Les soins palliatifs en Inde : leçons d’une bénévole de passage UES

260 VOLUME 26, ISSUE 3, SUMMER 2016 � CANADIAN ONCOLOGY NURSING JOURNAL
REVUE CANADIENNE DE SOINS INFIRMIERS EN ONCOLOGIE
FEATURES/RUBRIQUES
reFleXiONs sur uNe eXPerieNce A letrANGer
Les soins palliatifs en Inde: leçons
dune bénévole de passage
par Zahra Lalani
Qu’avez-vous appris de vos voyages en
Inde en tant que bénévole?
Ce que nous considérons être un
droit en Occident nen est pas forcé-
ment un pour tout le monde ici-bas. En
Inde, la statistique la plus déstabilisante
pour moi est que plus de 75% de toutes
les personnes chez qui on découvre
un cancer en sont aux derniers stades
de la maladie au moment du diagnos-
tic, et ont désespérément besoin d’anti-
douleurs et de soins palliatifs, alors que
moins de 0,5% en reçoivent. Or, l’OMS
utilise la consommation de morphine
par habitant comme indicateur du sou-
lagement de la douleur.
Lors de mes voyages de coopération,
j’ai posé la question que tout le monde
se pose : « Pourquoi? Pourquoi ces
gens ne reçoivent-ils pas d’antidouleurs
ou de soins palliatifs convenables? »
La réponse nest pas simple. Les fac-
teurs qui contribuent à faire obstacle à
ce droit à des soins élémentaires sont
nombreux. Par exemple, on croit dans
certains villages que le cancer est con-
tagieux, et on ressent souvent l’omni-
présence de la stigmatisation envers les
personnes atteintes de cancer. Certaines
croyances religieuses relatives à la souf-
france font également obstacle, tout
comme la crainte généralisée dans la
société quant au risque de développer
une toxicomanie. Le manque d’accès
aux programmes de dépistage et aux
méthodes diagnostiques, la connais-
sance limitée des signes de cancer, les
obstacles bureaucratiques pour l’ob-
tention de permis de prescrire des opi-
oïdes pour usage médical, et les lacunes
de la formation en matière de soins
palliatifs dans les écoles de médecine
causent aussi problème. Ces dernières
années, le gouvernement indien et cer-
tains organismes ont toutefois amorcé
un mouvement pour améliorer la situa-
tion, et l’avenir semble désormais plus
prometteur.
Selon moi, le plus frustrant dans
tout ça, cest que la morphine ne coûte
pas cher. La culture du pavot est légale
en Inde; on en extrait l’opium pour
l’exporter dans le reste du monde,
où il sera transformé en morphine et
consommé. Pourtant, la population
de l’Inde n’y a pas facilement accès.
Cette violation des droits humains
Au suJet De l’Auteure
Zahra Lalani, inf., B.Sc.inf., BC Cancer Agency—
Pain and Symptom/Palliative Care Research Nurse
andVancouver Hospice Society—Palliative Care
Coordinator. Courriel : [email protected]
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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 26, issue 3, summer 2016
reVue Canadienne de sOins infirmiers en OnCOlOgie
FEATURES/RUbRiqUES
fondamentaux est la cause d’une souf-
france immense et incommensura-
ble que je trouve autant palpable et
qu’accablante.
Qu’est-ce qui vous a marquée lorsque
vous étiez là-bas?
J’ai observé plusieurs choses qui
mont interpellée et soulignent les dif-
férences culturelles et dans les façons
de gérer les soins de santé.
Lors de ma première journée au
MNJ Institute of Oncology d’Hyder-
abad, en Inde, une longue le de gens
attendaient pour voir le médecin; parmi
eux, une femme qui hurlait de douleur.
Je me suis alors demandé si elle nétait
pas en train d’accoucher, car cest la
seule fois où j’avais entendu ce genre
de cris désespérés. Mais cette femme
étendue sur le plancher hurlait de dou-
leur parce qu’un cancer avait ravagé
son corps dévasté, un cancer qu’on par-
vient pourtant à guérir dans la plupart
des pays. J’ai appris par la suite que la
plupart des femmes là-bas meurent de
ce cancer vu l’absence de programmes
de dépistage précoce.
