Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE La médecine personnalisée en oncologie : place, intérêt, fonctionnement et connaissances issues d’une plateforme d’imagerie Personalized medicine in oncology: interest and role of an imaging platform F. Chamming’s* L’imagerie, au cœur de la médecine personnalisée La radiologie, étape clé de la prise en charge personnalisée * Service de radiologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Depuis plusieurs années, on assiste à un développement très rapide de l’imagerie. Les importantes améliorations techniques et l’augmentation du nombre de machines ont conduit la radiologie à occuper une place de plus en plus importante au cœur du processus de soins. Rares sont les patients qui, lors d’une hospitalisation, ne bénéficient pas d’au moins un examen d’imagerie. Parallèlement, le développement de la radiologie interventionnelle permet d’effectuer des gestes peu invasifs et bien tolérés, à visée diagnostique et thérapeutique, curative ou palliative. Cela est particulièrement vrai en oncologie, où l’imagerie est devenue incontournable à toutes les étapes des soins, du dépistage au traitement, en passant par le diagnostic et le suivi. La “médecine personnalisée” est souvent définie comme la médecine des “4P” : prédiction, prévention, personnalisée, participative. Elle l’est aussi comme la “médecine du bon médicament, à la bonne personne, au bon moment”. La radiologie y tient un rôle majeur pour l’individualisation des soins. 390 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 Elle aide à caractériser la maladie, par des éléments morphologiques (taille tumorale, localisation, lésions secondaires, etc.) mais aussi fonctionnels (cellularité et vascularisation des tumeurs en IRM). Elle permet en outre souvent de poser le diagnostic histologique, et devient de plus en plus une option thérapeutique. L’imagerie est donc un maillon incontournable de la médecine personnalisée en oncologie, occupant une place sans cesse grandissante à tous les stades de la prise en charge. Le radiologue : un interlocuteur incontournable Selon l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de l’Assemblée nationale : “L’intervention fréquente d’un tiers expert dans le colloque singulier médecin-malade devient très déterminante [...] En effet, la médecine personnalisée recourt à des tests génétiques, à des biomarqueurs et à l’usage de technologies complexes multipliant les données sur le patient, qui exigent l’implication d’experts capables de les interpréter.” Ainsi, l’omniprésence de l’imagerie dans la prise en charge du patient en oncologie confère au radiologue un rôle essentiel. Informé du contexte clinique, il donne un avis d’expert sur la stratégie d’imagerie, indique Résumé Le choix d’un traitement adapté pour un patient atteint de cancer repose en grande partie sur des données radiologiques. Le radiologue devient donc un interlocuteur incontournable. Toutefois, sa place vis-à-vis du patient et des correspondants reste mal définie. Le concept d’incidentalome – situation où la découverte d’une anomalie n’est pas anticipée par le clinicien – et la problématique de l’accès du malade au compterendu écrit rend inévitable l’implication du radiologue dans l’information du patient. Cependant, la relation radiologue/malade rencontre plusieurs obstacles : manque de formation du praticien quant à l’annonce de la maladie, barrière de la machine, connaissance limitée qu’a le public du métier de radiologue. S’y ajoute la complexité de la relation radiologue/correspondant. L’ambition des différents interlocuteurs médicaux doit être d’établir une relation équilibrée au service du malade. les protocoles d’examen, vérifie la bonne qualité des acquisitions et interprète les images. De plus en plus “interventionnel”, il interviendra pour effectuer les prélèvements sous imagerie et, le cas échéant, participera au traitement. Au décours d’un examen, le radiologue est le premier interlocuteur médical. Ayant la connaissance de la signification d’images de plus en plus complexes, il est le vrai détenteur de l’information radiologique et de ses subtilités. Cependant – et c’est ici que réside une part des difficultés de la définition précise de sa juste place –, le terme même de “radiologue” regroupe en fait une multitude de compétences, et même de métiers différents : il y a les radiologues du privé et ceux du public, les interventionnels et les diagnosticiens, les généralistes et les spécialistes d’organes, ceux qui