CAS CLINIQUE
16 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013
Mots-clés
Soins palliatifs - Prescriptions anticipées - Analgésie.
Keywords
Palliative care - Advance directives - Pain control.
C
e patient de 62 ans était bien connu du service d’ORL de
l’hôpital de X, où il était en cours de chimiothérapie pour
sa troisième localisation ORL. Cet homme marié, père d’un
fils de 36 ans et d’une fille de 32 ans, était grand-père de 4 petits-
enfants. Compliant et très discret, il s’en remettait totalement
aux médecins.
Son histoire avait commencé en 2009 par une dysphonie révélant
une tumeur de la face laryngée de l’épiglotte, T2N0M0, accessible
à une chirurgie partielle laryngée sus-glottique associée à un
évidement ganglionnaire bilatéral. La pièce opératoire étant en
résection R0 et les ganglions étant sains, aucun traitement complé-
mentaire n'a été proposé. Malheureusement, malgré sa motivation
initiale et un suivi en tabacologie, le patient n'a pas réussi à arrêter
de fumer (1) : le sevrage forcé lié à l’hospitalisation en chirurgie n'a
duré que 1 mois. Pour Monsieur X, cet échec était dû aux soucis
familiaux : sa fille était en plein divorce, il s’inquiétait pour ses
petits-fils. Par ailleurs Monsieur X, très introverti, exprimait peu
ce qu’il ressentait, assurant toujours que tout allait bien.
L’année suivante, la surveillance systématique a permis de
découvrir une nouvelle localisation amygdalienne droite, traitée
par amygdalectomie élargie associée à une radiochimiothérapie
sur la tumeur et les aires ganglionnaires. Lors de l’hospitalisation,
des conflits avaient éclaté entre l’équipe soignante et la fille de
Monsieur X, qui estimait que tout n’avait pas été fait pour éviter
ce deuxième cancer. Grâce à l’intervention de la psychologue
du service et à un entretien avec l’ORL référent du patient, le
Dr A, le climat s’était détendu et une relation de confiance s’était
nouée. Une chimiothérapie a été mise en place, mais 1 seul cycle
a pu être administré à pleine dose en raison de l’apparition d’une
insuffisance rénale.
Dix-huit mois après, le Dr A a eu la mauvaise surprise de découvrir
des métastases pulmonaires associées à une évolution cervicale. Il a
expliqué à Monsieur X que la bataille engagée contre cette tumeur
ne pourrait être gagnée. La chimiothérapie pourrait néanmoins
empêcher la maladie de progresser et il s’attacherait désormais
à soulager au mieux les symptômes pouvant apparaître. Le Dr A
a proposé à Monsieur X de rencontrer ses proches afin de les
informer de la situation, mais ce dernier a refusé, ne voulant pas
inquiéter ses enfants et sa femme, préférant aviser le temps venu
en fonction de l’évolution des choses.
Peu de temps après le diagnostic de tumeur métastatique,
Monsieur X a commencé à être dysphagique et a rapidement perdu
6 kg. Une tomodensitométrie (TDM) confirmant l’évolution de la
maladie, la chimiothérapie a été modifiée. Monsieur X a par ailleurs
été hospitalisé dans le service d’ORL pour faire pratiquer une
gastrostomie en radiologie interventionelle. Après ce geste, le Dr B,
ORL du service responsable du Lit identifié de soins palliatifs (LISP),
qui éprouvait des difficultés à équilibrer le traitement antalgique,
a demandé l’aide du Dr C, médecin de l’Équipe mobile d’accom-
pagnement et soins palliatifs (EMASP). Celui-ci a rapidement
amélioré la symptomatologie en diminuant les morphiniques et
en introduisant un antidépresseur tricyclique contre les douleurs
neuropathiques (2). Lors de cette hospitalisation, la femme de
Monsieur X a manifesté son inquiétude face à l’état de son mari, et
ce dernier a enfin donné son accord pour l’informer du pronostic.
Malgré les entretiens avec la psychologue (3), le sujet est resté
tabou pour le couple qui refusait toujours d’angoisser les enfants.
Monsieur X a alors regagné son domicile et repris sa chimiothérapie
en hôpital de jour.
Il était donc logique pour la famille de Monsieur X, réunie pour
un repas de famille, de se diriger vers l’hôpital de X le soir où il
a éprouvé une difficulté croissante à respirer. Aux urgences, le
patient, tachycarde, présentait un tirage sus-claviculaire et une
dyspnée inspiratoire importante, ainsi qu’une agitation anxieuse,
partagée par sa femme et ses enfants, très agressifs. Son ORL
référent, appelé pour avis, a observé au nasofibroscope une
paralysie laryngée bilatérale et décidé de pratiquer en urgence
une trachéotomie sous anesthésie locale. Celle-ci réalisée, le
patient s’est enfin endormi. Ses enfants ont alors découvert le
pronostic de leur père grâce au Dr A et ont laissé éclater leur
colère de ne pas avoir été informés auparavant.
Derniers jours de Monsieur X
Mr. X’s last days
S. Deneuve*, M. Hadoux**, B. de Corbière***
* Chirurgien ORL et CCF, département d’oncologie chirurgicale, centre de lutte contre
le cancer Léon-Bérard, Lyon.
** Psychologue clinicienne, service de chirurgie digestive, hôpital de la Pitié- Salpêtrière,
Paris.
*** Médecin responsable de l’unité fonctionnelle de médecine palliative, hôpital Bichat,
Paris.