URGENCES THÉRAPEU T I Q U E S Le syndrome de Guillain-Barré ● T. Sharshar*, J.C. Raphaël* D epuis l’éradication de la poliomyélite antérieure aiguë dans les pays industrialisés, le syndrome de Guillain-Barré ou polyradiculoneuropathie aiguë idiopathique est la cause la plus fréquente de quadriparésie flasque aréflexique d’évolution aiguë. Son incidence est estimée entre 0,9 et 1,9 pour 100 000 habitants et la mortalité actuelle est d’environ 5 % (1). Le syndrome de Guillain-Barré évolue selon trois phases : une phase d’extension des paralysies, une phase de plateau et une phase de récupération (1, 2). Cette phase d’extension peut aboutir, dans des délais difficilement prévisibles, d’une part à une paralysie des muscles pharyngés et respiratoires, d’autre part à une dysautonomie cardiocirculatoire (1, 2). Le syndrome de Guillain-Barré doit donc être considéré comme une urgence, un retard diagnostique ou une sous-estimation des risques respiratoires et cardiocirculatoires pouvant être préjudiciables. À l’inverse, l’affirmation systématique d’un syndrome de Guillain-Barré devant une paraparésie ou une tétraparésie flasque ascendante peut s’avérer délétère en faisant, par exemple, occulter une affection médullaire. Le déroulement de la prise en charge de ces patients comporte la confirmation du diagnostic, l’évaluation de la sévérité et du risque évolutif du déficit neurologique, l’orientation du patient dans une structure adaptée et les décisions thérapeutiques symptomatiques ; le traitement spécifique ne devant être considéré qu’ultérieurement. * Service de réanimation médicale, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. Les échanges plasmatiques et les immunoglobulines intraveineuses sont les deux traitements spécifiques dont l’efficacité a été démontrée dans cette affection (2, 3, 4). Le choix entre ces deux traitements dépend à la fois de leur contre-indications respectives et de la sévérité clinique initiale. Dès le diagnostic confirmé et le traitement décidé, les échanges plasmatiques ou les immunoglobulines intraveineuses devront être le plus rapidement débutés pour ne pas obérer le devenir fonctionnel des patients. PRISE EN CHARGE DIAGNOSTIQUE De manière variable d’un individu à l’autre, le syndrome de Guillain-Barré associe au cours de la phase d’extension un déficit moteur, des troubles sensitifs, une aréflexie tendineuse, une atteinte des nerfs crâniens, respiratoires et dysautonomiques. Le caractère évolutif du syndrome de Guillain-Barré rend compte à la fois de la difficulté pour le clinicien d’évoquer ce diagnostic lors de la première consultation et de la nécessité de répéter à distance l’examen neurologique. La classification établie par Asbury et Cornblath (5) (tableau I), et internationalement admise, est d’une aide précieuse car y sont individualisées des situations cliniques de certitude, de forte présomption et d’exclusion diagnostique et y sont mentionnées un certain nombre d’atypies. Présentation clinique initiale La faiblesse musculaire est le symptôme initial dans 20 à 30 % des cas. Elle est constatée lors de la première consultation dans plus de 70 % des cas. Elle intéresse initialement la partie proximale La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 des membres et suit une extension ascendante chez la moitié des patients. Toutefois, dans un tiers des cas, le déficit s’étend des quatre membres aux muscles tronculaires. La progression du déficit peut être, par ailleurs, asymétrique. Le premier examen clinique objective une quadriparésie flasque prédominant aux membres inférieurs dans 70 % des cas, une parésie isolée des membres supérieurs étant rare (1). Les paresthésies surviennent dans 50 à 80 % des cas. Elles précèdent ou accompagnent les signes moteurs respectivement dans 60 % et 20 % des cas. Elles s’étendent généralement de manière ascendante. Dans 3 à 12 % des cas, des dorsalgies, des dorsolombalgies, des radiculalgies ou des myalgies sont les premières manifestations. Les sensibilités, profonde et superficielle, algique ou tactile, sont altérées respectivement dans la moitié et le tiers des cas. Les troubles sensitifs prédominent nettement aux membres inférieurs. L’atteinte des nerfs crâniens est plus rarement inaugurale, une extension descendante étant observée dans 5 % des cas. Il s’agit essentiellement d’une paralysie faciale, uni- ou bilatérale, les troubles de la déglutition et de l’oculomotricité étant initialement exceptionnels. En revanche, lors de la première consultation, la fréquence des parésies faciales (habituellement bilatérale) varie selon les séries de 24 à 55 %, oculomotrices de 5 à 13 %, pharyngées de 6 à 46 % et linguales de 1 à 13 %. Une atteinte du contingent moteur du nerf trijumeau et un œdème papillaire ont été décrits (1). Le syndrome de Guillain-Barré se révèle exceptionnellement par des symptômes 185 URGENCES THÉRAPEUTIQUES syndrome de Miller-Fisher, qui associe une ophtalmoplégie, une aréflexie et une ataxie, représente 2 à 4 % des syndromes de Guillain-Barré. Un déficit des ceintures peut être associé au syndrome de MillerFisher. L’appartenance des polyradiculoneuropathies sensitives pures au syndrome de Guillain-Barré demeure controversée. Les neuropathies dysautonomiques sont une forme exceptionnelle de syndrome de Guillain-Barré qui réagit également au traitement spécifique. Tableau I. Critères pour le diagnostic du syndrome de Guillain-Barré (d’après [5]).. I. Critères requis pour le diagnostic 1. Déficit progressif de plus d’un membre en rapport avec la neuropathie 2. Aréflexie tendineuse 3. Durée de la phase d’extension inférieure à 4 semaines II. Critères en faveur du diagnostic 1. Déficit relativement symétrique 2. Signes sensitifs relativement discrets 3. Atteintes des nerfs crâniens, spécialement le nerf facial 4. Dysautonomie : instabilité vasomotrice 5. Absence de fièvre 6. Hyperprotéinorachie (après la 1re semaine), nombre de cellules mononucléées normal ou peu élevé 7. Anomalies électrophysiologiques suggestives de démyélinisation Évaluation de la sévérité III. Variantes 1. Fièvre 2. Déficit sensitif marqué avec douleur 3. Progression du déficit au-delà de 4 semaines 4. Arrêt de la progression sans récupération ou avec déficit résiduel permanent 5. Paralysie vésicale transitoire 6. Atteinte du système nerveux central. Ataxie sévère sans signes cérébelleux Dysarthrie, signe de Babinski et niveau sensitif n’excluent pas le diagnostic si les autres éléments sont typiques 7. Protéinorachie normale pendant 1-10 semaines 8. Nombre de cellules mononucléées dans le LCR de 10 à 50 IV. Éléments de diagnostic douteux 1. Asymétrie persistante du déficit 2. Perturbation vésicale ou intestinale persistante 3. Perturbation vésicale ou intestinale au début 4. Plus de 50 cellules mononucléées dans le LCR 5. Présence de polynucléaires dans le LCR 6. Niveau sensitif net respiratoires. En revanche, lors de la première consultation, une parésie des muscles respiratoires est objectivement décelée chez 40 à 60 % des patients. De surcroît, la capacité vitale pulmonaire est chez 16 % des patients inférieure à 1 000 ml, seuil en dessous duquel une ventilation artificielle est requise (1). Les dysautonomies peuvent être la cause de troubles cardiocirculatoires, mictionnels, digestifs et de la sudation. Les troubles cardiocirculatoires font la gravité des dysautonomies et sont responsables de 24 % des décès. Ils se caractérisent par une bradycardie, spontanée ou provoquée par les stimulations nociceptives, une tachycardie, des troubles du rythme, une hypotension, spontanée ou à l’orthostatisme, ou une hypertension artérielle. Leur survenue peut être précoce mais est corrélée à la gravité du 186 déficit moteur. Au cours de l’évolution du syndrome de Guillain-Barré, ils sont observés chez 50 à 65 % des patients. Les troubles sphinctériens vésicaux, essentiellement une rétention urinaire, sont révélateurs dans 2 % des cas et sont constatés dans 10 à 30 % des cas. Une abolition des réflexes ostéotendineux dans le territoire parétique est la règle. Une aréflexie généralisée est observée dans 60 à 80 % des cas. Un signe de Babinski est trouvé chez moins de 5 % des patients. En dehors du tableau clinique classique, le syndrome de Guillain-Barré se manifeste moins fréquemment sous la forme d’une neuropathie motrice pure ou d’un syndrome de Miller-Fisher. Les formes motrices pures sont décrites dans 18 % des cas et seraient préférentiellement associées à une infection par Campylobacter jejuni. Le Le délai séparant les symptômes initiaux de l’admission ou la vitesse d’extension du déficit moteur doivent être pris en considération pour estimer le risque évolutif. Une extension rapide du déficit moteur doit faire craindre la survenue relativement proche de troubles respiratoires ou de la déglutition et motiver l’admission en unité de réanimation. La valeur seuil de ce délai qui serait prédictive de l’évolution à court terme n’est pas déterminée. Cependant, à titre indicatif, il est établi qu’un délai inférieur à sept jours est un facteur prédictif indépendant de séquelles neurologiques tardives (2). La mesure du déficit moteur et de son retentissement fonctionnel peut respectivement s’effectuer à l’aide d’un score volitionnel (MRC-Sum score) et des