L’Enseignement Philosophique Éditorial de novembre - décembre 2006 L’AVENIR DE L’ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE La publication du rapport (1) de l’Inspection générale et de l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale sur la revalorisation de la série « littéraire » des lycées doit être l’occasion, au-delà du devenir de cette série, de repenser la place et les finalités de la philosophie dans l’enseignement aussi bien secondaire que supérieur. Les facteurs du déclin de la voie L sont bien identifiés dans le rapport et le divorce entre la connaissance et les exigences de la collectivité n’est pas le moindre. La « montée en puissance » des savoirs scientifiques et technologiques a rendu moins lisible la nécessité des connaissances dites « littéraires » : entre les impératifs de la culture et les exigences de l’économie, il n’y a pas d’harmonie préétablie. Les séries générales des lycées sont conçues autour d’une double exigence : offrir une formation générale et rendre accessible aux élèves de larges débouchés. Certes, la valeur d’une connaissance n’est pas nécessairement liée à une demande sociale, mais, dans une société démocratique, l’institution scolaire doit répondre aux vœux des citoyens. A tort ou à raison, la voie L n’est plus perçue comme offrant des débouchés clairement identifiables. La question : à quoi sert la philosophie ? peut paraître triviale à un esprit spéculatif, mais les professeurs de philosophie ne sauraient se dispenser de l’affronter. Dans l’esprit du public, la philosophie est identifiée à une matière « littéraire », alors que son histoire témoigne d’une réflexion ininterrompue sur les sciences et d’un débat permanent avec elles. Comment aborder des questions d’épistémologie sans un minimum de culture scientifique ? Lorsque le rapport recommande de redonner « notamment aux mathématiques et aux sciences une place qu’elles ont perdue dans l’actuelle série L, sous réserve d’adapter leurs programmes et la pédagogie qu’elles mettent en œuvre aux objectifs et aux besoins des élèves ayant fait le choix de cette formation », il me semble qu’il va dans le bon sens. L’ambition « totalisante » et réflexive de la philosophie en fait une discipline qui a sa place dans toutes les séries et pas seulement en L. Comme le dit le rapport « l’effort pour penser librement n’est jamais facilement accepté par la société », mais nous aurions peut-être tort de nous retrancher derrière l’idée d’une « inutilité sublime » de la philosophie, en nous dispensant d’une réflexion sur les intérêts porteurs de la connaissance philosophique. Si l’on reprend la typologie habermassienne, la philosophie ne saurait être portée par un « intérêt technique » pour la gestion voire la manipulation de la nature ou des hommes, à moins de la réduire à une simple rhétorique. Mais on peut lui assigner un intérêt pratique, « l’intérêt pour le maintien et l’extension de l’intersubjectivité d’une compréhension entre individus, susceptible d’orienter l’action » (2) et un intérêt critique, ou « émancipatoire », capable de produire chez le sujet intéressé un processus de réflexion. Il ne s’agit pas simplement de dégager les lois invariantes de l’activité sociale, mais de déceler les rapports idéologiquement figés et modifiables. L’auto-réflexion est ce qui doit affranchir « le sujet de la dépendance à l’égard de puissances hypostasiées » (3). Si, comme le préconise le rapport, on infléchit la série L vers une détermination « lettres et sciences humaines », il faudra veiller à marquer la spécificité de l’interrogation philosophique qui n’est pas soluble dans l’histoire, la sociologie ou les sciences politiques. Mais la publication de ce rapport, parce qu’il propose des voies d’action aux politiques, exige de l’association une réflexion collective et des prises de position sur des points qui engagent une refonte de notre enseignement : -1- - un « rééquilibrage » de l’horaire en terminale L, même accompagné d’une option philosophie est-il acceptable ? - l’introduction de la philosophie en première L est-il souhaitable ; avec quel programme ? Faudrait l’évaluer, et sous quelle forme ? - ne faudrait-il pas renforcer l’enseignement philosophique dans les autres séries (notamment scientifique) ? Au-delà du secondaire, ne conviendrait-il pas, aussi, d’entamer avec nos collègues du supérieur une réflexion sur la place de la philosophie dans les premiers cycles universitaires : en droit, en sciences, en médecine ? Puisque nous entrons dans une année de campagnes électorales, les conclusions de nos débats pourront nous servir à interpeller les candidats pour assurer l’avenir de notre enseignement philosophique. Edouard Aujaleu Président de l’APPEP Le 16 décembre 2006 (1) On peut le lire sur le site du gouvernement : http://media.education.gouv.fr/file/63/8/3638.pdf (2) J.Habermas, La technique et la science comme idéologie, Gonthier, p.149 (3) Idem, p.150 -2-