ne doit pas faire perdre de vue que l’effet multiplicateur (sur l’activité, les revenus et l’emploi du territoire) que l’on peut
en attendre dépend de la capacité du territoire à limiter les fuites de revenus, c’est-à-dire à créer les conditions d’une
circulation optimale des richesses en son sein (Ward et Lewis, 2002). Poursuivre l’une en délaissant l’autre (et
réciproquement) se révèlerait vain : se focaliser sur le carburant qui entre dans le réservoir revient à ne pas voir sans voir
que le moteur peut connaitre par ailleurs des pertes importantes ; réduire les fuites sans se préoccuper des flux entrant
permet simplement de ralentir un appauvrissement inéluctable. Comme le résument les économistes Mario Polèse et
Richard Sheamur (2009), la « meilleure » situation, celle qui permet de bénéficier des avantages du commerce tout en
ayant une économie locale solide, est celle d’une région qui parvient à exporter sans trop importer .
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Si l’enjeu de la circulation des richesses au sein du territoire mérite d’être inscrit à l’agenda des politiques économiques
des métropoles, on peut d’ores et déjà ouvrir quelques pistes de réflexion. Partant de l’hypothèse que, pour un volume
de revenus captés donné, le niveau de développement économique d’un territoire dépend de l’intensité des effets
multiplicateurs au sein du circuit économique local, il convient de mieux comprendre comment ce dernier fonctionne. En
d’autres termes, il parait essentiel d’en identifier les éléments clés où se jouent les fuites de revenus et le maintien en
circulation des revenus au sein du territoire (cf. schéma ci-dessous). De ce point de vue, le « moteur » du multiplicateur
comprend au moins trois grands ressorts (Chabanel, 2013a).
Il dépend tout d’abord de la part des dépenses des ménages résidents qui est réalisée localement, ce que l’on appelle la
propension des ménages à consommer localement (Pecqueur et Talandier, 2011). Ce ressort de la consommation locale
met en exergue l’importance de l’économie de proximité dans l’amorçage et la poursuite de l’effet multiplicateur : pour
consommer, encore faut-il qu’une offre soit disponible sur le territoire. Capter les dépenses de consommation des
ménages met en jeu notamment la capacité des métropoles à proposer une offre de commerces et services répondant
aux nouvelles aspirations de la société de consommation (relation de service, qualité, proximité, cross-canal, etc.), et à
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de façon à soutenir le développement local (Chabanel, 2014 ; Talandier,inciter les habitants à privilégier cette offre
2013, ). Rappelons ici que les enjeux de captation de revenus et de consommation locale ne font qu’un dès lors que2014
l’offre de commerces et services locale parvient à attirer et susciter des dépenses de la part de consommateurs venant
de l’extérieur du territoire (Ruault, 2014).
La dynamique du multiplicateur semble fonction également de la part des biens et services consommés localement (par
l’ensemble des acteurs économiques du territoire) qui a été produite à proximité. Satisfaire la demande locale davantage
par des solutions locales implique alors que le territoire se donne les moyens de favoriser le développement d’activités
venant se substituer aux importations , et d’encourager l’ensemble des entreprises (privées et publiques) à
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s’approvisionner à proximité lorsque que cela est possible. Cette problématique suppose notamment de renforcer les
outils d’analyse permettant d’identifier les secteurs d’activités « acheteurs » et « fournisseurs » mis en jeu par les
importations du territoire . Elle incite également à s’interroger sur la dépendance du territoire à l’égard de produits
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importés sans lesquels l’économie ne peut fonctionner mais dont l’accessibilité s’annonce de plus en plus difficile à
l’avenir : fin de l’énergie bon marché, raréfaction des ressources naturelles (minerais, minéraux, biomasse, etc.), baisse
des rendements agricoles, etc. Par ailleurs, comme le suggèrent les réflexions de Jane Jacobs (2001), en développant
des biens et services répondant à la demande de proximité, le tissu économique local renforce dans le même temps sa
capacité exportatrice dans la mesure où cette offre peut être valorisée également sur les marchés extérieurs.
Enfin, l’intensité du multiplicateur parait dépendre de la part des profits créés localement qui reste sur le territoire. D’une
manière générale, cet enjeu met en évidence le risque qu’il y aurait à ce qu’une part croissante du capital des entreprises
présentes sur le territoire soit détenue par des firmes ou des investisseurs non-résidents et poursuivant d’abord des
objectifs de création de valeur financière à court terme. Ce qui soulève directement la problématique du financement des
entreprises présentes localement. Bien évidemment, s’agissant des grandes firmes, les métropoles ne sauraient viser
une illusoire territorialisation de leur actionnariat mais plutôt le déclenchement de nouveaux investissements locaux, ce
qui implique une capacité à comprendre et accompagner leurs stratégies de groupe et de site (Crague, 2014). En
revanche, la question du financement du développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et
moyennes entreprises (PME) présente une acuité territoriale plus forte. Eviter le scénario du rachat par un acteur
financiarisé exogène implique ainsi de développer des dispositifs (institutions, produits financiers, etc.) permettant de
mobiliser en priorité l’épargne de proximité (Shuman, 2011). Au-delà, cet enjeu d’ancrage de la valeur ajoutée pose la
question du soutien prioritaire qui pourrait être accordé aux entreprises du territoire privilégiant le réinvestissement local
des profits et/ou dont le siège social et l’actionnariat sont situés à proximité.
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Si elles entendent favoriser le développement de l’activité, de l’emploi et des revenus sur leur territoire, les métropoles ne
peuvent s’en tenir au double impératif de compétitivité et d’attractivité. Saisir les opportunités, mais aussi les risques, de
l’ouverture économique sur le reste du monde implique en effet de mieux comprendre comment les territoires peuvent
favoriser l'ancrage de la consommation, de la production et du financement. Cette attention nouvelle au fonctionnement