l’évaluation des symptômes du patient (Mitchell, 2008). Il existe

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par Geneviève Breau
Abrégé
Chez les patients atteints de cancer, la dépression réduit la survie et
la qualité de vie, et pourtant, il se peut que les cliniciens ne cherchent
pas à dépister la dépression dans le cadre de leur pratique courante.
La présente étude a examiné les comportements en matière de dépis-
tage et de prise en charge de la dépression dans un centre de can-
cérologie dispensant des soins tertiaires en effectuant des entrevues
auprès de dix oncologues et de dix infirmières. La théorie du com-
portement planifié a été appliquée afin de mieux saisir les compor-
tements en matière de dépistage. Les résultats indiquaient que les
cliniciens effectuaient le dépistage de la dépression et qu’ils la pre-
naient en charge en consultant d’autres professionnels de la santé.
Cette étude a permis de constater que la dépression fait l’objet d’un
dépistage et d’une prise en charge appropriés chez les patients et
que certains éléments de la théorie du comportement planifié pour-
raient améliorer la compréhension des comportements en matière de
dépistage.
Termes clés : cancer, oncologie, dépression, dépistage de la dépres-
sion, comportement des prestataires de soins, théorie du comporte-
ment planifié
Introduction
Chez les patients atteints de cancer, la dépression non trai-
tée réduit de manière importante la survie, les capacités fonction-
nelles et la qualité de vie liée à la santé (Arrieta et al., sous presse;
Kroenke et al., 2010; Onitilo, Nietert & Egede, 2006). Quoique l’as-
sociation entre la dépression et une moindre survie ait été éta-
blie par des équipes de recherche (Onitilo et al., 2006), les raisons
n’en sont pas claires. L’une d’elles, avancée par Litofsky et ses
collègues (2004), est que ce sont les patients qui reçoivent un
traitement moins agressif qui ont tendance à déprimer. Bien que
les résultats pour le patient soient plus défavorables dans le cas
des patients cancéreux atteints de dépression, celle-ci peut être
soignée avec succès si elle est décelée par les professionnels de
l’oncologie puis traitée au moyen de la psychothérapie (Barth,
Delfino & Kunzler, sous presse; Jacobsen & Jim, 2008) et d’anti-
dépresseurs (Williams & Dale, 2006). Les infirmières en oncologie
jouent un rôle important au niveau de la détection des patients
déprimés dans le cadre des soins visant le bien-être global du
patient.
Les patients atteints de cancer à risque accru de trouble dépres-
sif peuvent être identifiés dans le cadre d’un programme régu-
lier de dépistage de la dépression mettant en jeu l’administration
d’un bref inventaire de dépression (Sellick & Edwardson, 2007), ou
l’évaluation des symptômes du patient (Mitchell, 2008). Il existe
peu de recherches sur la fréquence du dépistage régulier de la
dépression. Quoiqu’il soit conseillé aux cliniciens d’effectuer un
dépistage auprès des patients atteints de cancer en leur deman-
dant s’ils se sentent d’humeur dépressive et éprouvent peu de
plaisir en lien avec des activités anciennement agréables (Hoffman
& Weiner, 2007), fort peu de travaux publiés examinent de quels
symptômes dépressifs les cliniciens discutent et la façon dont
la dépression est prise en charge et traitée une fois qu’elle a été
dégagée.
Quand on étudie un comportement tel que le dépistage de la
dépression, il est utile de faire appel à une théorie du compor-
tement telle que la théorie du comportement planifié (TCP) afin
de conceptualiser le comportement et de comprendre pourquoi
un individu adopte un comportement particulier (Ajzen, 1991).
