rapporte cette fois-ci les dépenses publiques et sociales au PIB marchand, c'est-à-dire à la richesse crées par les
activités privées, le poids du public se situe plutôt aux alentours des 75%. J’ajoute que l’on obtient un résultat du même
ordre lorsque l’on mesure le poids des dépenses publiques et sociales dans les revenus des ménages.
Or, force est de constater que ceux qui s’intéressent au développement des territoires ne se sont jamais préoccupés de
savoir quel pouvait être l’impact territorial de cette mutualisation des revenus opérée par la puissance publique. Pourtant,
n’importe qui peut comprendre que, au vu de ces données, la géographie de la création des richesses n’a pas
grand-chose à voir avec celle des revenus en raison des mécanismes redistributifs de la dépense publique. C’est ce que
nous nous sommes efforcés de montrer depuis les années 1970 avec Rémy Prud’homme. Pendant longtemps, les
résultats de ces travaux ont été contestés, sans pouvoir être démontés pour autant, par la communauté des experts
scientifiques et administratifs. Une anecdote à ce sujet, lorsque la Commission Européenne a lancé un appel d’offre
international dans les années 1990 pour réaliser le premier rapport sur la cohésion, nous avons été retenus pour étudier
l’impact redistributif des budgets publics et sociaux des Etats dans les différents pays européens. Les résultats que nous
avons obtenus, analogues à ceux que j’évoquais précédemment, ont complètement déstabilisés les responsables de la
Commission Européenne. Ces résultats contredisaient leur représentation selon laquelle les dépenses publiques
tendaient à aggraver les déséquilibres territoriaux et à se faire au profit des grandes villes. L’étonnement a été tel qu’il a
fallu attendre deux ans avant que le rapport ne soit officiellement publié, le temps que les décideurs digèrent ses
conclusions.
Quels sont les territoires qui connaissent le plus fort écart entre leurs contributions aux prélèvements et ce
qu’ils reçoivent en termes de dépenses publiques ?
Les travaux que nous avons réalisés sur ce sujet montrent que certains territoires sont relativement équilibrés. Je pense
notamment à la région Rhône-Alpes, aux départements des Alpes maritimes et du Bas-Rhin qui reçoivent à peu près
autant qu’ils donnent. Pour le reste, il n’y a qu’une région qui est fortement déficitaire, c’est la région Ile-de-France. Elle
redistribue 10% de son PIB aux autres régions. A l’inverse, nous avons plusieurs régions massivement bénéficiaires : le
Languedoc-Roussillon, le Limousin, la Corse, etc. En fait, il y a un lien très net entre le niveau de pauvreté de ces
régions et leur caractère bénéficiaire au jeu des prélèvements et des dépenses.
La période d’austérité dans laquelle nous sommes entrés peut-elle remettre en question ces mécanismes
publics de redistribution entre territoire ?
A l’évidence ! C’est tout le propos de mon dernier ouvrage. Chacun sait que l’augmentation des dépenses publiques
durant les dernières décennies a été de plus en plus financée par le déficit, autrement dit par l’endettement de la
puissance publique. Avec la crise des dettes publiques qui s’est ouverte à la suite de la crise financière, ce modèle de
financement des dépenses publiques apparait de moins en moins tenable. Or, vouloir réduire la dépense publique aura
de fait des impacts très nets en matière de redistribution interterritoriale. Même si on se contente de stabiliser les
dépenses publiques, et non de les baisser, cela aurait pour effet qu’un quart des régions françaises vont se trouver en
panne de créations d'emplois, parce qu'elles vivaient jusque là très largement du dynamisme du secteur public. Juste
deux chiffres là-dessus : sur les 350 zones d'emploi que compte la France, 120 ont connu depuis dix ans une
progression d'emplois publics plus forte, en nombre, que celle des emplois privés. Dans ces zones, les effets négatifs de
l’austérité sur l’emploi et les revenus des ménages se feront durement ressentir. Le risque bien réel est de voir se
retourner le mouvement de réduction des inégalités territoriales que l’on a observé ces dernières décennies ! Ceci incite
à intégrer la dimension géographique à toute réflexion sur la baisse des dépenses publique. Selon les choix qui seront
faits, les impacts sur les territoires ne seront pas les mêmes.
Vos travaux ont également montré qu’il existe de fortes disparités entre territoires pour ce qui concerne la
circulation des revenus privés dont sont porteurs les ménages. Globalement, quels types de territoires sont les
grands bénéficiaires de ces flux de revenus que vous qualifiez de « résidentiels » ?
Les flux de revenus privés qui irriguent chaque territoire peuvent être classés en trois catégories : les pensions de
retraite, les revenus des actifs qui résident ici mais travaillent ailleurs et les dépenses de touristes présents sur le
territoire. On peut tout d’abord constater que ces flux de revenus n’ont cessé de s’accroitre eux-aussi au cours des
quarante dernières années en raison de la mobilité croissante des ménages : mobilité quotidienne avec la dissociation
de plus en plus nette entre lieu de résidence et lieu d’emploi, mobilité de loisir avec l’essor des mobilités touristiques,
mobilité résidentielle avec la montée en puissance du nombre de retraités et de la part de ceux-ci qui changent de
bassins de vie au moment où se termine leur vie professionnelle. On observe effectivement que ces flux de revenus
privés désignent une fois encore des « gagnants » et des « perdants ». Si l’on prend les flux de revenus issus des
déplacements domicile-travail, on sait qu’ils s’établissent au bénéfice des territoires périurbains et selon une logique de
dépendance à l’égard des agglomérations situées à proximité. Concernant les dépenses touristiques, on peut constater