échelles de handicap (Disability Grade) et fonctionnelles des membres supérieurs (Arm Grade) (tableau II). Ces scores ont été utilisés dans divers essais thérapeutiques et la reproductibilité interobservateur et la sensibilité du MRC-Sum score et Disability Grade ont été attestées. L’intérêt de ces échelles est, d’une part, de suivre de manière simple l’évolution du déficit moteur et, d’autre part, de distinguer précocement des stades cliniques de gravité et de pronostic différents. En effet, l’évolution neurologique à court et long termes est plus sévère chez les patients incapables de se maintenir debout que chez ceux capables de déambuler (2). Ces scores musculaires simplifiés et volitionnels ne dispensent pas d’effectuer une mesure musculaire analytique. Outre l’étude de la contraction du voile, La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 URGENCES THÉRAPEU T I Q U E S Tableau II. Score moteur et échelles fonctionnelles utilisées dans le syndrome de Guillain-Barré. Score volitionnel (MRC-Sum score) 1. 2. 3. 4. 5. 6. L’abduction du bras La flexion de l’avant-bras L’extension du poignet La flexion de la cuisse L’extension du genou La flexion dorsale du pied Cotation de 0 à 5 selon l’échelle du MRC. Échelle de handicap (Disability Grade) 1. Symptômes et signes mineurs et capable de courir 2. Capable de marcher plus de 5 m sans aide 3. Capable de marcher plus de 5 m avec l’aide d’une personne, d’une ou de deux béquilles ou d’un déambulateur 4. Confiné au lit ou au fauteuil (incapable de marcher plus de 5 m avec aide) 5. Assistance ventilatoire nécessaire au moins pendant une partie de la journée 6. Décès Échelle fonctionnelle des membres supérieurs (Arm Grade) 1. Symptômes ou signes mineurs ; également capable de porter la main au front et d’opposer le pouce à chaque doigt 2. Capable de faire une des deux tâches précédentes mais pas les deux à la fois 3. Quelque mouvement possible mais incapable de faire les deux tâches détaillées au 1 4. Aucun mouvement 5. Décès des réflexes nauséeux et vélopalatins, l’analyse de la déglutition repose sur la recherche de symptômes fonctionnels de nature et d’intensité variables, d’une fausse route lors de l’ingestion d’un verre d’eau et d’une stase salivaire. La prudence doit inciter le clinicien à considérer le moindre symptôme fonctionnel pharyngé comme pathologique et avant-coureur de troubles réels de la déglutition. L’insuffisance respiratoire au cours du syndrome de Guillain-Barré est essentiellement induite par la parésie des muscles respiratoires qui aboutit à un syndrome restrictif, à la formation d’atélectasies et à un encombrement bronchique. Les troubles de la déglutition concourent à la survenue d’une insuffisance respiratoire en entretenant l’encombrement bronchique et en favorisant les pneumopathies d’inhalation. L’atteinte des muscles respiratoires s’avère souvent difficile à déceler par l’examen clinique. Au contraire des insuffisances respiratoires d’origine obstructive, la symptomatologie fonction- nelle et clinique est souvent frustre. L’examen clinique doit donc être exhaustif et porter plus particulièrement sur la mécanique ventilatoire. En cas d’atteinte respiratoire significative, une sensation d’angoisse, d’oppression thoracique ou de réduction du débit verbal est souvent ressentie par le patient. L’impossibilité de compter lors d’une expiration profonde jusqu’au chiffre 20 indiquerait une diminution de la capacité vitale en dessous de 20 ml/kg. La dyspnée est souvent discrète mais la tachypnée, qui se définit par une fréquence respiratoire supérieure à 20, est habituelle. Une réduction, évaluée cliniquement, de l’ampliation thoracique forcée suggère un déficit des muscles respiratoires. La contractilité diaphragmatique peut être appréciée en apposant la main dans le creux épigastrique. Une orthopnée est évocatrice d’une parésie diaphragmatique bilatérale. Celle-ci induit une absence d’expansion de la base thoracique lors de l’inspiration profonde et, à un degré plus sévère, des mouvements abdominaux paradoxaux, un tirage sus- La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 claviculaire, une mise en jeu des muscles sterno-cléido-mastoïdiens, un creusement de la trachée ou encore un battement des ailes du nez. La faiblesse des muscles expiratoires est responsable de l’encombrement bronchique et de l’inefficacité de la toux et se manifeste, lors de l’expiration profonde, par un creusement intercostal et une faible contraction de la paroi abdominale. La gazométrie artérielle est le plus souvent normale, l’hypercapnie et l’hypoxémie étant d’apparition tardive. La radiographie de