Ajzen a développé sa théorie pour expliquer comment un indi-
vidu décide d’adopter, de plein gré, un comportement particu-
lier. Ajzen a décomposé la TCP en trois éléments principaux : les
attitudes, les normes subjectives et la perception du contrôle
sur le comportement. Les attitudes sont les opinions qu’a l’in-
dividu concernant le comportement en question. Les normes
subjectives sont les croyances de l’individu en lien avec ce qu’il
pense devoir faire, selon l’opinion d’autrui. Pour terminer, la
perception du contrôle sur le comportement est la croyance
de l’individu en lien avec le contrôle qu’il exerce sur l’adoption
du comportement de son propre chef. Ces trois éléments sont
en interaction et influencent l’intention de l’individu d’adop-
ter ou non le comportement en question. Ensuite, la mesure
dans laquelle l’individu a l’intention d’adopter le comportement
détermine l’adoption réelle du comportement par l’individu. La
TCP a été utilisée pour étudier le dépistage de la dépression par
les professionnels de la santé auprès des victimes d’accidents
vasculaires cérébraux (Hart & Morris, 2008), pour compléter
l’évaluation de la douleur par des infirmières (Nash, Edwards &
Nebauer, 1993) et dans le cadre de la prestation de conseils par
des infirmières en matière de renoncement au tabac (Puffer &
Rashidian, 2004). Selon Nash et ses collègues (1993) et Puffer et
Rashidian (2004), les éléments de la TCP étaient tous trois liés à
l’intention d’adopter le comportement concerné bien que Hart et
Morris (2008) aient constaté que seules les normes subjectives
et la perception du contrôle sur le comportement étaient liés à
l’intention d’adopter un comportement particulier. Par contre,
ces trois études révélaient que l’intention d’adopter un compor-
tement particulier était liée à l’adoption de ce comportement.
Questions de recherche
La présente étude visait à examiner les comportements des
cliniciens en matière de dépistage et de prise en charge de la
dépression dans un centre de cancérologie dispensant des soins
tertiaires où il n’existe pas de protocole officiel de dépistage de la
dépression. Les questions de recherche étaient les suivantes : (1)
« Comment les oncologues et les infirmières font-ils pour dépister
et prendre en charge la dépression chez les patients atteints de
cancer? »; (2) « Les trois éléments de la théorie du comportement
planifié (les attitudes, les normes subjectives et la perception
Pratiques de dépistage et de prise en
charge de la dépression dans un centre de
cancérologie dispensant des soins tertiaires
Au sujet de l’auteure
Geneviève Breau, M.A., étudiante de doctorat,
Interdisciplinary Oncology Program, Université de
la Colombie-Britannique, Vancouver, C.-B. Courriel :
16 CONJ • RCSIO Winter/Hiver 2014 doi:10.5737/1181912x2411519
du contrôle comportemental) aident-ils à expliquer l’intention
de soumettre les patients atteints de cancer au dépistage de la
dépression, et l’intention de réaliser le dépistage est-elle liée au
comportement réel en matière de dépistage? »
Méthodologie
Devis de recherche
Il s’agissait d’une étude descriptive reposant sur des entrevues
structurées réalisées auprès d’un échantillon de commodité d’onco-
logues et d’infirmières dans un centre de cancérologie dispensant
des soins tertiaires. Ce centre fournit des traitements d’oncoradio-
logie et d’oncologie médicale et dessert une grande zone géogra-
phique du Canada comptant 800 000 habitants. Ce centre assure
annuellement le traitement d’environ 4000 patients atteints de
cancer.
Participants
Les oncologues et les infirmières en oncologie ont été recrutés
dans un centre de cancérologie dispensant des soins tertiaires. En
tout, 10 infirmières et 10 oncologues ont participé à l’étude parmi
les 45 infirmières et les 21 oncologues œuvrant dans le centre,
ce qui représente un taux de réponse global de 30 %. Ce taux de
réponse était plus faible qu’on ne le souhaitait, mais des limites
d’ordre pratique ont fait qu’il était impossible de contacter les cli-
niciens une seconde fois et d’inclure un second centre de cancérolo-
gie. Tous les cliniciens qui ont communiqué avec la chercheuse ont
été inclus dans l’étude.
Mesures
On a élaboré un guide d’entrevue structurée comprenant à
la fois des questions ouvertes et des questions fermées. Il com-
prenait 30 questions en tout : quatre questions de nature démo-
graphique, quatre questions fermées sur le dépistage de la
dépression, quatre questions fermées sur la prise en charge de
la dépression, onze questions fermées basées sur la TCP et enfin,
sept questions ouvertes sur les pratiques en matière de dépistage
de la dépression, lesquelles sont exclues de cet article. À l’excep-
tion des questions se rapportant à la théorie du comportement
planifié, toutes les questions ont été formulées expressément
pour cette étude à partir de travaux publiés. Les questions rela-
tives à la TCP ont été adaptées des questions conçues par Hart
et Morris (2008) tandis que les deux questions portant sur l’in-
tention et le comportement provenaient d’une étude de Jones,
Courneya, Fairey et Mackey (2005) qui y examinaient les recom-
mandations d’oncologues aux patients en matière d’exercice
physique. Les questions basées sur des travaux de recherche
antérieurs étaient adaptées à partir de sources accessibles au
public (c.-à-d. des items qui figuraient dans des études publiées).
