T2 - L`Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée

HISTOIRE DE JULES CÉSAR
PAR L'EMPEREUR NAPOLÉON III
TOME DEUXIÈME
LIVRE TROISIÈME — GUERRE DES GAULES
D’APRÈS LES COMMENTAIRES
CHAPITRE PREMIER — CAUSES POLITIQUES DE LA GUERRE
DES GAULES
— I — Caractère aventureux des Gaulois
Il y a des peuples dont l’existence dans le passé ne se révèle que par certaines
apparitions brillantes, preuves irrécusables d’une énergie jusqu’alors ignorée.
Dans l’intervalle, l’obscurité enveloppe leur histoire, et il en est d’eux comme de
ces volcans longtemps silencieux qu’on croirait éteints si, de loin en loin, des
éruptions ne venaient manifester le feu qui couve dans leur sein. Tels avaient été
les Gaulois.
Les récits de leurs anciennes expéditions attestent une organisation déjà
puissante et une ardeur aventureuse. Sans parler des migrations qui remontent
peut-être à neuf ou dix siècles avant notre ère, nous voyons, au moment où
Rome commençait à grandir, les Celtes se répandre hors de leurs frontières. A
l’époque de Tarquin l’Ancien (ans de Rome de 138 à 176), deux expéditions partaient
de la Gaule celtique : l’une traversait le Rhin et l’Allemagne méridionale pour
s’abattre sur l’Illyrie et la Pannonie (aujourd’hui la Hongrie occidentale) ; l’autre,
franchissant les Alpes, s’établissait en Italie, dans la contrée située entré: ces:
montagnes et le Pô1. Bientôt les envahisseurs se transportèrent sur la rive droite
de ce fleuve, et presque tout le territoire compris entre les Alpes et les Apennins
prit le nom de Gaule cisalpine. Plus de deux siècles après, les descendants de ces
Gaulois marchèrent sur Rome et la brûlèrent tout entière, à l’exception du
Capitole2. Un siècle encore plus tard (475), on voit de nouvelles bandes sortir de
la Gaule, gagner la Thrace par la vallée du Danube3, ravager la Grèce
septentrionale et rapporter à Toulouse l’or enlevé au temple de Delphes4.
D’autres, parvenues à Byzance5, passent en Asie, fondent leur domination sur
toute la région en deçà du mont Taurus, appelée depuis, Gallo Grèce ou Galatie,
et y maintiennent une sorte de féodalité militaire jusqu’à l’époque de la guerre
d’Antiochus6.
Ces faits, quelque obscurs qu’ils soient dans l’histoire, prouvent l’esprit
d’aventure et le génie guerrier de la race gauloise ; aussi inspirait-elle une
terreur générale. Pendant près de deux siècles, de 364 à 531, Rome lutta contre
les Gaulois cisalpins et plus d’une fois la défaite de ses armées mit son existence
en péril. C’est pour ainsi dire pied à pied que les Romains firent la conquête de
l’Italie du nord, l’affermissant au fur et à mesure par l’établissement de colonies.
1 Justin, XXIV, 4. - Tite-Live, V, 48.
2 Polybe, II, 17-19. - Tite-Live, V, 35.
3 Pausanias, X, 19-23. - Diodore de Sicile, Eclog., XXII, 13.
4 Strabon, IV, p. 156, éd. Dübner et Müller. - Justin, XXXII, 3.
5 Polybe, IV, 46.
6 Justin, XXV, 2. - Tite-Live, XXXVIII, 16. - Pausanias, VII, 6, § 5.
Résumons ici les principales guerres contre les Gaulois cisalpins et transalpins
dont il a déjà été question dans le premier volume de cet ouvrage. En 531, les
Romains prirent l’offensive, passèrent le Pô et subjuguèrent une grande partie de
la Cisalpine. Mais à peine le nord de l’Italie était-il placé sous la suprématie de la
République, que l’invasion d’Annibal (536) souleva de nouveau les habitants de
ces contrées, qui vinrent grossir son armée ; et même, lorsque ce grand
capitaine fut forcé de quitter l’Italie, ils défendirent encore pendant trente-quatre
années leur indépendance. La lutte, renouvelée en 554, ne se termina qu’en 588,
car nous ne comptons pas les insurrections partielles qui suivirent. Pendant ce
temps, Rome eut non seulement à combattre les Cisalpins aidés par les Gaulois
d’au delà des Alpes, mais aussi à faire la guerre aux hommes de leur race en
Asie (565) et en Illyrie. Près de cette dernière province la colonie d’Aquilée prit
naissance (571), et plusieurs tribus sauvages de la Ligurie, qui gardaient les
défilés des Alpes, furent soumises (588).
— II — Guerre des Romains au delà des Alpes
En 600, les Romains, appelés au secours de la ville au grecque de Marseille,
attaquée par les Oxybiens et les Déciates, peuplades ligures des Alpes
maritimes1, portèrent pour la première fois leurs armes de l’autre côté des Alpes.
