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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Medea, la femme qui pleure, de Pascal Dusapin
La Monnaie présente l'opéra de Pascal Dusapin Medeamaterial, renommé Medea, dans une chorégraphie
de Sasha Waltz, les 11 et 13 avril.
En 1991, La Monnaie commande au compositeur français Pascal Dusapin, un opéra court destiné à être
présenté après Dido & Aeneas de Purcell, sous la direction de Philippe Herreweghe. Didon et Médée : deux
femmes abandonnées par leur mari pour des raisons politiques.
C'est le poème Medeamaterial de l'allemand Heiner Müller qui a séduit Dusapin. Il présente l'héroïne Médée
sous un jour moderne, rongée par un total dérèglement du sens commun. «Ce texte est un grondement,
tout y est fureur. Amour et détestation se côtoient et se dévorent dan sun même élan ravageur.»
Le dispositif orchestral baroque était un vrai choix et non une contrainte imposée pour des raisons
pratiques. Un vrai défi aussi. Medea a souvent été interprété depuis par des orchestres modernes, qui
comprennent l'esprit de l'œuvre et peuvent jouer selon la technique baroque.
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L'héroïne antique
Médée est une figure tragique indissolublement liée à la quête de la toison d'or par Jason et les Argonautes.
Elle est la fille d'Aiétès, le roi du pays de Colchide où se trouve la précieuse peau de bélier. Athéna et
Héra, les deux divinités qui protègent Jason dans son périple, persuadent la déesse Aphrodite d'instiller
le désir passionné pour le héros grec dans le cœur de Médée. Or cette dernière, outre son rang royal,
est aussi une prêtresse d'Hécate, experte en charmes, chants et drogues de toutes sortes. Ce sont de
tels pouvoirs qui permettent à Jason de venir à bout de ses ennemis et des embûches qui lui barrent la
route de son trophée. Une fois la toison d'or aux mains des Grecs, l'héroïne n'a plus le choix : elle doit
suivre son amant puisqu'elle a choisi de prendre son parti contre celui de sa propre famille, allant même,
dans certaines versions du mythe, jusqu'à tuer son frère Apsyrtos qui les poursuivait. Une fois rentrés
en Thessalie, les amants poursuivent leur équipée sanglante en tuant le roi Pélias, l'usurpateur qui avait
mandaté Jason pour cette mission prétendument impossible. Ils fuient les lieux et se retrouvent à Corinthe.
Alors que le voyage des Argonautes nous est surtout connu par les Argonautiques d'Apollonius de Rhodes
à la période hellénistique, c'est la Médée d'Euripide, plus ancienne, qui nous a conservé une terrible version
des aventures corinthiennes de ce couple maudit. Jason décide en effet de repousser Médée, dont il a eu
des enfants, pour épouser la fille de Créon, le roi de Corinthe. La vengeance de la magicienne est sans
appel : elle envoie en cadeau de noce à sa rivale un vêtement trempé de poison qui la fait mourir à petit feu
dans d'atroces souffrances. Elle frappe également Jason dans sa descendance puisque certaines versions
lui attribuent la mise à mort de ses propres enfants, quand d'autres y voient la main des Corinthiens qui
voulaient venger leur reine assassinée. Quoi qu'il en soit, Médée s'enfuit alors à Athènes où elle épouse
le roi Égée. Ce n'est pourtant pas la fin de ses aventures. Une fois Thésée arrivé à Athènes pour se faire
connaître par le roi son père, Médée anticipe cette reconnaissance en tentant d'empoisonner le jeune héros.
Égée s'oppose alors à elle et la chasse. Certaines versions du mythe la font repartir en Colchide où elle
contribue à replacer son père Aiétès sur le trône dont il avait été chassé.
Médée est donc une héroïne profondément ambiguë, que les anciens ont chargé de toute une série de
peurs qu'une société patriarcale peut générer à l'égard des femmes : maîtrise de philtre et d'invocations
magiques, rapport ambigu au pouvoir exorbitant de mettre des enfants au monde et de les préserver.
Vinciane Pirenne
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La Médée de Heiner Müller, de Pascal Dusapin et de Sasha Waltz
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Heiner Muller est une figure importante de la scène théâtrale européenne d'après-guerre. Il s'est beaucoup
intéressé aux mythes anciens, mais en en proposant une lecture contemporaine, qui interroge notre société
et plus précisément l'individu confronté à des réalités humaines d'aujourd'hui comme d'hier. Il capte avec
violence les contradictions et désillusions de notre société, entre intime et politique. Son écriture se veut le
reflet du monde dans lequel nous vivons, avec toute sa violence, sa souffrance, son désespoir mais aussi
sa vie et sa puissance d'opposition.
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La Médée de Müller n'est pas la femme folle, la furie hystérique, la sorcière infanticide, le monstre décrit par
beaucoup d'auteurs. C'est une femme forte, intelligente, brillante, magicienne et guérisseuse, créatrice et
mère. Mais aussi une femme tendue par une passion dévastatrice et meurtrière, en proie à la fureur et au
désespoir. Abandonnée et trahie, elle voit son existence se vider de son sens, confrontée à l'irréversibilité
du meurtre qu'elle avait commis par amour : «Tu me dois un frère »...
Chez Dusapin, Médée est seule. C'est une femme terrifiée, une voix forcée et forcénée. «L'isolement de
cette voix est le fondement même de son effroi.» écrit Pascal Dusapin, qui entend bien faire résonner la
tragédie ancienne dans un monde très actuel. «Écrire un opéra sur Médée, ce n'est pas seulement écrire
une musique au creux d'un texte, c'est montrer le monde et le dire comme le peut un compositeur »
Sasha Waltz est une des chorégraphes les plus importantes de la danse contemporaine européenne.
Sa version très personnelle de Medea, à la fois lyrique et chorégraphique, offre un spectacle sensuel
et poignant pour 18 danseurs et 1 soprano, qui met l'accent sur la part féminine de la femme mère et
guérisseuse.
Claudine Purnelle
Mars 2010
Direction musicale : Marcus Creed
Mise en scène, chorégraphie, scénographie & vidéo : Sacha Waltz
Décors : Pia Maier-Schriever, Thomas Schenk, Heike Schuppelius
Costumes : Christine Birkle
Eclairages : Thilo Reuther
Dramaturgie : Jochen Sandig, Yoreme Waltz
Soprano :Caroline Stein
Quartet vocal : Gesa Hoppe, Cécile Kempenaers, Anne-Kristin Zschunke, Bettina Ranch
Danse : Sasha Waltz & guests
Orchestre symphonique de la Monnaie
Vocalconsort Berlin
À La Monnaie
les 11 et 13 avril 2010
www.lamonnaie.be
À noter aussi que le Cycle des sept formes de Pascal Dusapin, enregistré avec l'Orchestre
Philharmonique de Liège Wallonie Bruxelles, sous la direction de Pascal Rophé, sort de presse en
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cette fin de mois de mars. Voir l'article que nous y avons consacré et l'interview du compositeur :
Pascal Dusapin : entendre les formes
Photos Sebastian Bolesch
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