Les questions relatives au dépistage et à la prise en charge de la
dépression ont été élaborées pour cette étude parce qu’aucune
question visant à explorer ces comportements n’était disponible
dans la littérature.
Dans cette étude, la sous-échelle des attitudes avait un coef-
ficient alpha de Cronbach de 0,82 tandis qu’il s’élevait à 0,58
pour la sous-échelle des normes subjectives et à 0,34 pour celle
de la perception du contrôle comportemental. Pour des rai-
sons d’ordre pratique, il était impossible d’inclure davantage de
questions en lien avec la TCP ni d’inclure un échantillon de plus
grande taille quoique ces deux mesures auraient pu améliorer la
cohérence interne des échelles. Un coefficient alpha de Cronbach
global n’a pas été calculé pour ces questions parce que ces der-
nières relèvent de concepts différents. Toutes les questions liées
à la TCP faisaient appel à une échelle de Likert en sept points
allant de entièrement en désaccord (1) à entièrement d’accord
(7). Les questions portant sur la fréquence du comportement de
dépistage et de prise en charge de la dépression étaient regrou-
pées selon que le comportement était adopté rarement ou fré-
quemment. Quant aux questions correspondant à des valeurs
nominales (c.-à-d. les types d’aide vers lesquels les participants
aiguillent leurs patients), on lisait aux participants les options de
réponse (c.-à-d. la référence des patients vers une aide psycholo-
gique, une aide psychiatrique, des groupes d’entraide ou un autre
type d’aide).
Procédure
La discussion relative au consentement et l’entrevue propre-
ment dite prenaient approximativement de 15 à 20 minutes.
Toutes les questions étaient lues mot à mot du guide d’entrevue
structurée, et les options de réponse étaient lues pour chaque
question.
Questions d’éthique
L’approbation déontologique de l’étude a été accordée par le
comité d’éthique de la recherche de l’établissement. Le consente-
ment éclairé de chaque participant a été obtenu. Les résultats de
l’étude ont été présentés à l’ensemble des cliniciens dans le cadre
de réunions régulières du personnel.
Analyses statistiques
Des analyses ont été effectuées à l’aide du Statistical Package
for the Social Sciences (SPSS), version 16.0 (2007). La valeur d’al-
pha a été fixée à 0,05 et il s’agissait dans tous les cas de tests
bilatéraux. On a calculé des statistiques descriptives, notamment
des moyennes et des écarts-types pour des variables continues
(comme la fréquence à laquelle les participants s’informaient à
propos de chaque symptôme) et des calculs de fréquence pour les
variables nominales (comme le type d’aide vers lequel les patients
sont aiguillés). En ce qui concerne les questions liées à la TCP, les
trois items se rapportant aux attitudes ont été additionnés afin de
produire un résultat total pour les attitudes. Les trois items reliés
aux normes subjectives ont également été additionnés de même
que les trois items portant sur la perception du contrôle compor-
temental. Des corrélations de Pearson de nature exploratoire ont
été utilisées afin d’analyser les rapports entre les variables de la
TCP. Des tests du chi carré ont été employés pour les données
nominales. Ces dernières incluaient un grand nombre des ques-
tions ayant trait à la prise en charge de la dépression (c.-à-d. le
type d’aide vers lequel les participants déclaraient aiguiller les
patients).
