les 2 plus grandes avancées furent celles de Paul Broca et de Carl Wernicke. Broca, en 1861, mit en relation une région spécifique du cerveau et la production du langage oral grâce à l’étude de l’un de ses patients (4). Ce dernier, nommé Leborgne, présentait comme symptôme une réduction considérable de la parole qui le conduisait à l’incapacité de prononcer autre chose que le son “tan”. Après l’autopsie, P. Broca découvrit une lésion dans une petite région de la surface corticale du lobe frontal gauche et en déduisit qu’elle était le centre de la parole articulée. C. Wernicke, en 1874, identifia, quant à lui, la partie postérieure de la première circonvolution temporale gauche comme le siège de la capacité à transformer un son en un sens précis. Nous savons aujourd’hui que d’autres régions jouent également un rôle dans les processus langagiers, et que leur atteinte produit différents symptômes permettant de faire une hypothèse sur les lésions cérébrales qui en sont à l’origine. Le patient aphasique parle souvent peu et cherche ses mots, il est pour lui la plupart du temps éprouvant de finir ses phrases. Face à ce type de patient, il est difficile pour le clinicien de mener à bien des entretiens thérapeutiques. Car comment aider une personne qui ne peut pas exprimer ce qu’elle pense ? Qui ne comprend pas ce qu’on lui dit ? Et cela en dehors de tout mécanisme de défense. L’aphasique veut parler ou comprendre mais il ne le peut pas. Tout comme pour la mémoire, il est important de faire la distinction entre des formes pures, neurologiques, d’aphasie provoquées par un accident vasculaire cérébral, une tumeur cérébrale ou un traumatisme crânien et les troubles du langage tels que le discours incohérent d’un patient présentant une désorganisation de la pensée ou LE SYMPTÔME un trouble délirant consécutif à une pathologie psychiatrique. Classiquement, nous pouvons relever 2 grands types de symptômes dans les pathologies psychiatriques, suggérant ainsi l’existence de troubles du langage : les troubles de la dynamique du discours et les troubles du contenu du discours. Les troubles de la dynamique du discours peuvent consister en une accélération du débit verbal, une surabondance de paroles (difficulté marquée pour l’interlocuteur d’arrêter le sujet) appelée tachyphémie ou logorrhée. On la retrouve de manière très manifeste au cours de l’état maniaque, accompagnant l’accélération psychomotrice. Au contraire, la dynamique du discours peut être marquée, notamment chez des patients présentant un épisode dépressif majeur ou ceux qui sont schizo­phrènes, par une bradyphémie, se traduisant par un ralentissement du flux verbal, du débit de paroles accompagnant le ralentissement psychomoteur. Certains patients peuvent également présenter des écholalies qui consistent en la répétition immédiate, en écho, de mots ou de phrases venant d’être entendus par le sujet ; des stéréotypies verbales se traduisant par la répétition sans intention évidente et de façon presque mécanique de mots, d’expressions, de formules qui reviennent fréquemment dans le discours ; des persévérations verbales, consistant en la persistance de mots ou de phrases qui appartiennent à un moment précédent du dialogue. Concernant les troubles du contenu du discours, il est possible d’observer des paralogismes qui consistent en la production d’un mot connu utilisé dans un sens inhabituel et des néologismes qui sont des mots nouveaux sans signification apparente, créés par l’imagination du patient et destinés à son usage personnel. Nous pouvons également relever dans le langage de certains patients la présence d’un néolangage que l’auditeur perçoit comme entièrement néologique appelé glossolalie et, chez les patients schizophrènes, la production de schizophasies, qui consistent en un langage totalement incompréhensible. Les symptômes langagiers dans la schizophrénie ont fait l’objet de nombreuses descriptions. Ainsi, l’altération des mécanismes d’associations en mémoire, un discours incohérent et discontinu, des passages dits “du coq à l’âne” ainsi que des “réponses à côté” sont des caractéristiques largement décrites. En effet, le discours des patients schizophrènes peut être incohérent, et les idées se succéder sans aucun fil conducteur. Ce “déraillement de la pensée” comme le dénommait Emil Kraepelin (1909), ou la perte des associations selon Eugen Bleuler (1911), semble signifier que, au-delà du langage, c’est l’organisation en mémoire des informations sémantiques qui est altérée. Ici, l’origine du symptôme apparaît comme la conséquence d’un déficit davantage fonctionnel que structurel. Plus récemment, les chercheurs se sont intéressés à la pragmatique du discours et ont montré chez les patients schizo­phrènes un déficit dans le traitement de la prosodie ainsi qu’une difficulté à traiter les actes de langage indirect et les figures de style telles que les proverbes, les métaphores familières (par exemple “ma mémoire est une passoire”) et les expressions idiomatiques (“connaître par cœur”) ou encore l’ironie verbale (“Cette personne a perdu ses clés pour la quatrième fois cette semaine. Elle a une