É D I T O R I A L La mort en cette Cour ● C. Sureau* “La vérité de ce monde, c’est la mort” L.F. Céline L a mort certes, mais quand et pourquoi ? En médecine de la procréation, deux aspects opposés de la mort se présentent à nous : la mort “idéologique” et la mort “pragmatique”. La mort idéologique Sans aller jusqu’à évoquer une forme extrême de mort “idéologique”, en l’occurrence l’exécution capitale de 1943 pour crime d’avortement, conséquence de la Loi de 1920 sur l’avortement et la propagande anticonceptionnelle, deux décisions de justice me paraissent traduire cette tendance curieusement mortifère de notre droit positif ou juridictionnel. En janvier 1996, la première chambre civile de la Cour de cassation, cassant partiellement sans renvoi l’arrêt de la cour de Toulouse et se fondant sur la Loi 94/654, prétendait contraindre Maria Pirès, veuve d’Albino Pirès, à, soit détruire les deux embryons congelés à l’hôpital de La Grave, soit les abandonner à un couple étranger. Attitude profondément choquante, et même juridiquement infondée pour la seconde éventualité, en raison du nécessaire respect des précautions sanitaires, et qui curieusement suscita, du moins au début, les commentaires admiratifs de nombreux juristes et parlementaires, et de quelques médecins. Progressivement, au fil des années, l’inqualifiable “déni d’éthique” apparut dans toute son horreur, et de nombreuses instances officielles (CCNE, Académie de médecine, puis Conseil d’État et Office parlementaire) se prononcèrent pour l’abolition de cette disposition de la Loi 94/654, et L. Jospin vient enfin de reconnaître la légitimité de cette décision le 28 novembre. Cette décision de mort ou cette contrainte d’abandon résultaient en fait d’une interprétation hasardée d’un paragraphe, lui-même conceptuellement erroné, du rapport 1988 du Conseil d’État, De l’Éthique au droit, traduit par la formule idéologique “deux parents, pas un de plus, pas un de moins”. * Président de l’Académie nationale de médecine (texte reçu en 2000), 16, rue Bonaparte, 75006 Paris. La Lettre du Gynécologue - n° 258 - janvier 2001 Tout aussi idéologiquement induit apparaît l’arrêt Perruche, de la première chambre civile, en 1996, puis de l’Assemblée plénière après rébellion de la cour d’Orléans en 2000. L’idéologie sous-jacente peut être soit la motivation vive de la Cour en faveur d’une marche forcée vers toujours plus d’indemnisation dans les cas de mise en cause de la responsabilité médicale, soit un désir quelque peu contradictoire de reconnaître à l’embryon la qualité de sujet de droit (qu’au demeurant le Conseil constitutionnel lui a dénié lorsqu’il est ex utero, par sa décision du 27/07/1994), et d’en déduire la légitimité de sa destruction pour éviter “le préjudice de vie” sans pour autant en accepter le principe pour l’enfant né. Certains ont soutenu que cette éventualité de destruction pour “vie invivable” était déjà présente dans les lois de 1975, 1979 et 1994 concernant l’interruption médicale de grossesse. Cela est exact, mais l’arrêt Perruche transforme ce qui n’était qu’une possibilité offerte aux parents et aux praticiens, en une obligation, puisque son non-respect peut entraîner une sanction. Dans ces deux cas, la décision de mort découle de l’application d’un concept idéologique et elle est susceptible de générer des drames humains, à savoir l’interdiction de procréer dans le cas Pirès, et l’éventualité de plainte contre les praticiens ou les parents pour non-réalisation de l’IMG dans les suites de l’affaire Perruche. La mort pragmatique Tout autre est la mort “pragmatique”. Celle de l’embryon intratubaire pour sauver la vie de la femme ou lui conserver son aptitude procréative, celle de l’embryon “potentiel” que sacrifie le diagnostic préimplantatoire pour permettre la naissance d’un enfant indemne, celle enfin de l’embryon surnuméraire après abandon du projet parental, pour obtenir des lignées cellulaires utilisables en clinique humaine, améliorer les résultats de l’assistance médicale à la procréation et même de la procréation naturelle. Cette réalisation d’une “médecine de l’embryon” peut, en effet, au bout du compte expliquer, puis éviter, ces échecs de la procréation humaine si nombreux et, par exemple, diminuer par la prévention le nombre de circonstances où le diagnostic prénatal ou préimplantatoire conduit à une décision mortifère. “La mort est partout”, comme le disait Céline, c’est vrai. Il ne tient qu’à nous de l’utiliser au service de la vie et non d’une idéologie coercitive et finalement destructrice. ■ 3