thorax montre parfois une surélévation des coupoles, évocatrice d’une parésie diaphragmatique. Ces signes cliniques ainsi que l’hypercapnie et l’hypoxémie traduisent un déficit majeur des muscles respiratoires et doivent faire craindre un arrêt respiratoire imminent. Leur présence impose une assistance respiratoire. Cependant, l’intégrité des muscles respiratoires ne peut en aucun cas être décrétée sur un examen clinique considéré normal, ni sur l’absence d’anomalie gazométrique et radiologique. En effet, un syndrome restrictif majeur peut être cliniquement, biologiquement et radiologiquement totalement asymptomatique. Pour cette raison, des tests fonctionnels sont indispensables pour évaluer rapidement et objectivement l’importance du retentissement respiratoire. La mesure à l’aide d’un spiromètre de la capacité vitale (CV) est actuellement préconisée. Des spiromètres portatifs de maniement simple permettent à tout membre du personnel soignant d’effectuer une mesure de la CV au lit du patient. Une mesure correcte de la CV implique qu’il n’y ait pas de fuite au pourtour de l’embout, favorisée par les diplégies faciales, et que le patient soit coopérant pour effectuer une inspiration et une expiration profondes. La CV sera mesurée en position assise puis couchée, une chute de la CV lors du décubitus indiquant une parésie diaphragmatique. La valeur de la CV mesurée en position assise est exprimée soit en ml/kg, soit en pourcentage d’une norme théorique, dépendante de l’âge, du sexe, de la race, de la taille et du poids. En l’absence de normes, la CV mesurée en position couchée est comparée à celle obtenue en position assise. 187 URGENCES La mesure de la CV est un outil de surveillance incontournable et doit donc être absolument effectuée à l’admission et réitérée au cours du temps afin de détecter les volumes seuils en dessous desquels une surveillance en réanimation ou une assistance ventilatoire sont impératives. En effet, l’avènement d’une insuffisance respiratoire est difficilement prévisible. Aucune étude des facteurs cliniques précoces prédictifs de l’assistance ventilatoire n’a été à ce jour réalisée. L’expérience montre que les patients présentant pendant la phase d’extension une tétraparésie, des troubles de la déglutition ou une CV inférieure à 60 % doivent être considérés à risque d’insuffisance respiratoire et surveillés en unité de réanimation. Il semble qu’une chute de 50 % de la CV par rapport à la valeur initiale soit prédictive d’une intubation dans les 36 heures (2). Ce résultat incite à une surveillance au moins quotidienne de la CV dans les premiers jours. Une valeur inférieure à 15 ml/kg ou à 30 % de la norme théorique est, en soi, retenue comme une indication d’assistance ventilatoire (2). Évidemment, la spirométrie ne dispense pas d’une surveillance clinique et paraclinique, décrite ultérieurement. La mesure de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle, le dépistage d’une hypotension orthostatique et l’électrocardiogramme sont nécessaires à la recherche de signes dysautonomiques cardiocirculatoires. Chacun de ces signes justifie une hospitalisation dans un service de réanimation, d’autant plus que le patient a des antécédents cardiovasculaires. Planification des examens complémentaires La planification des examens complémentaires à réaliser en urgence et dans les premières 24 à 48 heures dépend des diagnostics différentiels suspectés. En pratique, il s’avère qu’un nombre restreint d’affections impose une prise en charge diagnostique immédiate. L’urgence majeure est l’élimination d’une lésion médullaire en cas de niveau sensitif, de troubles sphinctériens importants ou de para/tétraparésie flasque s’aggravant sans que des signes neurologiques aux membres supérieurs ou des 188 THÉRAPEUTIQUES signes céphaliques apparaissent. La paralysie hypokaliémique, suspectée devant une atteinte motrice pure, sera confirmée par la régression du déficit après la correction de l’hypokaliémie. Les porphyries sont un diagnostic extrêmement difficile mais essentiel à évoquer car le pronostic vital est en jeu et des mesures thérapeutiques spécifiques existent. Le déficit moteur s’accompagne habituellement de douleurs, notamment abdominales, de troubles psychiatriques, de troubles sensitifs, subjectifs et objectifs de topographie insolite et de troubles dysautonomiques cardiocirculatoires et sphinctériens. L’existence d’un facteur déclenchant et d’urine pourpre conforte le diagnostic qui est attesté par le dosage urinaire des porphyrines. Il n’est pas indispensable de pratiquer dans les formes typiques une ponction lombaire en urgence mais elle