N Tests moléculaires et cancer colorectal métastatique chez un sujet jeune

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Cas
clinique
Tests moléculaires et cancer colorectal
métastatique chez un sujet jeune
Molecular testing in young metastatic colorectal cancer patient
F. Bibeau*, L. Khellaf*, H. Gil*, P.J. Lamy**, F. Quenet***, F. Boissière-Michot*
N
ous rapportons le cas d’un homme de 30 ans
chez lequel une tumeur du côlon transverse
associée à une carcinose péritonéale a été
découverte, sans autre métastase à distance. À l’interrogatoire, il existait des antécédents d’adénocarcinome
colorectal traité chez la mère et l’oncle à l’âge de 49 et
53 ans, respectivement. Une chirurgie d’exérèse de la
tumeur primitive associée à une cytoréduction de la
carcinose avec chimiohyperthermie intrapéritonéale
était programmée, précédée d’une chimiothérapie systémique. L’examen anatomopathologique mettait en
évidence un adénocarcinome colique moyennement
différencié de stade pT3 pN2b pM1b, une carcinose
péritonéale sous forme d’un nodule étant observée au
niveau du cul-de-sac de Douglas. Devant ce tableau
métastatique, associé à la notion de cancer colorectal
familial, chez un sujet jeune, des investigations molé­
culaires étaient réalisées, correspondant à la détermination :
Figure 1. Mutation ponctuelle du gène KRAS de type
c.35G>A, p.G12D.
✓✓ du statut mutationnel du gène KRAS, dans le cadre
de l’éventuelle prescription d’une thérapie ciblée avec
anticorps monoclonal anti-EGFR (figure 1) ;
✓✓ de l’instabilité microsatellitaire par biologie molé­
culaire, dans le cadre d’un probable syndrome de Lynch,
avec étude immunohistochimique conjointe de l’expression des protéines du système MMR (MisMatch Repair) ;
✓✓ du statut mutationnel du gène BRAF, conférant à
l’instabilité microsatellitaire une origine sporadique.
Une mutation du gène KRAS (c.35G>A, p.G12D) [figure 1],
sans mutation de BRAF, et une instabilité microsatellitaire, représentée par 5 marqueurs instables sur les 5
testés, associée à la perte d’expression immunohistochimique des protéines MSH2 et MSH6, étaient mises
en évidence. Compte tenu des données cliniques et
moléculaires, une recherche de mutation germinale
des gènes MMR était entreprise, mettant en évidence
une mutation MSH2. Ce cas clinique ouvre le débat sur
la prise en charge thérapeutique d’un patient atteint
d’un cancer colorectal au stade métastatique et d’un
syndrome de Lynch. Le pronostic du cancer colorectal
métastatique s’est considérablement amélioré grâce
aux nouvelles combinaisons de chimiothérapie et à
l’avènement des anticorps thérapeutiques ciblant le
Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) [bévacizumab]
et l’Epidermal Growth Factor Receptor (EGFR) [cétuximab,
panitumumab] (1). Les thérapies ciblant l’EGFR ne sont
pas efficaces en cas de mutation du gène KRAS (2). Ces
mutations sont en effet des mutations activatrices, à
l’origine de signaux prolifératifs non régulés, permanents,
indépendants de la fixation du ligand au récepteur, et
donc de l’effet thérapeutique de l’anticorps anti-EGFR
ciblant le récepteur (2). Par conséquent, les anticorps
anti-EGFR ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) limitée aux patients présentant une tumeur
non mutée pour le gène KRAS. Cette détermination doit
être réalisée dans un laboratoire spécialisé en génétique somatique des tumeurs, appartenant aux platesformes de génétique moléculaire des cancers soutenues
et financées par l’Institut national du cancer (INCa) [3].
Elle ne concerne que les patients atteints d’un cancer
colorectal au stade métastatique, les anticorps anti-EGFR
n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité en situation
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 3 - juillet-août-septembre 2012
* Service de pathologie ;
** Service de biologie ;
*** Service de chirurgie,
CRLC Val-d’Aurelle,
Montpellier.