Résultats
Pratiques de dépistage de la dépression
Les participants étaient priés d’indiquer à quelle fréquence ils
faisaient le dépistage de trois symptômes dépressifs, à savoir l’hu-
meur, le plaisir éprouvé vis-à-vis des activités et des sentiments
d’inutilité ou de culpabilité. Ces symptômes dépressifs étaient
inclus parce que d’autres symptômes de dépression tels que la
fatigue et les modifications de l’appétit ne sont pas des symp-
tômes de la seule dépression et qu’ils peuvent être causés par la
maladie fondamentale. En tout, 85 % des participants (n=17) ont
dit que c’est « souvent » qu’ils s’informaient de l’humeur de leurs
patients auprès de ces derniers. En revanche, ils s’enquéraient
moins fréquemment de la baisse de plaisir vis-à-vis des activités,
ou anhédonie (voir le tableau 1). En tout, 75 % des participants
demandaient rarement à leurs patients s’ils prenaient encore plai-
sir à leurs activités (n=15). En outre, 95 % des participants (n=19),
y compris neuf infirmières et les dix oncologues, signalaient que
c’est rarement qu’ils posaient des questions sur des sentiments
d’inutilité ou de culpabilité.
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Tableau 1 : Fréquence à laquelle les participants demandent
aux patients s’ils éprouvent des symptômes dépressifs
(N=20)
Symptôme Aborde
fréquemment le
symptôme
Aborde rarement le
symptôme
Humeur 17 (85 %) 3 (15 %)
Anhédonie 5 (25 %) 15 (75 %)
Sentiments d’inutilité
ou de culpabilité
1 (5 %) 19 (95 %)
Questions liées à la théorie du comportement planifié
La corrélation entre l’intention antérieure de dépister et
les attitudes était non significative (r (20) =-0,12, p=0,62).
L’inspection visuelle du diagramme de dispersion des attitudes et
de l’intention révélait la présence d’une observation aberrante au
niveau des attitudes. Quand on la supprimait, la corrélation entre
l’intention de dépister et les attitudes demeurait non significa-
tive (r (19) =0,23, p=0,350). La corrélation entre l’intention anté-
rieure de dépister et les croyances liées aux normes subjectives
était non significative (r (19) =0,32, p=0,21). L’inspection visuelle
du diagramme de dispersion de l’intention antérieure de dépister
et des normes subjectives révélait la présence d’une observation
aberrante. Quand on la supprimait, la corrélation entre l’inten-
tion antérieure de dépister et les normes subjectives devenait
significative (r (18) =0,730, p=0,001). Enfin, la corrélation entre
l’intention antérieure de dépister et la perception du contrôle
comportemental était non significative (r (20) =0,11, p=0,63n) et
aucune observation aberrante n’y était associée. On a calculé une
corrélation de Pearson supplémentaire afin de déterminer si l’in-
tention antérieure de dépister était reliée au comportement anté-
rieur en matière de dépistage. Cette corrélation était significative
(r (20) =0,55, p=0,01), ce qui indiquait que l’intention antérieure
de dépister entretenait un lien significatif avec le comportement
antérieur en matière de dépistage.
Pratiques de prise en charge de la dépression
En tout, 85 % des participants (n=13) indiquaient qu’une fois
qu’ils déterminent qu’un patient encourt un risque de dépres-
sion, ils posent des questions additionnelles (voir le tableau 2).
La référence de patients vers une aide psychologique ou psychia-
trique était une mesure courante puisque 70 % (n=14) des partici-
pants rapportaient qu’ils aiguillaient le patient vers une telle aide.
En outre, 65 % (n=13) des participants signalaient qu’ils prenaient
une autre mesure. Les participants étaient invités à spécifier leurs
autres mesures lesquelles incluaient, entre autres, la référence vers
l’équipe d’oncologie psychosociale, une travailleuse sociale, un
aumônier ou encore le médecin de famille du patient.
Dans une question à part, on demandait aux participants de pré-
ciser le type d’aide vers lequel ils aiguillent les patients. En tout,
90 % des participants ont dit référer des patients vers une aide psy-
chologique; 50 % des participants indiquaient qu’ils référaient des
patients vers une aide psychiatrique; 30 % des participants ont rap-
porté aiguiller des patients vers un type quelconque de groupes
d’entraide tandis que 65 % d’entre eux faisaient état d’aiguillages
vers un autre type d’aide (c.-à-d. le service de référence général
de l’équipe d’oncologie psychosociale du centre ou le médecin de
famille du patient). Les réponses des oncologues étaient similaires
à celles des infirmières, sauf que les oncologues étaient plus nom-
breux que les infirmières à dire qu’ils aiguillaient des patients vers
des psychiatres.