formidable mémoire.”). Ces difficultés semblent être en lien avec les capacités de prise en compte des états mentaux d’autrui, dénommées “théories de l’esprit”, elles-mêmes amoindries dans la schizophrénie (5). Les symptômes exécutifs Les fonctions exécutives désignent l’ensemble des processus cognitifs permettant de s’adapter à des situations nouvelles, non routinières, de la vie quotidienne. L’étude des fonctions exécutives et de leur localisation cérébrale a débuté au xixe siècle, avec le cas Phinéas Gage (18231860) décrit par le Dr John Harlow (6). Ce patient américain était contremaître pour une société de chemin de fer dans le Vermont. Le 13 septembre 1848, il est victime d’un accident : une barre de fer pénètre sous son œil gauche et ressort au sommet de la tête détruisant une partie de son cortex préfrontal ventromédian. Il n’eut pas de séquelle sur les plans moteur et cognitif autres que la perte de l’usage de son œil gauche. Toutefois, d’après ceux qui l’avaient connu avant son accident, Gage avait radicalement changé : il était devenu grossier, d’humeur changeante, obstiné et ne supportait plus d’être contredit. Jusqu’aux années 1950, prédomine l’idée selon laquelle les fonctions exécutives reposent La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 | 175 LE SYMPTÔME exclusivement sur les lobes préfrontaux, et leurs troubles sont en conséquence dénommés “syndrome frontal”. C’est Alexander Romanovich Luria (1902-1977), neurologue et psychologue russe, qui, dans les années 1950-1970, met en évidence que l’atteinte des lobes frontaux provoque un déficit dans les situations nécessitant d’inhiber un schéma d’action prépondérant, de résoudre un problème, de déduire des règles, de séquencer des opérations successives en évitant de persévérer sur l’étape préalable (7). Aujourd’hui, le terme de “syndrome dysexécutif” est préféré à celui de “syndrome frontal”, la thèse de l’implication exclusive des régions frontales ayant été remise en cause. Ainsi, plusieurs travaux ont montré qu’il était tout à fait possible de présenter une symptomatologie dysexécutive en dehors de toutes lésions frontales, et inversement. De plus, les données issues de l’imagerie cérébrale ont mis en évidence l’implication non négligeable des régions pariétales dans le fonctionnement exécutif. Les lobes frontaux entretenant de nombreuses connexions avec d’autres structures corticales, sous-corticales et limbiques, il semble qu’un large réseau cérébral soit engagé dans ces processus (8). Nous réalisons beaucoup de situations de la vie quotidienne, comme se laver, faire ses lacets, aller au travail le matin, allumer la télévision, de manière automatique. En revanche, il faut parfois faire face à des imprévus dans le cas desquels les réponses automatiques ne sont pas efficientes. Par exemple, prenons la situation routinière d’aller au travail le matin : s’il y a des travaux sur la route habituelle, il va falloir mettre en œuvre un plan d’action, une stratégie différente de celle utilisée d’habitude. Lors de la confrontation à une situation nouvelle, ce sont les processus exécutifs qui conduisent à la résolution du conflit et l’atteinte du but. Ces processus permettent de prendre en compte les différentes possibilités d’action, de sélectionner la plus pertinente dans la situation rencontrée et d’inhiber les actions non pertinentes et routinières. Pour ce faire, plusieurs processus exécutifs tels que l’inhibition, la mise à jour, la flexibilité, la 176 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 récupération active d’informations en mémoire, l’attention divisée et la planification, doivent être mis en œuvre de manière coordonnée. Une altération structurelle ou fonctionnelle des régions cérébrales responsables du déploiement de ces processus se révèle très handicapante pour le patient. Celui-ci peut, par exemple, éprouver des difficultés à planifier les différentes actions qu’il a à effectuer dans sa journée. Les symptômes exécutifs peuvent se traduire par une hypoactivité globale avec aboulie et/ou apathie et/ou aspontanéité, à laquelle s’adjoint un état amotivationnel avec une perte d’intérêt et une incapacité à programmer une action. Dans certains cas, même la reproduction de gestes ou de dessins très simples est impossible, ce qui signale un déficit de programmation motrice ou perceptivomotrice. A contrario, les patients présentant des symptômes exécutifs peuvent manifester une hyperactivité globale, s’associant à une distractibilité, une impulsivité et une désinhibition. La symptomatologie est alors marquée par une euphorie, un comportement social inapproprié ainsi qu’une tendance exagérée aux calembours et aux propos grossiers. D’autres symptômes comportementaux sont repérables tels que les persévérations verbales (répétition d’un même mot) ou motrices (geste revenant inlassablement, conduisant à un comportement stéréotypé), le syndrome de dépendance à l’environnement, qui se traduit par l’imitation des gestes de l’interlocuteur, et l’utilisation “inconsciente” d’objets présents dans l’environnement du patient. Parallèlement à ces symptômes comportementaux, on