Lecture analytique d’un texte
« Les Poêles »
Idée Générale du texte : Le récit insiste sur le rapport de l’Homme à l'objet, les Poêles.
L’individu en tire profit, il est pour lui source de chaleur et de réconfort. Cependant, il le
craint car il peut se brûler au contact de celui-ci : il est à la fois répugnant et attirant.
Comment Ponge parvient-il finalement à anoblir l'objet ?
I. Une expérimentation scientifique
Dans ce poème, et plus généralement dans son œuvre, Le Parti pris des choses, Ponge décrit
l'objet de la manière la plus précise et la plus rigoureuse possible, cherchant en particulier à
exprimer leurs qualités caractéristiques. Ce compte-rendu porte sur les qualités physiques
de l'objet (Ponge recourt volontiers au vocabulaire technique des sciences expérimentales)
mais aussi sur les qualités linguistiques du mot en désignant l'objet (en particulier
l'étymologie).
a) L’attention portée au phénomène physique et également différentes
matières
Le verbe « adorons » (L.5) est un verbe modalisateur de sentiment, conjugué au présent
d'énonciation. Il révèle la sensation que l’Homme éprouve à proximité de ces Poêles, la
chaleur, le plaisir, le bien-être ressentis. Le verbe renvoie également au pronom personnel
«Nous » (L.5), présenté ici comme l’antécédent de la proposition subordonnée relative « qui
les adorons » (L.5). Cette première personne du pluriel traduit la volonté de l'auteur de
généraliser cette sensation, à démontrer qu'elle est partagée par tous. La proposition,
considérée comme une expression hyperbolique confirme la relation privilégiée
individu/objet et révèle une connotation affective, voir un culte quasi-religieux de l'objet.
Le substantif « ardeur » (L.13) renvoie à la couleur, à l'éclat, au plaisir ici visuel éprouvé à la
vue de cette braise. Il s'appuie sur une syllepse sémantique :
- Plan moral révélant une forme d'enthousiasme,
- La chaleur dégagée par l'objet (les poêles).
Ainsi l'objet est évoqué par un vocabulaire laudatif qui le personnifie aux yeux du
poète.
Ponge anoblit alors l'objet en associant les deux termes analysés.
Aussi, Le verbe à l'infinitif « rougir» (L8), révèle un sens animé. Il a pour sujet «nous» qui
concerne le poète et les autres hommes. Il renvoie à la réaction physique face à la chaleur
qui émane de l'objet, mais également évoque la gêne occasionnée étant donné le traitement
qu'on inflige aux poètes en vue de notre bien-être.
L'occurrence du verbe « rougissent » (L.8) dans la proposition subordonnée circonstancielle,
conjugué au pluriel, propose une personnification des Poêles. Cette répétition exprime
alors :
- Le plaisir qu'ont ces poêles à travailler, à nous procurer du bien-être.
- Le changement de leur apparence: passage du noir au rouge, du «charbon » à la
«braise» L.15 (revient sur une certaine animation).
Les poêles changent d'aspect extérieur mais ils peuvent aussi agir sur l'individu et lui
faire changer d'aspect par leur chaleur : C'est un rapport de force entre l'Humain et
l’Objet.
b) La recherche de lois à travers l’expérimentation
- Le recours au lexique spécialisé, ici scientifique, avec « en raison inverse >> (L.1) et «
Agir au fond du kaléidoscope » (L.13-14) qui relève d'une observation précise et
méthodique.
- L'idée énoncée est toujours vraie à travers le temps, c'est une idée atemporelle.
- Les adverbes de liaison, ou connecteurs logiques, « alors » (L.12), « puis >> (L.13),
suivant un ordre chronologique
L'écriture de Ponge se caractérise donc par la réflexion, il écrit selon des liens
logiques.
c) La dernière phrase du texte
C'est le point de l'aboutissement de l'expérimentation, l'énoncé de la loi générale.
- un article défini général « les » relève d'un caractère universel du principe des
relations entre les Hommes, mais aussi les Choses.
- un présent atemporel « sont bien loin >> attribue à la Poêle des caractéristiques
surréels, en les valorisant tout en comparant la merveilleuse relation entre
«l'homme et l'objet » à celle du « valet et de son seigneur» (L.19-20) qui est
décrite péjorativement. L’adverbe « bien » insiste sur un éloignement dans le
temps et dans l'espace.
- l'effacement des marques du locuteur avec le recours à la 3e personne du pluriel
dans la phrase (généralisation/conclusion).
Cette démarche révèle un désir d'objectivité chez le poète.
Ponge n'est pas idéaliste, mais matérialiste, il ne s'intéresse pour sa part qu'au « rapport
de l'homme au monde ».
II. La poétisation d'un objet banal et quotidien
En écrivant ce poème, Francis Ponge montre un intérêt pour un objet quotidien, qui semble
à priori totalement dépourvu en raison de sa fonction purement utilitaire, et a priori très
peu poétique, le Poêle. En quoi ce court texte sur un objet inattendu est-il un véritable
poème ?
a) Abolition de la frontière entre inanimé et vivant
- L'auteur insiste sur l'utilisation de cet objet par la personnification « l'animation des
poêles » en période hivernale, rappelée par l’allégorie « la clémence du temps ».
- Par la comparaison « à l'égal » (L.5) d'une divinité naturelle « les troncs d'arbres» (L5),
les Poêles sont considérés comme une divinité matérielle, source de bien-être.
- Le verbe « adorons » (analysé précédemment) personnifie également l'objet aux yeux
du poète.
- Le verbe « rougissent » (L.8), analysé précédemment, propose que l'humain soit rendu
ici comme une chose, il est réifié, il passe d'un état à un autre.
Ainsi, le lecteur considère l'objet comme un être Humain, en lui attribuant des
caractères propres au vivant, en ayant des réactions à son égard, et en éprouvant
même des sentiments pour ces choses qui sont dès lors personnifiées et animées.
b) Poésie et humour : une redéfinition inattendue des rapports de l’homme à
ses outils domestiques.
Cependant, les jeux de lettres relèvent de l'arbitraire de la langue et de l'irrationnel.
Ponge s'évertue, dans Le Parti pris des choses, à accroître cette part irrationnelle au moyen
de calembours, d'allitérations, de permutations de lettres, d'analogies gratuites,
d'associations d'idées audacieuses (à propos des poêles, il parle d’ « un tison sadique agir au
fond du kaléidoscope », à propos de l'orange, il évoque la « lanterne vénitienne des
saveurs»), tout en restant, en apparence, sur une description froid". Cette tension
extrême des textes diffuse un humour très subtil, lequel couvre d'apparences débonnaires
ou futiles un message bien plus tragique et subversif : le "compte tenu des mots" s'avérant
impérieux pour tout discours (pas seulement pour les textes du Parti pris), et la forme de ces
mots relevant en partie de l'arbitraire linguistique, alors il existe nécessairement une part
irrationnelle dans tout discours. Dans une telle perspective, truffer une description en
apparence objective et rigoureuse d'éléments irrationnels ressemble, à bien des égards, à un
travail de sape systématique de la langue. Commentant son propre travail, Ponge évoque un
"anarchiste" en train de construire une "bombe" dont la "poudre" serait l'irrationnel
(Entretiens avec Philippe Sollers).
Conclusion :
« Les Poêles » répondent aux exigences du poème en prose :
- une organisation rigoureuse (méthode, démarche scientifique)
- la force des images (personnifications, allégories ...)
- les jeux de mots.
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