Tableau 2 : Stratégies de prise en charge de la dépression
signalées par les participants
Question sur la prise en charge de
la dépression
Fréquence à laquelle
les participants disaient
prendre cette mesure
Mesures
prises
Poser des questions
additionnelles
13 (85 %)
Référence vers une
aide psychiatrique ou
psychologique
14 (70 %)
Prise d’une autre mesure 13 (65 %)
Types de
référence
Psychologique 18 (90 %)
Psychiatrique 10 (50 %)
Groupe d’entraide 6 (30 %)
Autre type d’aide 13 (65 %)
Il en ressort que les cliniciens assurent le dépistage de la dépres-
sion de multiples façons et que l’élément normes subjectives de la
TCP permet de bien comprendre le comportement en matière de
dépistage de même que l’intention de le mettre en œuvre. De plus,
une fois qu’ils ont déterminé qu’un patient était déprimé, tous
les cliniciens passaient à l’action, principalement en aiguillant le
patient vers un autre professionnel de la santé, le plus fréquem-
ment vers des spécialistes en santé mentale.
Discussion
Pratiques de dépistage de la dépression
La majorité (85 %) des participants à cette étude indiquaient
qu’ils effectuaient souvent le dépistage de l’état dépressif. Se ren-
seigner sur l’humeur est une méthode acceptable de dépister la
dépression qui fait l’objet de fréquentes recommandations dans
la recherche publiée (Skoogh et al., 2010). Selon son examen de 17
études publiées, Mitchell (2008) rapportait également que se ren-
seigner à propos de l’humeur permettait d’identifier assez précisé-
ment les patients de cancérologie et de soins palliatifs bien que ce
ne soit pas aussi précis que de s’informer au sujet de l’humeur et
de l’anhédonie. Seuls quatre participants (20 %) à l’étude indiquaient
qu’ils se renseignaient souvent au sujet de l’anhédonie. Cela s’avère
problématique puisque l’examen que Mitchell (2008) a fait des écrits
publiés révèle que le fait de se renseigner sur l’anhédonie augmente
de 20 % la sensibilité du dépistage de la dépression et que ce der-
nier identifie donc correctement les patients déprimés avec une
meilleure efficacité. Quoique la majorité des participants indiquent
qu’ils s’informaient de l’humeur, un seul participant a signalé qu’il
se renseignait à propos de sentiments d’inutilité ou de culpabilité.
Une raison de cette réalité est que le fait de poser des questions sur
les sentiments d’inutilité ou de culpabilité peut sembler être trop
personnel et indiscret comme le rapporte Madden (2006) qui avance
la possibilité que les cliniciens se sentent mal à l’aise d’aborder les
émotions avec les patients.
La théorie du comportement planifié et le dépistage
Nous avons retenu la TCP d’Ajzen (1991) comme moyen de
mieux comprendre le comportement des participants en matière de
dépistage parce que des recherches antérieures portant sur les com-
portements des cliniciens (Hart & Morris, 2008; Nash et al., 1993;
Puffer & Rashidian, 2004) constataient que cette théorie facilitait la
conceptualisation des comportements des cliniciens.
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Dans l’ensemble, les résultats de la présente étude indiquent
qu’il n’y avait que les normes subjectives qui étaient liées de façon
significative à l’intention antérieure de dépister des participants. Il
est difficile d’expliquer pourquoi la présente étude n’a pas permis
de constater que tous les éléments de la TCP étaient liés à l’inten-
tion de dépister alors que Hart et Morris (2008) indiquaient que les
normes subjectives et la perception du contrôle comportemental
étaient liées à l’intention dépister la dépression chez les patients
cardiaques.
Un facteur qui peut avoir influencé le manque de rapport entre
tous les éléments de la TCP et l’intention de dépister était la
taille de l’échantillon de notre étude (N=20) qui était inférieure à
celle de l’étude de Hart et Morris (2008) (N=75). Cependant, étant
donné que les normes subjectives entretenaient un rapport signi-
ficatif avec l’intention antérieure de dépister, il est improbable
que la petite taille de l’échantillon soit entièrement responsable
du manque d’effets significatifs des autres éléments de la TCP.