Ils suivirent la Corniche et passèrent le Var ; mais il leur fallut, selon Strabon,
quatre-vingts ans de lutte avant d’obtenir des Ligures une étendue de douze
stades (2kil,22), étroit passage au bord de la mer pour se rendre, par la Gaule, en
Espagne2. Cependant les légions poussèrent leurs entreprises entre le Rhône et
les Alpes. Le territoire conquis fut donné aux Marseillais, qui bientôt, inquiétés de
nouveau par les populations des Alpes maritimes, implorèrent une seconde fois
l’appui de Rome. En 629, le consul M. Fulvius Flaccus fut envoyé contre les
Sallyens, et, trois ans après3, le proconsul C. Sextius Calvinus les refoula loin des
rivages de la mer, et fonda la ville d’Aix (Aquœ Sextiœ)4.
En protégeant les Marseillais, les Romains avaient étendu leur domination sur le
littoral ; en contractant d’autres alliances, ils pénétrèrent dans l’intérieur. Les
Éduens étaient en guerre avec les Allobroges et les Arvernes. Le proconsul Cn.
Domitius Ahenobarbus s’unit aux premiers et battit les Allobroges, en 633, à
Vindalium, sur la Sorgue (Sulgas), non loin du Rhône. Plus tard, Q. Fabius
Maximus, petit-fils de Paul-Émile, remportait, au confluent de l’Isère et du
Rhône, une victoire décisive sur les Allobroges et sur Bituitus, roi des Arvernes.
Ce succès valut à Q. Fabius le surnom d’Allobrogique5. Les Arvernes se disaient
descendants des Troyens, et se vantaient d’une origine commune avec les
Romains6 ; ils restèrent indépendants, mais leur domination, qui des bords du
Rhin s’étendait jusqu’au voisinage de Narbonne et de Marseille, fut restreinte à
leur ancien territoire. Les Rutènes avaient été leurs alliés contre Fabius : ils
obtinrent également de ne pas être soumis à la puissance romaine et furent
exemptés de toute charge7.
1 Polybe, XXXIII, 7-8. - Tite-Live, Epitomé, XLVII.
2 Strabon, IV, p. 169.
3 Tite-Live, Epitomé, LX.
4 Tite-Live, Epitomé, LXI.
5 Strabon, IV, p. 154-159. - Tite-Live, Epitomé, LXI. - Florus, III, 2. - Velleius Paterculus, II, 10.
6 Lucain, I, v. 427.
7 César, Guerre des Gaules, I, 45. - Strabon, IV, p. 158.
En 636, le consul Q. Marcius Rex fonda la colonie de Narbo Marcius, qui donna
son nom à la Province romaine appelée Narbonnaise1.
Le mouvement qui avait longtemps poussé vers le midi les peuples du nord
s’était ralenti depuis plusieurs siècles ; mais, au septième siècle de la fondation
de Rome, il semble recommencer avec plus d’intensité. Les Cimbres et les
Teutons2, après avoir ravagé le Norique et l’Illyrie, et défait l’armée de Papirius
Carbon envoyée pour couvrir l’Italie (641), avaient traversé la Rhétie, et, par la
vallée du Rhin, pénétré chez les Helvètes. Ils entraînèrent avec eux une partie de
ce peuple, se répandirent dans la Gaule et y portèrent, durant plusieurs années,
la terreur et la désolation. Les Belges seuls leur résistèrent vigoureusement.
Rome, pour protéger sa Province, fit marcher, soit contre eux, soit contre les
peuplades helvètes, leurs alliées, cinq généraux qui furent successivement
vaincus : le consul M. Junius Silanus, en 645 ; M. Aurelius Scaurus, en 646 ; L.
Cassius Longinus, en 6473 ; enfin, clans l’année 646, le proconsul Q. Servilius
Cæpion4 et Cn. Manlius Maximus. Ces deux derniers perdirent chacun leur
armée5. L’existence de Rome était menacée. Marius, par les victoires remportées
à Aix sur les Teutons (652), et aux champs Raudiens, non loin de l’Adige, sur les
Cimbres (653), détruisit les barbares et sauva l’Italie.
Les anciens confondaient souvent les Gaulois avec les Cimbres et les Teutons ;
issus d’une même origine, ces peuples formaient comme l’arrière-garde de la
grande armée d’invasion qui, à une époque inconnue, avait amené des bords de
la mer Noire les Celtes dans les Gaules. Salluste6 attribue aux Gaulois les
défaites de Q. Cæpion et de Cn. Manlius, et Cicéron7 désigné sons le même nom
les barbares que détruisit Marius. C’est qu’en effet tous les peuples du Nord
étaient prêts sans cesse à se réunit dans le même effort, lorsqu’il s’agissait de se
précipiter vers le midi de l’Europe.
De 653 à 684, les Romains, occupés de guerres intestines, ne songèrent pas à
augmenter leur puissance au delà des Alpes, et lorsque la paix intérieure fut
rétablie, les généraux tels que Sylla, Metellus Creticus, Lucullus, Pompée,
préférèrent les conquêtes faciles et lucratives de l’Orient. Les peuples vaincus
étaient abandonnés par le sénat aux exactions des gouverneurs, ce qui explique
la facilité avec laquelle les députés des Allobroges entrèrent, en 691, dans la
Conjuration de Catilina ; la crainte les engagea à dénoncer le complot, mais on
ne leur sut aucun gré de leurs révélations8 ; les Allobroges s’insurgèrent,
s’emparèrent de la ville de Vienne9, dévouée aux Romains, et surprirent, en 693,
Manlius Lentinus, lieutenant de C. Pomptinus, gouverneur de la Narbonnaise.