doit être effectuée dans les 24 heures suivant l’admission. Son objectif est de rechercher une hyperprotéinorachie isolée évocatrice du diagnostic de polyradiculoneuropathie aiguë, bien que non spécifique. Une hypercytorachie, définie par un comptage cellulaire supérieur à 50 par mm3, exclut le diagnostic de syndrome de Guillain-Barré. L’absence d’hyperprotéinorachie isolée n’élimine pas un syndrome de Guillain-Barré, car elle est habituellement retardée de 3 à 15 jours par rapport au début clinique. Une hypercytorachie oriente vers une méningoradiculite d’origine soit infectieuse, notamment une maladie de Lyme, soit inflammatoire ou néoplasique, en particulier un lymphome. L’électromyogramme n’a pas été retenu comme critère diagnostique dans la classification d’Asbury et Cornblath (5). Ses indications diagnostiques se limitent donc au cas où le diagnostic de syndrome de Guillain-Barré est cliniquement douteux. Les anomalies électrophysiologiques précoces sont une augmentation des ondes F et un bloc de conduction motrice de siège proximal et distal (1). L’altération de la conduction distale et des potentiels sensitifs apparaît secondairement. Une dénervation est observée dans 10 % des cas (1). En revanche, l’électromyogramme a un intérêt pronostique. Il a été montré que la diminution de l’amplitude de la réponse motrice et l’inexcitabilité nerveuse sont des facteurs prédictifs indépendants des séquelles fonctionnelles à un an (2). Le caractère péjoratif des formes axonales de syndrome de Guillain-Barré a été récemment remis en cause. Le syndrome de Guillain-Barré est par définition idiopathique, ce qui implique qu’une affection générale notamment une maladie de système, un cancer, un lymphome ou une infection par le virus VIH ait été récusée. Un examen général complété par un bilan immunologique simplifié (immunoélectrophorèse et dosages des facteurs antinucléaires, du latex Waaler-Rose, des fractions C3 et C4 du complément, des complexes immuns circulants, de la protéinurie des 24 heures), hématologique (numération formule sanguine, vitesse de sédimentation) et une sérologie VIH est en pratique suffisant. Le bilan étiologique sera approfondi si les atypies mentionnées dans le tableau I sont présentes. Le syndrome de Guillain-Barré est précédé d’un épisode infectieux, respiratoire ou digestif, dans 80 % des cas. Les agents pathogènes fréquemment incriminés sont Campylobacter jejuni, le cytomégalovirus, le virus Epstein-Barr et le mycoplasme. Les explorations sérologiques, les recherches virologiques et les coprocultures n’ont qu’un intérêt descriptif et éventuellement pronostique. Il semblerait que les syndromes de Guillain-Barré associés à une infection par Campylobacter jejuni aient un pronostic fonctionnel plus sévère. Le dosage des anticorps antigangliosides qui sont incriminés dans la pathogénie du syndrome de Guillain-Barré reste du domaine de la recherche physiopathologique. À ce jour, l’identification de l’agent infectieux ou la détection d’anticorps antigangliosides n’ont aucune conséquence thérapeutique. Par ailleurs, une hyponatrémie en rapport avec un syndrome de sécrétion inapproprié d’ADH et une cytolyse hépatique sont d’observation courante au cours du syndrome de Guillain-Barré. La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 URGENCES PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE Elle doit s’accompagner d’une information claire du patient sur les risques évolutifs à court terme, sur l’impossibilité de prédire le degré d’extension et la durée respective des trois phases, sur l’éventualité d’une aggravation malgré l’instauration d’un traitement spécifique et de séquelles neurologiques à long terme. La notion de bénignité du syndrome de Guillain-Barré doit être bannie du discours médical. Traitements symptomatiques Les mesures symptomatiques sont primordiales. Le développement de l’assistance ventilatoire et des moyens de surveillance, notamment cardiovasculaires et respiratoires, a été un acquis thérapeutique majeur, car il a permis de faire baisser la mortalité de 20 % à moins de 10 % entre les périodes 1960-1965 et 1970-1980 (2). En dehors de l’assistance ventilatoire et du traitement des dysautonomies, la prévention thrombo-embolique, le traitement antalgique, la rééquilibration hydro-électrolytique, l’alimentation, le nursing incluant la prévention et le traitement des escarres, la kinésithérapie respiratoire et des membres mais également le traitement des complications intercurrentes, notamment des infections respiratoires ou urinaires et d’éventuelles décompensations de pathologies médicales sous-jacentes sont autant de