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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 26, issue 3, summer 2016
reVue Canadienne de sOins infirmiers en OnCOlOgie
FEATURES/RUbRiqUES
fondamentaux est la cause d’une souf-
france immense et incommensura-
ble que je trouve autant palpable et
qu’accablante.
Qu’est-ce qui vous a marquée lorsque
vous étiez là-bas?
J’ai observé plusieurs choses qui
m’ont interpellée et soulignent les dif-
férences culturelles et dans les façons
de gérer les soins de santé.
Lors de ma première journée au
MNJ Institute of Oncology d’Hyder-
abad, en Inde, une longue le de gens
attendaient pour voir le médecin; parmi
eux, une femme qui hurlait de douleur.
Je me suis alors demandé si elle n’était
pas en train d’accoucher, car c’est la
seule fois où j’avais entendu ce genre
de cris désespérés. Mais cette femme
étendue sur le plancher hurlait de dou-
leur parce qu’un cancer avait ravagé
son corps dévasté, un cancer qu’on par-
vient pourtant à guérir dans la plupart
des pays. J’ai appris par la suite que la
plupart des femmes là-bas meurent de
ce cancer vu l’absence de programmes
de dépistage précoce.
C’est comme si la sourance
humaine était acceptable. Des gens ren-
dus diormes par de grosses tumeurs
se promènent comme si de rien n’était.
J’avais l’impression d’être sur un plateau
de tournage après qu’une équipe de
production d’eets spéciaux soit venue
aubler un être humain d’une tumeur
énorme et grossière pour ensuite lui
demander de déambuler.
Non seulement les plaies étaient-
elles exposées sans pansement con-
venable, mais il arrivait qu’on doive en
extraire des asticots. La présence de
ces vers ne rebutait pas l’équipe. Cela
faisait partie de l’«expertise» clinique
requise pour travailler au service
externe de traitement de la douleur et
des soins palliatifs.
C’était la première fois en 14ans d’ex-
périence comme inrmière en oncolo-
gie que j’étais témoin de telles scènes.
J’avais l’impression que le cancer était
à ce point partout qu’il ne pouvait plus
être ignoré, même en essayant. C’était
surréaliste. Les gens se déplaçaient,
apparemment résignés à leur sort; il n’y
avait pas de sentiment d’urgence et per-
sonne ne semblait s’attendre à ce que
quiconque fasse quoi que ce soit pour
soulager cette sourance. Je me suis
sentie démunie devant cette situation, et
maintenant que j’y repense, je me rends
compte avec tristesse que pour arriver à
fonctionner, j’ai moi aussi ni par trou-
ver ça normal de jour en jour.
Les quelques personnes qui rece-
vaient des soins palliatifs étaient si
reconnaissantes! Elles se trouvaient
«choyées» de proter de soins que la
plupart d’entre nous considéreraient
comme un droit.
Comment avez-vous vécu ces
dicultés? Qu’aimeriez-vous que les
autres inrmières canadiennes sachent
à propos des conditions et du milieu de
travail où vous étiez?
J’avais l’impression d’être dans un au-
tre monde. Et je me trouvais vraiment
chanceuse que ça se passe autrement
dans « mon monde ». Je me sentais
aussi coupable d’avoir accès à des soins
de santé, y compris à des soins palliatifs,
si j’en avais besoin.
Je continue de faire du bénévolat pour
Two Worlds Cancer Collaboration Foun-
dation, un organisme canadien sans but
lucratif qui s’eorce de réduire l’écart en-
tre nos deux mondes.
J’ai décidé que, s’il m’était possible
de me réfugier dans mon monde, je ne
pouvais toutefois pas oublier les gens
qui ont désespérément besoin d’ac-
céder à des soins élémentaires. Je me
suis donc engagée dans de nombreux
projets visant à sensibiliser les gens sur
cet écart, et j’ai contribué à des collectes
de fonds auprès de mes collègues, amis
et membres de ma famille pour soute-
nir le programme de soins palliatifs en
Inde.
La première fois que j’ai fait de la
sensibilisation, c’était auprès d’une
dizaine de membres de ma famille et
d’amis proches. Leur appui a été renver-
sant! J’ai reçu des dons sans même en
demander. J’ai donc poursuivi en allant
dans les églises, les temples et les clubs
Rotary. Quand je fais ça, j’ai l’impres-
sion de donner une voix à ceux qui n’en
ont pas.
Le soutien d’autant de gens m’a
transportée de joie. Des gens que je con-
naissais à peine sont venus appuyer ce
projet. J’ai assisté à une démonstration
de la compassion humaine à laquelle je
ne me serais jamais attendue! D’autres
projets de collectes de fonds ont en
outre vu le jour au Canada en appui à
ce travail. Environ 400 personnes se
sont présentées à notre grande danse de
collecte de fonds en2015, après le gala
de2014 qui avait rapporté des milliers
de dollars pour la cause. Nous espérons
poursuivre ces activités au moins tous
les deux ans, et nous avons commencé à
planier celle de2017.
Lors de mon expérience en Inde, j’ai
été profondément blessée par ce que j’y
ai vu. Mais le déferlement d’aide prove-
nant d’amis et de parents canadiens m’a
mise sur la voie du changement, trans-
formant cette expérience en quelque
chose de positif.
Merci à tous ceux et celles qui ont
patiemment écouté mes récits et qui ont
pris la peine d’appuyer ce projet.