Cependant, quelque temps après, celui-ci les battit et les soumit définitivement.
Jusqu’à l’époque de César, dit Cicéron10, nos généraux s’étaient contentés de
1 Cicéron, Discours pour Fonteius, IV. - Eutrope, IV, 23. - Velleius Paterculus, I, 15 ; II, 8.
2 Strabon, VII, p. 243.
3 Cette victoire fut remportée par les Tigurins, peuplade de l’Helvétie, sur le territoire des
Allobroges. D’après l’Epitomé de Tite-Live, LXV, la bataille aurait eu lieu chez les Nitiobriges, peuple
habitant au nord de la Garonne, ce qui est peu probable.
4 Servilius avait pillé le temple de Toulouse.
5 Tite-Live, Epitomé, LXVII. - Tacite, Germanie, 37.
6 Jugurtha, 64.
7 Discours sur les provinces consulaires, 13.
8 Ibid.
9 Les fugitifs viennois allèrent fonder la ville qui plus tard prit le nom de Lugdunum, en un lieu
appelé Condate, nom synonyme de confluent. – Dion Cassius, XLVI, 50.
10 Discours sur les provinces consulaires, 13.
repousser les Gaulois, songeant plutôt à arrêter leurs agressions qu’à porter la
guerre chez eux. Marius lui-même ne pénétra pas jusque dans leurs villes et
leurs demeures, il se borna à opposer une digne à ces torrents de peuples
débordant sur l’Italie ; C. Pomptinus, qui apaisa la guerre suscitée par les
Allobroges, s’est reposé après sa victoire. César seul a voulu soumettre la Gaule
à notre domination.
— III — Constante préoccupation des Romains à l’égard des Gaulois
Il ressort de cet ensemble de faits que la pensée constante des Romains fut,
pendant plusieurs siècles, de résister aux peuples celtiques établis en deçà
comme au delà des Alpes. Les auteurs anciens signalent hautement la crainte qui
tenait sans cesse Rome en éveil. Les Romains, dit Salluste1, avaient alors,
comme de nos jours, l’opinion que tous les autres peuples devaient céder à leur
courage, mais qu’avec les Gaulois ce n’était plus pour la gloire, c’était pour le
salut qu’il fallait combattre. De son côté, Cicéron s’exprime ainsi2 : Dès le
commencement de notre République, tous nos sages ont regardé la Gaule
comme l’ennemie la plus redoutable pour Rome. Mais la puissance et la
multitude de ces peuples nous avaient empêchés jusqu’à présent de les
combattre tous.
En 694, on s’en souvient, le bruit d’une invasion des Helvètes courut à Rome.
Aussitôt cessa toute préoccupation politique, et on eut recours aux mesures
exceptionnelles adoptées en semblables circonstances3. En effet, dans le
principe, lorsqu’il s’agissait d’une guerre contre les Gaulois, on procédait
immédiatement à la nomination d’un dictateur et à des levées en masse. Dès lors
nul n’était exempté du service militaire, et, dans la prévision d’une attaque de
ces barbares, on avait même déposé au Capitole un trésor particulier auquel il
n’était permis de toucher que dans cette éventualité4. Aussi, lorsqu’en 705 César
s’en empara, il répondit aux protestations des tribuns que, la Gaule étant
soumise, ce trésor était devenu inutile5.
La guerre contre les peuples au delà des Alpes était donc, pour Rome, la
conséquence d’un antagonisme séculaire qui devait amener une lutte suprême et
la ruine de l’un des deux adversaires. C’est ce qui explique à la fois et l’ardeur de
César et l’enthousiasme excité par ses succès. Les guerres entreprises d’accord
avec le sentiment traditionnel d’un pays ont seules le privilège de remuer
profondément la fibre populaire, et l’importance d’une victoire se mesure à la
grandeur du désastre qu’aurait entraîné une défaite. Depuis la chute de
Carthage, les conquêtes en Espagne, en Afrique, en Syrie, en Asie, en Grèce,
agrandissaient la République, mais ne la consolidaient pas, et un échec dans ces
différentes parties du monde aurait amoindri la puissance de Rome sans la
compromettre. Avec les peuples du Nord, au contraire, son existence était en
jeu, et de ses revers ou de ses succès dépendait le triomphe de la barbarie ou de
la civilisation. Si César eût été vaincu par les Helvètes ou par les Germains, qui
peut dire ce que Rome serait devenue, assaillie par les hordes innombrables du
Nord se précipitant à l’envi sur l’Italie ?
1 Jugurtha, 64.
2 Discours sur les provinces consulaires, 13.
3 Cicéron, Lettres à Atticus, I, 19.
4 Plutarque, César, 41. - Appien, Guerres civiles, II, 41.
5 Appien, Guerres civiles, II, 41.
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