savent faire tel ou tel geste et ceux qui ne savent pas, les passionnés de la technique et ceux qui se sentent proches des patients, les chercheurs, etc. Dans le cadre de la médecine personnalisée, s’il faut choisir le bon traitement pour le bon patient, il faut donc aussi, pour le médecin référent, trouver le bon interlocuteur en radiologie. Le radiologue et l’information du patient Le radiologue doit-il parler aux patients ? Cette question, qui a fait le titre d’un article de Vallely et Mills en 1990 (1), semble aujourd’hui saugrenue à bon nombre d’entre eux. Le titre du dernier numéro du magazine Imaging Management : “L’information au patient” montre bien que l’actualité est plus à l’amélioration des modalités d’information. Si, toutefois, il persistait un doute, outre les recommandations du code de déontologie, 2 éléments montrent que, d’une façon ou d’une autre, les radiologues doivent intervenir dans l’annonce : le concept d’incidentalome et la problématique du compte-rendu écrit. Les incidentalomes Le terme “incidentalome” est un néologisme initialement attribué aux adénomes surrénaliens, et désignant une anomalie radiologique (généralement bénigne) découverte de façon fortuite. On pourrait tergiverser sur le sens de l’expression “découverte fortuite” en radiologie, étant donné que, dans la plupart des cas, si l’on a effectué un examen d’imagerie, c’est que l’on cherchait une anomalie et que sa découverte n’est donc pas totalement “fortuite”. Par ailleurs, la découverte d’une anomalie, très probablement bénigne, ne pose le plus souvent pas de réel problème dans la gestion de l’information. En ce qui concerne la médecine personnalisée en oncologie, on pourrait définir la découverte fortuite par l’ensemble des situations où la découverte d’une anomalie grave n’est pas anticipée. En effet, il faut les distinguer des situations dans lesquelles le médecin référent demande une imagerie pour un patient chez qui il suspecte un problème grave (diagnostic de cancer, récidive, progression, etc.). Il peut alors “préparer” le patient et organiser une consultation rapidement après les examens pour l’annonce des résultats. Dans le cas d’une “découverte fortuite”, la gestion de l’annonce n’a pas été anticipée et va mettre de facto le radiologue dans la position de celui qui doit informer. On peut élargir cette définition en y incluant les cas où le radiologue est le premier, voire le seul interlocuteur (lors du dépistage organisé du cancer du sein, par exemple). L’échographie en est un exemple particulièrement frappant : le praticien prend connaissance de l’information en direct, alors que le patient a les yeux rivés sur lui. Comment alors refuser de répondre, lorsque le patient angoissé sait que la personne assise en face de lui détient l’information ? Mots-clés Médecine personnalisée Imagerie Information au patient Abstract The choice of an appropriate treatment is today largely based on the radiological results. However, the radiologist, who is the true holder of the radiological information, has still an ill-defined role in the patient’s information. The concept of incidental discovery, defined here as the circumstances in which the discovery of bad news is not anticipated by the clinician, and the issue of the written report show that the involvement of the radiologist in patient information is inevitable. However, the necessary radiologist/patient relationship will encounter several obstacles: lack of training of radiologist in communication with patients, the potential barrier of the imaging device, the fact that the patients often consider the radiologist as a technician… Furthermore, the radiologist/ clinician relationship is also really complex. The ambition of medical partners should be to establish a balanced patientcentered relationship. Keywords Le problème du compte-rendu Comme on l’enseigne très tôt aux internes, la radiologie est une “spécialité du compte-rendu”. Tout examen effectué doit être analysé, et les informations issues de l’interprétation doivent être consignées par écrit. Le “compte-rendu” recèle 2 types de difficultés pour le radiologue : premièrement, il s’agit d’un document faisant foi, qui doit comporter toutes les informations importantes, énoncées de façon suffisamment claire pour être comprises par le médecin demandeur. Deuxièmement, il s’agit d’un document auquel le patient va avoir accès Personalized medicine Imaging Patient information La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 391 Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE La médecine personnalisée en oncologie : place, intérêt, fonctionnement et connaissances issues d’une plateforme d’imagerie et qu’il va, au moins en partie, lire et comprendre, avec l’aide éventuelle et possiblement délétère d’Internet. La transmission orale de l’information est ainsi indispensable. Pour le clinicien, elle complète le compte-rendu en apportant des nuances, parfois subtiles mais souvent déterminantes dans la prise de décision. Elle permet par ailleurs de “traduire” les résultats et de les expliquer au patient, et, dans le cas d’une mauvaise nouvelle, d’informer ce dernier de manière plus compréhensible et moins brutale : en clair, d’annoncer, ou plutôt de “préannoncer”. L’information par le radiologue est donc incontournable, afin que le patient ne soit pas seul face à une information brutale, incomplètement comprise et angoissante. Les particularités de la relation radiologue/malade et radiologue/clinicien est essentiel, car il est souvent pour les patients celui de l’entrée dans la maladie. Comme en a témoigné une jeune patiente de 30 ans, la qualité de la relation avec le radiologue au moment de la biopsie et de l’annonce de son cancer du sein l’a marquée positivement pour le reste de sa prise en charge. Notons également que, bien souvent, les locaux des services d’imagerie ne sont pas adaptés, et ne mettent pas dans des conditions propices à une relation de qualité lors de l’annonce. L’image que les patients ont des radiologues peut également être un frein à un dialogue serein. Dans un article de 2009, Grant et al. rapportent que seuls 65 % des patients perçoivent que les radiologues interprètent les examens (7). Plus de 1/3 d’entre eux (38 %) considèrent que les radiologues ne jouent pas de rôle important dans leur traitement et qu’ils ne font pas partie de l’équipe médicale. Si la formation des radiologues à l’annonce est essentielle, l’éducation du public sur le métier et le rôle des radiologues est donc aussi nécessaire, afin de créer les conditions d’une relation fructueuse. La relation radiologue/malade Le fait de passer des examens radiologiques est souvent source d’angoisse pour les patients, en particulier en oncologie (2). Pour une majorité de patients, la perception d’une meilleure communication avec le radiologue au décours de l’examen est associée à un moindre niveau d’angoisse (3, 4). Pourtant, il existe plusieurs obstacles limitant la qualité de la relation patient/radiologue, à commencer par le manque de formation. En effet, excepté le domaine particulier de la sénologie, où il existe une culture plus importante de l’annonce de mauvaises nouvelles (5, 6), les radiologues ne sont globalement pas formés à l’annonce, ou le sont peu. Plus encore, certains ont choisi cette spécialité dite “technique” car ils ne sont pas naturellement enclins à aller vers le malade. Ils vont alors avoir tendance à s’abriter derrière la barrière “naturelle” de la machine. Focalisé sur son écran d’échographie, le radiologue peut ainsi paraître inaccessible au malade qu’il est en train “d’imager”. D’un autre côté, est-il judicieux de laisser voir à un patient les images de sa maladie, avec ce que cela peut avoir de traumatisant ? Le temps de la relation est aussi particulier en radiologie, puisque, dans la plupart des cas, médecin et malade ne se connaissent pas. Cette relation instantanée laisse peu de temps pour découvrir le malade, évaluer ce qu’il veut et peut entendre et transmettre une information à la fois claire, loyale et supportable. En revanche, ce temps 392 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 La relation radiologue/clinicien La relation entre le radiologue et ses correspondants est complexe, et peut être fructueuse ou, au contraire, aride. S’il y a un manque de respect mutuel, de confiance, ou un défaut de communication, la relation peut être franchement délétère. Le radiologue peut être considéré comme une gêne par son correspondant qui n’a pas confiance dans ses comptes-rendus (n’explique-t-on pas aux internes, dans les services cliniques, qu’ils ne doivent pas se fier aux comptes-rendus mais qu’ils doivent regarder eux-mêmes les images !) et trouve qu’il n’est pas suffisamment disponible. Certains considèrent encore que le radiologue n’a pas à s’immiscer dans leur relation avec le patient (8). En retour, un radiologue peut se trouver dans une situation délicate lorsque des renseignements importants manquent dans les demandes d’examens, rendant illusoire une