C’est comme si la sourance
humaine était acceptable. Des gens ren-
dus diormes par de grosses tumeurs
se promènent comme si de rien nétait.
J’avais l’impression dêtre sur un plateau
de tournage après qu’une équipe de
production d’eets spéciaux soit venue
aubler un être humain d’une tumeur
énorme et grossière pour ensuite lui
demander de déambuler.
Non seulement les plaies étaient-
elles exposées sans pansement con-
venable, mais il arrivait quon doive en
extraire des asticots. La présence de
ces vers ne rebutait pas l’équipe. Cela
faisait partie de l’«expertise» clinique
requise pour travailler au service
externe de traitement de la douleur et
des soins palliatifs.
C’était la première fois en 14ans dex-
périence comme inrmière en oncolo-
gie que jétais témoin de telles scènes.
J’avais l’impression que le cancer était
à ce point partout qu’il ne pouvait plus
être ignoré, même en essayant. C’était
surréaliste. Les gens se déplaçaient,
apparemment résignés à leur sort; il n’y
avait pas de sentiment d’urgence et per-
sonne ne semblait s’attendre à ce que
quiconque fasse quoi que ce soit pour
soulager cette sourance. Je me suis
sentie démunie devant cette situation, et
maintenant que j’y repense, je me rends
compte avec tristesse que pour arriver à
fonctionner, j’ai moi aussi ni par trou-
ver ça normal de jour en jour.
Les quelques personnes qui rece-
vaient des soins palliatifs étaient si
reconnaissantes! Elles se trouvaient
«choyées» de proter de soins que la
plupart dentre nous considéreraient
comme un droit.
Comment avez-vous vécu ces
dicultés? Qu’aimeriez-vous que les
autres inrmières canadiennes sachent
à propos des conditions et du milieu de
travail où vous étiez?
J’avais l’impression dêtre dans un au-
tre monde. Et je me trouvais vraiment
chanceuse que ça se passe autrement
dans « mon monde ». Je me sentais
aussi coupable d’avoir accès à des soins
de santé, y compris à des soins palliatifs,
si jen avais besoin.
Je continue de faire du bénévolat pour
Two Worlds Cancer Collaboration Foun-
dation, un organisme canadien sans but
lucratif qui s’eorce de réduire l’écart en-
tre nos deux mondes.
J’ai décidé que, s’il métait possible
de me réfugier dans mon monde, je ne
pouvais toutefois pas oublier les gens
qui ont désespérément besoin d’ac-
céder à des soins élémentaires. Je me
suis donc engagée dans de nombreux
projets visant à sensibiliser les gens sur
cet écart, et j’ai contribué à des collectes
de fonds auprès de mes collègues, amis
et membres de ma famille pour soute-
nir le programme de soins palliatifs en
Inde.
La première fois que j’ai fait de la
sensibilisation, cétait auprès d’une
dizaine de membres de ma famille et
d’amis proches. Leur appui a été renver-
sant! J’ai reçu des dons sans même en
demander. J’ai donc poursuivi en allant
dans les églises, les temples et les clubs
Rotary. Quand je fais ça, j’ai l’impres-
sion de donner une voix à ceux qui nen
ont pas.
Le soutien d’autant de gens ma
transportée de joie. Des gens que je con-
naissais à peine sont venus appuyer ce
projet. J’ai assisté à une démonstration
de la compassion humaine à laquelle je
ne me serais jamais attendue! D’autres
projets de collectes de fonds ont en
outre vu le jour au Canada en appui à
ce travail. Environ 400 personnes se
sont présentées à notre grande danse de
collecte de fonds en2015, après le gala
de2014 qui avait rapporté des milliers
de dollars pour la cause. Nous espérons
poursuivre ces activités au moins tous
les deux ans, et nous avons commencé à
planier celle de2017.
Lors de mon expérience en Inde, j’ai
été profondément blessée par ce que j’y
ai vu. Mais le déferlement d’aide prove-
nant d’amis et de parents canadiens m’a
mise sur la voie du changement, trans-
formant cette expérience en quelque
chose de positif.
Merci à tous ceux et celles qui ont
patiemment écouté mes récits et qui ont
pris la peine d’appuyer ce projet.
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