Il est également possible que les différences de distribution des
réponses soient un facteur. La distribution des résultats pour les
normes subjectives, tels que mesurés par l’écart-type, était plus
importante pour les normes subjectives (SD=3,88) que pour les
attitudes (SD=2,97) et la perception du contrôle comportemen-
tal (SD=3,39). Une corrélation de Pearson n’aurait donc peut-être
pas pu déceler un rapport entre ces derniers éléments et l’inten-
tion de dépister parce qu’ils s’accompagnaient d’une variabilité
moindre.
Les résultats de la présente étude selon lesquels seules les
normes subjectives sont liées de manière significative à l’inten-
tion de dépister, semblent appuyer les résultats de la recherche
publiée explorant le dépistage de la dépression chez les patients
atteints de cancer. Ces croyances en vertu desquelles les cliniciens
ne se livrent pas au dépistage de la dépression parce qu’ils se sou-
cient de fatiguer les patients (Jakobsson, Ekman & Ahlberg, 2008)
et qu’ils comptent sur les patients pour leur signaler leurs préoc-
cupations en matière de dépression (Madden, 2006; Ryan et al.,
2005), semblent être en corrélation avec le résultat indiquant que
des normes subjectives défavorables réduisent le comportement
en matière de dépistage de la dépression.
Un résultat important est que la perception du contrôle com-
portemental n’était pas liée de manière significative à l’inten-
tion de dépister. C’était un résultat inattendu parce que, selon la
recherche, le manque de temps pour dépister est un obstacle cou-
rant au dépistage (Madden, 2006; Jakobsson et al., 2008); malheu-
reusement, il n’entrait pas dans le mandat de la présente étude de
déterminer si la durée du rendez-vous normal influence les com-
portements des cliniciens en matière de dépistage.
Les pratiques de prise en charge de la dépression
Bien que la compréhension des comportements des clini-
ciens en matière de dépistage revête une grande importance,
il est également essentiel de comprendre la façon dont les cli-
niciens gèrent la dépression chez les patients une fois qu’elle a
été cernée. Une conclusion importante de cette étude était qu’une
fois que le patient avait été diagnostiqué de dépression, pas un
seul participant rapportait aborder des questions d’une autre
nature durant le rendez-vous. En vertu de leur autoévaluation,
les patients déprimés reçoivent tous un traitement approprié. Ici
encore, il n’entrait pas dans le mandat de la présente étude de
suivre une population de patients atteints de cancer afin de déter-
miner quels patients étaient déprimés, et si ceux-ci recevaient
ou non un traitement approprié pour leur dépression. La majo-
rité des participants indiquaient qu’ils se renseignaient davan-
tage sur les symptômes dépressifs d’un patient particulier une
fois qu’ils savaient qu’il risquait de souffrir de dépression. Cela
correspond aux directives du National Comprehensive Cancer
Network (NCCN) (2008) selon lesquelles tous les cliniciens, y
compris les infirmières, doivent s’informer plus en profondeur
lorsqu’ils viennent d’identifier un patient en détresse grave.
La majorité des participants indiquaient référer les patients
vers une aide psychologique et/ou psychiatrique. Ici encore, cela
correspond aux directives du NCCN (2008) qui recommandent
que les patients éprouvant une détresse grave soient aiguillés
vers des spécialistes en santé mentale. Les participants étaient
priés d’indiquer les types d’aide vers lesquels ils aiguillaient les
patients. Selon leurs réponses, les participants étaient moins
nombreux à référer les patients vers une aide psychiatrique (50 %)
que vers une aide psychologique. Toutefois, ceci est dû à la dif-
férence entre les taux de référence des oncologues et ceux des
infirmières. Cela dénote une différence sur le plan de la pratique
où les infirmières référent les patients vers les psychologues et
d’autres professionnels de la santé tandis que les médecins les
réfèrent vers des psychiatres ainsi que d’autres professionnels.
Même si les infirmières œuvrant dans ce contexte n’ont pas la
possibilité de faire de références directes vers les psychiatres,
il convient de noter que les médecins font autant sinon plus de
références vers les psychologues que vers les psychiatres, recon-
naissant ainsi la nature interdisciplinaire de l’oncologie psy-
chosociale. Il faut néanmoins faire preuve de prudence dans
l’interprétation de ce résultat du fait de la petite taille de l’échan-
tillon. De plus, ceci fait ressortir la nécessité d’élaborer des
lignes directrices canadiennes, à l’intention des infirmières et des
oncologues, sur les pratiques cliniques exemplaires en matière de
dépistage et de gestion de la dépression chez les patients atteints
de cancer.