interprétation éclairée, ou encore quand on lui demande avec force des examens qu’il juge inadaptés. Cette mauvaise relation entraîne une moins bonne qualité des soins et un climat de défiance préjudiciable au malade. A contrario, lorsque confiance et respect sont présents, la relation devient fructueuse. C’est notamment le cas lorsque le radiologue, spécialiste de l’imagerie pour un domaine donné, devient le référent indispensable d’un service. Les correspondants Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE vont lui faire confiance pour son jugement dans les indications d’examens et pour la qualité des interprétations. En retour, le radiologue aura confiance dans les demandes de son correspondant et dans sa gestion des patients. Le radiologue pourra alors s’intégrer sereinement dans la relation entre le clinicien et son patient, et prendre part à la démarche de l’annonce. Conclusion La relation clinicien/radiologue/patient apparaît donc comme une relation triangulaire qu’il faut ajuster. Si l’implication de chaque spécialiste n’est pas équilibrée, l’ensemble de l’édifice est instable, et la qualité des soins ainsi que le ressenti du patient s’en trouveront affectés. L’ambition du tandem clinicien/radiologue doit donc être de trouver ce bon équilibre, centré sur le patient, valorisant l’expertise et les compétences de chacun. La “médecine personnalisée”, pour proposer un traitement adapté, fait intervenir plusieurs spécialistes. Une alchimie réussie entre les intervenants, fondée sur le respect mutuel et la confiance, constituera le cadre dans lequel l’individu malade, respecté et considéré pour lui-même, pourra entrer dans sa maladie avec le statut de personne. ■ F. Chamming’s déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Vallely SR, Mills JO. Should radiologists talk to patients? BMJ 1990;300(6720):305-6. 2. Peteet JR, Stomper PC, Ross DM, Cotton V, Truesdell P, Moczynski W. Emotional support for patients with cancer who are undergoing CT: semistructured interviews of patients at a cancer institute. Radiology 1992;182(1):99-102. 3. Schreiber MH, Leonard M Jr, Rieniets CY. Disclosure of imaging findings to patients directly by radiologists: survey of patients’ preferences. AJR Am J Roentgenol 1995; 165(2):467-9. 4. Miller LS, Shelby RA, Balmadrid MH et al. Patient anxiety before and immediately after imaging-guided breast biopsy procedures: impact of radiologistpatient communication. J Am Coll Radiol 2013;10(6): 423-31. 5. Barton MB, Morley DS, Moore S et al. Decreasing women’s anxieties after abnormal mammograms: a controlled trial. J Natl Cancer Inst 2004;96(7):529-38. 6. Levin KS, Braeuning MP, O’Malley MS, Pisano ED, Barrett ED, Earp JA. Communicating results of diagnostic mammography: what do patients think? Acad Radiol 2000;7(12):1069-76. 7. Grant L, Griffin N, McDonald S et al. The role of a consultant radiologist--are patients still in the dark? Eur Radiol 2009;19(10):2326-32. 8. Levitsky DB, Frank MS, Richardson ML, Shneidman RJ. How should radiologists reply when patients ask about their diagnoses? A survey of radiologists’ and clinicians’ preferences. AJR Am J Roentgenol 1993;161(2): 433-6. Discussion P. Leroy 1, F. Scotté 1, 2 Parallèlement à l’évolution des techniques d’imagerie (TDM, IRM, etc.), responsable d’une distance physique entre le patient et le radiologue du fait de la machine, on observe une attente de plus en plus fréquente, de la part des patients, d’information et d’un engagement des radiologues dans leur prise en charge, avec l’instauration d’une relation de confiance triangulaire entre le patient, le clinicien et le radiologue. Cette évolution fait écho aux changements de la représentation que se font les patients du rôle du radiologue, qui devrait être perçu comme un médecin et non comme un technicien. Cette nouvelle organisation de la relation avec le patient appelle des efforts de communication entre le clinicien et le radiologue, notamment sur le niveau d’information du patient concernant sa maladie. En effet, à l’heure actuelle, les radiologues rapportent un sentiment de solitude devant l’attitude de certains confrères cliniciens, et l’impression de n’être que des prestataires dans la prise en charge en cancérologie… 1 Unité fonctionnelle de soins oncologiques de support, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris ; laboratoire d’éthique médicale, université Paris Sorbonne Cité, Paris. 2 Service d’oncologie médicale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 393