observe des déficits de processus exécutifs tels que ceux d’initiation, d’inhibition, de flexibilité mentale et de planification. Un déficit des processus d’initiation se traduit par une lenteur et une production verbale et/­ou motrice limitée. Les activités sont alors réalisées de façon très ralentie, et comportent des temps de réaction plus importants que la normale. Les patients parlent peu s’ils n’y sont pas expressément invités et la génération de mots (par exemple “donner le plus possible de mots commençant par la lettre R en 2 minutes”) est LE SYMPTÔME pauvre. Un déficit des processus d’inhibition se manifeste par la production de réponses automatiques et de persévérations car le patient est alors incapable d’inhiber les réponses automatiques non pertinentes (songeons, par exemple, au test de Stroop, où il s’agit de nommer la couleur dans laquelle est écrit un mot alors que la couleur que ce mot désigne est différente). Enfin, un déficit du processus de flexibilité mentale réactive rend la coordination entre 2 tâches différentes très difficile. Effectuer 2 activités en même temps, comme écouter une recommandation en se coiffant, ou faire alterner 2 tâches devient dès lors impossible. Il peut également y avoir un trouble de la flexibilité dite “spontanée”, qui correspond à une forme d’agilité de la pensée, de capacité à évoquer des aspects moins familiers au détriment des réponses plus habituelles, à la suite d’une question simple. Il s’agit, par exemple, de trouver toutes les possibilités qui s’offrent, lorsque le tramway est en grève, pour rentrer chez soi : bus, métro, taxi, à pied, etc. Les patients ayant un déficit de ce processus ont souvent du mal à aller au-delà des réponses automatiques et se retrouvent donc vite bloqués et perdus quand une routine est mise à mal par un événement imprévu. Enfin, le déficit de planification et de résolution de problèmes se révèle lors de la simple réalisation d’une recette de cuisine ou la programmation d’un voyage car le patient est incapable d’anticiper les différentes étapes et donc d’élaborer un plan d’actions. Il lui est également très difficile de choisir la meilleure stratégie en fonction du problème à résoudre, ce qui le restreint à des tâches familières. Selon la pathologie à l’origine des symptômes dysexécutifs, il est possible d’observer une prédominance des symptômes comportementaux ou cognitifs. À noter que tous les symptômes évoqués précédemment ne sont pas forcément présents chez une même personne. Il n’existe pas de profil dysexécutif unique, mais des expressions cliniques multiples et diversifiées. Le test le plus utilisé pour évaluer l’ensemble des fonctions exécutives est le test de classement de cartes du Wisconsin (WCST). Lors de sa réalisation, il est demandé au patient de classer spontanément des cartes selon 4 cartes de références qui possèdent différents critères : la couleur, la forme et le nombre. La bonne réalisation de ce test nécessite l’intégrité des processus de déduction et de maintien de règles, de flexibilité mentale et d’inhibition. Conclusion Les symptômes en neuropsychologie correspondent à la fois à des expressions comportementales perceptibles dans la vie quotidienne du patient et à des profils cognitifs établis au regard de performances obtenues dans la réalisation de tests neuropsychologiques. L’essor de la neuropsychologie ces 20 dernières années a conduit au développement de tests d’une sensibilité extrêmement fine et dont le lien avec les différentes parties du substrat cérébral sont de plus en plus précis. Toutefois le développement de la sensibilité s’est également fait au détriment de la spécificité. Ainsi, les tests permettent de dépister des troubles cognitifs avant même que le patient ne s’en plaigne. Dans certains cas, le fait d’avoir connaissance de ces signes permet une prise en charge précoce dont le patient peut tirer bénéfice, mais dans d’autres ils ne sont que le reflet de simples différences interindividuelles, caractéristiques intrinsèques de la nature humaine. Aussi pensons-nous que l’interprétation du symptôme en neuropsychologie doit toujours garder un ancrage clinique. ■ Références bibliographiques 1. Pichot P. Les tests mentaux. Paris : PUF, 1954. 2. Tulving E. Episodic memory: from mind to brain. Annu Rev Psychol 2002;53:1-25. 3. Danion JM, Huron C, Vidailhet P, Berna F. Functional mechanisms of episodic memory impairment in schizophrenia. Can J Psychiatry 2007;52:693-701. 4. Broca P. Perte de la parole, ramollissement chronique et destruction partielle du lobe antérieur gauche du cerveau. Bulletin de la Société anthropologique 1861;2:235-8. 5. Besche-Richard C, Bungener C. Psychopathologies, émotions et neurosciences. Paris : Belin, 2006. 6. Damasio A. L’Erreur de Descartes. Paris : Odile Jacob, 1995. 7. Luria AR. Higher cortical functions in man. Moscow: Moscow University Press,1962 ; New York: basic Books, 1980 (2nd ed.). 8. Alvarez JA, Emory E. Executive function and the frontal lobes: a meta-analytic review. Neuropsychol Rev 2006;16:17-42. La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 6 - novembre-décembre 2012 | 177