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Cas
clinique
Figure 2. Perte de l’expression de MSH2 et MSH6. L’extinction de MSH2 est due à une mutation
germinale du gène MSH2. Celle de MSH6 est liée à l’absence de MSH2, cette protéine étant
normalement recrutée par MSH2.
adjuvante. La recherche de mutations peut cependant
être raisonnablement effectuée de façon anticipative
dans certains cas, avant que l’oncologue ne la réclame,
notamment si le pathologiste a l’opportunité d’analyser une métastase histologiquement do­cumentée.
Notre cas clinique s’intègre à cette réflexion, puisque le
patient présentait un nodule de carcinose, traduisant une
maladie métastatique, à partir duquel la recherche de
mutation KRAS a été réalisée avant la requête clinique.
Il faut préciser que ce test doit suivre certaines recommandations, tant au cours de la phase préanalytique
que de la phase analytique, pour garantir les résultats
les plus fiables possible (3-6). Les mutations de KRAS sont
mutuellement exclusives de celles de BRAF, comme nos
données moléculaires l’illustraient (6). Le second point de
discussion de ce cas concernait la mise en évidence d’un
syndrome de Lynch, suspecté devant le jeune âge de ce
patient et la notion d’antécédents familiaux de cancer
colorectal. Ce syndrome autosomique dominant lié à une
mutation germinale d’un des gènes du système MMR
(MLH1, MSH2, MSH6, PMS2) est caractérisé par la survenue
de cancers précoces, non seulement colorectaux, mais
aussi de l’endomètre et de la vessie (7). L’instabilité microsatellitaire est une anomalie constamment retrouvée au
cours de ce syndrome, correspondant à une absence
de réparation des mésappariements de l’ADN, due à
un système MMR non fonctionnel (7). Dans notre cas,
une instabilité microsatellitaire a été mise en évidence,
en relation avec une absence d’expression de MSH2 et
MSH6, ce qui traduisait la défaillance du système MMR
(figure 2). La détermination du statut MSI et l’analyse
immunohistochimique des protéines MMR constituent
une méthode de criblage pour détecter les syndromes
de Lynch. En effet, la recherche d’une mutation germinale, qui est longue et uniquement réalisée par un petit
nombre de laboratoires agréés, ne doit s’effectuer, en
dehors de critères d’Amsterdam complets, qu’en cas
de statut MSI avéré et/ou d’immunohistochimie MMR
révélant la perte d’au moins une des protéines, ce dernier
test orientant vers le gène atteint (MSH2 dans notre cas,
par argument de fréquence). Sur le plan clinique, la mise
en évidence d’une mutation germinale du gène MSH2
chez ce patient a conduit à une surveillance particulière
et à la recherche d’une mutation germinale identique
chez ses apparentés non symptomatiques. Les cancers
colorectaux MSI sont habituellement de bon pronostic,
s’accompagnant rarement de métastases, ce qui souligne
la particularité de ce cas. L’absence de mutation de BRAF,
outre les données cliniques et moléculaires, confortait le
caractère héréditaire de l’instabilité microsatellitaire (7).
Cependant, le statut BRAF non muté manque de spécificité, car il n’est présent que dans 40 % des cancers
colorectaux MSI sporadiques (7). Il faut également
souligner que le statut MSI a un impact prédictif sur
les chimiothérapies systémiques à base de 5-FU, mais
uniquement dans les stades II (pT3-4 N0), ce qui n’avait
donc pas d’incidence sur le traitement de ce patient
métastatique (8). Compte tenu de ces données, ce patient
a suivi un traitement par chimiothérapie systémique
sans anticorps anti-EGFR pour sa maladie métastatique.
De plus, il a bénéficié d’une surveillance coloscopique
bisannuelle, actuellement recommandée en cas de
syndrome de Lynch avéré. Ce cas clinique illustre les
investigations moléculaires actuelles qu’il est possible
de réaliser conjointement chez un patient jeune atteint
d’un adénocarcinome colorectal métastatique.
■
Références
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132
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