préoccupations thérapeutiques. Ainsi, cette prise en charge requiert-elle une pluridisciplinarité interactive médicale (neurologue, réanimateur et rééducateur) et paramédicale (infirmier et kinésithérapeute). Elle doit s’effectuer de préférence dans un service de réanimation spécialisé dans les pathologies neurologiques, hospitalouniversitaire ou non. Pendant la phase d’extension, la surveillance neurologique repose sur l’évaluation au minimum quotidienne du déficit moteur et des nerfs crâniens. Le recours aux scores précédemment décrits est une aide clinique précieuse. La surveillance respiratoire intègre la mesure rapprochée de la fréquence respiratoire ainsi que l’analyse des mouvements ventilatoires, de la toux et de l’encombre- THÉRAPEU T I Q U E S ment bronchique. Elle doit être complétée par la mesure quotidienne de la capacité vitale. L’enregistrement continu de la saturation en oxygène par un oxymètre de pouls est une fausse sécurité. Si une désaturation est un événement respiratoire d’une extrême gravité, son absence ne témoigne en aucun cas de l’intégrité de la fonction ventilatoire. La surveillance de la gazométrie artérielle est à moduler en fonction de l’examen clinique et de la capacité vitale. L’alimentation par sonde nasogastrique est impérative dès que des troubles de la déglutition apparaissent. La surveillance itérative des paramètres cardiovasculaires et de la miction permet de détecter les troubles dysautonomiques. Le ionogramme sanguin est à pratiquer régulièrement et également en cas de syndrome confusionnel afin de rechercher une hyponatrémie de dilution. Le choix du traitement antalgique implique une analyse sémiologique précise afin de distinguer les douleurs d’origine neurologique de celles induites par l’alitement prolongé ou par une pathologie ostéo-articulaire, notamment un ostéome. La mobilisation du patient est le premier traitement antalgique. L’utilisation de morphimimétiques ou de benzodiazépines sera prudente en cas d’atteinte respiratoire, celle des tricycliques en cas de troubles dysautonomiques. Des complications thrombo-emboliques surviennent dans 5 % des cas (2). Leur prévention par les héparines de bas poids moléculaire doit être maintenue jusqu’à la reprise de la marche. Elle ne sera pas interrompue lors d’échanges plasmatiques ; leur administration ne majore pas le risque hémorragique et couvre la période d’hypercoagulabilité consécutive aux plasmaphérèses. Les poussées d’hypertension artérielle et la tachycardie sinusale sont en règle générale bien tolérées et n’imposent pas de thérapeutiques particulières, de maniement difficile dans une maladie dysautonomique. Les bradycardies constituent le trouble cardiocirculatoire le plus redoutable. Elles peuvent survenir spontanément ou secondairement La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 lors de changement de position ou d’aspiration trachéale, ce qui impose une mobilisation prudente du patient et des aspirations trachéales sous FiO2 100 %. L’administration d’atropine est rarement nécessaire. Traitements spécifiques Bien qu’un processus inflammatoire soit à l’origine du syndrome de Guillain-Barré, la corticothérapie, administrée per os ou par voie intraveineuse sous forme de méthylprednisolone, s’est avérée inefficace. D’après une étude multicentrique en double aveugle versus placebo portant sur 242 patients atteints au minimum d’un déficit entravant la marche (stade II de Hughes), l’injection de 500 mg de méthylprednisolone (n = 124) dans les 15 premiers jours de la maladie n’a entraîné aucune diminution significative du déficit moteur à la quatrième semaine ni du délai de reprise de la marche ou de la durée de ventilation (2). Les échanges plasmatiques (EP) utilisés seuls, sans autre thérapeutique spécifique, sont le premier traitement dont l’efficacité a été démontrée, bien que leur mode d’action demeure inélucidé. En effet, l’étude coopérative nord-américaine (2) et celle du groupe coopératif francophone (2, 3) ont mis en évidence, dans un effectif élevé de patients, une réduction significative de la durée de ventilation et des délais de reprise de la marche. Ces résultats sont d’autant plus nets que les malades sont traités précocement (moins de 7 jours) et sont soumis à une ventilation mécanique. Les échanges plasmatiques s’accompagnent d’une diminution des pneumopathies, des manifestations végétatives et des séquelles motrices à un an. Il a été également montré que l’albumine diluée devait être le soluté de remplacement car d’une efficacité équivalente mais d’une innocuité supérieure au plasma frais congelé. La seconde étude du groupe coopératif