La femme, une africaine, éthiopienne ou somalienne, était aussi
grande que lui et peut- être même le dépassait de quelques cen-
timètres. Elle portait un pull qui lui moulait les seins et une simple
jupe noire soulignant sa silhouette. Son visage était d’une beauté
rayonnante, ses traits réguliers s’organisant dans une posture
radieuse autour de sa bouche charnue, de ses yeux en amande et
de ses fossettes. Elle illuminait tout l’espace autour d’elle. D’évi-
dence, ces deux-là étaient intimes. Je ne sais pas s’ils étaient
amants, mais naturellement proches et complices. Il parlait, elle
l’écoutait avec tendresse, mais cela ne l’empêchait nullement
d’être présente à tout le wagon, de scruter autour d’elle et de
regarder calmement les gens.
A un moment, son regard croisa le mien. Elle m’adressa un sou-
rire, un vrai sourire, naturel et charmant, sans la moindre
séduction, mais qui semblait transporter une part de la tendresse
qui la liait à son ami et d’une certaine manière au monde qui l’en-
tourait. C’est à ce moment qu’eut lieu l’explosion.
Ce visage souriant qui s’était imprimé dans mon esprit vola litté-
ralement en éclat. Je ne sais pas si sa tête ne fut pas brusquement
séparée de son corps ou simplement déchiquetée, ou si c’est
l’éclair de l’explosion dans mes yeux qui me donna cette impres-
sion d’éclatement, de disparition. Je me souviens en revanche du
visage de son ami d’un seul coup vérolé et immonde, percuté par
une cinquantaine de clous et d’éclats de métal, puis du sang dans
mes yeux qui me rendait aveugle. Je me frottais le visage, j’étais
allongé sur le sol, projeté par le choc et d’autres corps étaient
également allongés et tordus à côté de moi. Je constatai que je
voyais encore, que je voyais l’horreur. Alors, je fermai à nouveau
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