Limites
Cette étude a été menée dans un petit centre de cancérologie dis-
pensant des soins tertiaires, ce qui fait que les pratiques de prise en
charge de la dépression qu’elle a permis de dégager peuvent ne pas
s’appliquer à des milieux de plus grande taille ou à des contextes de
soins primaires. En effet, il se peut que les plus grands centres aient
davantage de ressources psychosociales que les plus petits. Une
autre limite de cette étude était la taille de son échantillon. Cette
limite pourrait expliquer l’impossibilité de cerner un rapport entre
les attitudes et la perception du contrôle comportemental avec l’in-
tention de dépister. Les études antérieures faisant état d’un tel rap-
port avaient toutes des échantillons de taille plus importante. La
dernière limite de cette étude est qu’elle utilisait un échantillon de
commodité d’oncologues et d’infirmières. Il est donc possible que
les participants à la présente étude entretiennent une opinion posi-
tive envers le dépistage avant même de participer à l’étude. Ceci
peut avoir faussé les résultats.
Implications pour la pratique
Cette étude présente diverses implications pour la pratique
future. Elle a souligné la nécessité d’élaborer un instrument de
dépistage de la dépression normalisé et facile d’emploi. Il pour-
rait s’agir d’un instrument simple se composant de deux ques-
tions tel que recommandé par Hoffman et Weiner (2007). La
première question porte sur l’humeur dépressive et la seconde
sur l’anhédonie (absence de plaisir en lien avec des activités
anciennement agréables). Il serait également nécessaire de mener
une évaluation psychométrique plus poussée de l’instrument à
deux items.
Il importe de déterminer s’il convient de mettre en place un pro-
tocole de dépistage à deux items ou d’utiliser un instrument de
dépistage normalisé tel que décrit par Sellick et Edwardson (2007).
Un problème associé à la mise en œuvre d’un instrument de dépis-
tage normalisé est la quantité de temps nécessaire à son adminis-
tration. Même si les patients remplissent le questionnaire avant leur
visite avec l’oncologue, ce dernier doit prendre le temps de calcu-
ler le résultat. Il pourrait donc être difficile de mettre en œuvre un
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protocole de dépistage axé sur un tel instrument. Un résultat appa-
renté était le rapport existant entre les normes subjectives et l’in-
tention de dépister. Cela laisse à penser que la décision de l’équipe
de mettre en œuvre le dépistage à titre de pratique standard pour-
rait accroître la pression en matière de normes subjectives pous-
sant les cliniciens individuels à effectuer le dépistage. De même,
la situation pourrait être améliorée en instituant l’utilisation d’une
directive de pratique sur le dépistage et la prise en charge de la
dépression (ACOP, 2010). Les recommandations issues de cette
étude s’appliquent aussi bien aux oncologues qu’aux infirmières
puisque ces deux catégories de personnel côtoient régulièrement
les patients et que l’on exige de plus en plus de tous ces cliniciens
qu’ils traitent les troubles psychologiques des patients atteints de
cancer. Les infirmières en oncologie peuvent jouer un rôle de pre-
mier plan sur le plan de l’identification des patients déprimés dans
le cadre des soins qu’elles leur dispensent.
Conclusions
Cette étude indique que le dépistage de la dépression se pro-
duit déjà d’une façon ou d’une autre dans le centre de cancérolo-
gie où elle a été réalisée, bien qu’il s’agisse d’une étude pilote de
faible envergure menée dans un seul centre. Par contre, il reste
beaucoup à faire afin d’encourager les cliniciens à adopter le dépis-
tage de la dépression en tant que pratique régulière pour l’ensemble
des patients atteints de cancer. Il faut développer les normes sub-
jectives associées au dépistage, en sensibilisant les cliniciens et
les patients à l’importance du dépistage de la dépression. Enfin, la
dépression est prise en charge une fois qu’elle a été décelée, le plus
fréquemment en référant le patient vers un ou une spécialiste en
santé mentale, ce qui signifie qu’aucun patient déprimé ne demeure
sans traitement quoique, du fait de l’absence de dépistage régulier
de l’anhédonie, il se peut que certains cas de dépression échappent
au diagnostic.
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