francophone, intitulée PRN 85 (3), a eu pour objectif de déterminer le nombre optimal d’échanges plasmatiques en fonction de la sévérité initiale. Trois groupes de gravité ont été ainsi définis : le groupe A (marche possible mais limitée) dans lequel deux EP étaient 189 URGENCES comparés à l’abstention ; le groupe B (malades confinés au lit) dans lequel quatre EP étaient comparés à deux EP ; le groupe C (malades ventilés) dans lequel la comparaison portait sur six EP versus quatre EP. Les résultats de cet essai randomisé multicentrique portant sur 556 patients a montré que les malades du groupe A ont bénéficié de deux EP par rapport au groupe contrôle. La médiane d’apparition des premiers signes de récupération motrice était divisée par deux par le traitement. Le pourcentage des malades dont l’état s’étant aggravé – c’est-à-dire ayant passé dans les groupes B ou C – était de 39 % dans le groupe contrôle, alors qu’il n’était que de 4 % dans le groupe traité. Dans le groupe B, quatre EP se sont avérés supérieurs à deux EP en réduisant significativement le délai de reprise de la marche avec appui et les séquelles à un an. En revanche, les malades du groupe C n’ont pas bénéficié de six EP par rapport à quatre. Les EP demeurent toutefois une technique contraignante, qui nécessite des équipes entraînées et dont la morbidité n’est pas négligeable (2), bien qu’elle ait nettement diminué par rapport aux travaux antérieurs. Cependant dans l’essai PRN 85, le pourcentage de survenue d’au moins un incident durant chaque échange et d’interruption des EP étaient respectivement de 24 % et 7 % (2). Comme pour les EP, l’utilisation de fortes doses d’immunoglobulines (Ig i.v.) dans le syndrome de Guillain-Barré n’est pas fondée sur un rationnel physiopathologique mais sur l’extrapolation de résultats d’étude pilote non comparative leur conférant un effet bénéfique dans les PRN chroniques. Suite à une première étude pilote (2), un premier essai multicentrique randomisé a comparé l’effet de cinq EP à celui de 0,4 g/kg/jour d’Ig i.v. répétée pendant 5 jours chez 150 patients ayant un syndrome de GuillainBarré évoluant depuis moins de 15 jours et ne pouvant au minimum se déplacer plus de cinq mètres sans aide (grade 3 de l’échelle de Hughes) (2). Cette étude a abouti à la conclusion que les Ig i.v. étaient au moins aussi efficaces que les EP puisque le pourcentage de malades 190 THÉRAPEUTIQUES améliorés d’au moins un degré de l’échelle de Hughes après 4 semaines, critère principal de cet essai, était respectivement de 34 % et 53 % dans le groupe EP et le groupe Ig i.v. (p = 0,024). Plus récemment, un essai multicentrique randomisé international, reprenant (4) les mêmes critères d’inclusion, a comparé les EP (cinq EP pendant 8 à 13 jours), les Ig i.v. (0,4 g/kg/jour pendant 5 jours) et l’association des deux chez 383 patients. Sur le critère de jugement principal qui était un gain de 0,5 point sur l’échelle d’handicap de Hughes (tableau II) après 4 semaines, les trois groupes étaient comparables avec une amélioration respectivement de 0,9 ± 1,3, 0,8 ± 1,3 et 1,1 ± 1,4 dans les groupes EP (n = 121), Ig i.v. (n = 130) et EP associés aux Ig i.v. (n = 128). Aucune différence n’a été également observée sur les autres critères, notamment la durée de la ventilation mécanique. Alors que l’étude néerlandaise concluait à une morbidité plus élevée des EP, le taux de complications des EP et des Ig i.v. utilisés seuls était dans cette étude identique, mais était doublé dans le groupe qui avait reçu les deux traitements. À l’issue de ces différents travaux, une conduite pratique peut être définie. Le tableau III résume le choix des mesures spécifiques qui résultent des différents essais publiés. Dans les formes bénignes (groupe A), l’effet des Ig i.v. n’ayant jamais été étudié, il est logique de préconiser deux EP, deux EP supplémentaires doivent être pratiqués en cas d’aggravation. Dans les stades B ou C, il n’existe pas d’argument pour privilégier l’une ou l’autre des deux thérapeutiques. Les EP sont une technique contraignante dont la morbidité diminue au fil des années, probablement parce qu’elle est mieux maîtrisée et la posologie optimale mieux connue. Les Ig i.v., a priori plus simples d’emploi, ne sont pas dénuées de morbidité à ces doses élevées (2). L’erreur fondamentale serait que la perfusion d’Igi.v. devienne une prescription de routine, effectuée sans respecter les prérequis précédemment décrits. Les contre-indications des deux traitements doivent être respectées. Les infections, l’instabilité cardiovasculaire et les hémorragies sont les contre-indications principales des EP. Les allergies connues, le déficit en IgA et le risque d’insuffisance rénale sont les contre-indications principales des Ig i.v. Durant le traitement par Ig i.v., un ionogramme sanguin et une mesure de la clairance de la créatinine quotidiens sont indispensables. Les arguments économiques ne sont pas un paramètre pertinent de choix entre ces deux thérapeutiques car ils sont proches (4 000 F) et n’interviennent environ que pour 5 % du coût total des dépenses entraînées par cette maladie. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas utile d’initier un traitement audelà du quinzième jour d’évolution. Il n’est également utile ni d’augmenter le traitement, ni d’associer les traitements chez les patients dont l’état s’aggrave ou ne s’améliore pas, malgré un traitement spécifique adéquat. Il n’y a, actuellement, aucune indication à instaurer un traitement spécifique durant la phase de plateau. Les rechutes, qui se définissent Tableau III. Schéma d’utilisation des traitements spécifiques dans le syndrome de Guillain-Barré de l’adulte. Forme bénigne Marche conservée Forme intermédiaire ou sévère Malade grabataire ou soumis à une ventilation mécanique Traitement initial 2 EP 4 EP ou IgG (0,4 g/kg/j pendant 5 jours) Respect des contre-indications des deux thérapeutiques Aggravation 2 EP supplémentaires Pas de traitement Rechutes Pas de traitement ou reprise du premier traitement déjà utilisé Pas de traitement ou reprise du premier traitement déjà utilisé La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 URGENCES par une réapparition de symptômes après guérison complète, surviennent dans moins de 5 % des cas, indépendamment du traitement spécifique reçu. Elles doivent faire évoquer la possibilité d’une polyradiculoneuropathie chronique ou symptomatique d’une autre affection. S’il s’agit d’un nouveau syndrome de Guillain-Barré, le traitement de la rechute repose sur le même schéma thérapeutique. Un certain nombre d’autres études sont en cours dans le monde. Ainsi le groupe hollandais animé par F. Van der Meché a débuté un essai comparant les Ig i.v. à l’association Ig i.v.-méthylprednisolone. Deux nouvelles études multicentriques ont été débutées par le groupe coopératif francophone. La première (PRN 92) consiste à comparer deux posologies d’Ig i.v. (0,4 g/kg/jour pendant 3 ou 6 jours) chez des patients présentant des contre-indications aux EP. Les premiers résultats montrent qu’une posologie plus forte semble plus efficace chez les patients initialement ventilés. Ce THÉRAPEU T I Q U E S résultat, s’il était confirmé, est important dans la mesure où cette population est à haut risque de complication infectieuse et donc de contre-indication aux EP. La seconde (PRN 94) compare au sein des trois groupes précédemment définis (marche possible ou impossible, malade ventilé) le nombre optimal d’EP à des doses croissantes d’Ig i.v. (0,4 g/kg/jour) pendant 3, 5 ou 7 jours. La première analyse intermédiaire de cette étude ne permet pas de déterminer de tendance en faveur de l’une ou de l’autre des deux stratégies définies par le tirage au sort. L’étude est donc poursuivie. Le syndrome de Guillain-Barré en phase d’extension doit être considéré comme une urgence médicale, diagnostique et thérapeutique. Sa prise en charge doit de préférence être effectuée par une équipe soignante pluridisciplinaire et expérimentée apte à dépister une atteinte respiratoire et dysautonomique, à prodiguer un traitement symptomatique optimal (ventilation mécanique, nursing, kinésithérapie, traitement La lettre du neurologue - n° 4 - vol. V - avril 2001 antalgique) et à appliquer correctement les traitements spécifiques (immunoglobulines intraveineuses ou échanges plasmatiques). ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Ropper AH, Wijdicks EFM, Truax BT. Differential diagnosis. In : Ropper AH, Wijdicks EFM, Truax BT, eds. Guillain-Barré syndrome. Contemporary Neurology Series. Philadelphia : Davis Company, 1991. 2. Raphaël JC. Prise en charge d’un syndrome de Guillain-Barré. In : Gajdos P et Loh L, eds. Réanimation et Neurologie. Paris : Arnette Blackwell, 1995. 3. French cooperative group on plasma exchange in Guillain-Barré Syndrome. Appropriate number of plasma exchanges in Guillain-Barré syndrome. Ann Neurol 1997 ; 41 : 298-306. 4. Plasma exchange/sandoglobulin Guillain-Barré syndrome trial group. Randomised trial of plasma exchange, intravenous immunoglobulin, and combined treatments in Guillain-Barré syndrome. Lancet 1997; 349 : 225-30. 5. Asbury AK, Cornblath DR. Assessement of current diagnostic criteria for Guillain-Barré syndrome. Ann Neurol 1990 ; 27 : S21-S24. 191