Le purpura du campagnol Cas clinique The bank vole purpura

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Cas clinique
L’ exception
Le purpura du campagnol
Purpura • Anthropozoonose
• Néphropathie épidémique
• Hantavirus • virus Puumala.
The bank vole purpura
A. Salava, N. Kluger
(Departement of dermatology, allergology and venereology, Institute of Clinical Medicine,
Skin and Allergies Hospital, University of Helsinki, Helsinki University Central Hospital)
C
Purpura • Anthropozoonosis
• Nephropathia epidemica •
Hantavirus • Puumala virus.
e cas a fait l’objet d’une publication en finnois dans le journal
de l’association des dermatologues de Finlande (SKINFO) en 2012.
La néphropathie épidémique est une anthropozoonose habituellement bénigne responsable néanmoins d’un tableau hémorragique et d’une insuffisance rénale transitoire
causée par le virus Puumala et transmise par un rongeur, le campagnol roussâtre.
Cette infection est fréquente en Scandinavie et en Finlande. Nous rapportons ici un
cas dont le tableau dermatologique est impressionnant.
Observation
Un patient européen âgé de 60 ans était hospitalisé pour un exanthème annulaire diffus
(figure 1, p. 63). On retrouvait dans ses antécédents médicaux une cardiomyopathie
dilatée, une fibrillation auriculaire chronique et un éthylisme chronique. Les médicaments qu’il prenait comprenaient le bisoprolol, l’aspirine, le furosémide, la spironolactone et le ramipril. Deux semaines avant le début de l’exanthème, le patient avait
présenté une fièvre à 38-39 °C, une fatigue, une altération de l’état général et une toux.
Devant la suspicion d’une infection des voies respiratoires supérieures sur un terrain
cardiaque, un traitement antibiotique empirique avait été instauré par roxithromycine,
avec une légère efficacité sur les symptômes respiratoires.
L’exanthème du patient avait débuté aux membres inférieurs avant de s’étendre au
tronc, aux membres supérieurs, aux paumes et au cou. L’exanthème était constitué
de macules pétéchiales non infiltrées et ne disparaissant pas à la vitropression, ce qui
confirmait un purpura. Les pétéchies confluaient en nappes pour former un purpura
annulaire (figure 1, p. 63) plus marqué au site de striction (zone de la ceinture). Les
muqueuses buccales et génitales n’étaient pas atteintes.
À l’examen physique, l’état général du patient était conservé et les constantes normales
(tension artérielle [TA] : 125/88, pouls : 82/mn irrégulier, SaO2 : 97 %). Il n’existait pas
de céphalées, de troubles visuels ou de troubles gastro-intestinaux. Le bilan biologique
retrouvait une hyperleucocytose (13 000/mm3) sans autre anomalie. Les plaquettes
étaient normales. Il existait un syndrome inflammatoire avec une CRP à 63 mg/l.
La créatinine était élevée, à 190 µmol/l, avec une protéinurie à 3+ et une hématurie
à 1+. Le reste du bilan (ionogramme, bilan hépatique, anticorps antinucléaires, antiantigènes solubles et anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles [ANCA])
était normal ou négatif.
La biopsie cutanée réalisée au punch retrouvait sous un épiderme d’épaisseur diminuée
un infiltrat inflammatoire du derme périvasculaire et entre les fibres de collagène.
Il s’agissait d’un infiltrat polymorphe composé de lymphocytes, d’éosinophiles, de
neutrophiles et de macrophages s’étendant jusqu’à l’hypoderme(figures 2-4, p. 63).
Il existait un œdème de la paroi vasculaire sans vascularite cutanée. En revanche,
on retrouvait une nette extravasation de globules rouges dans le derme superficiel,
responsable du purpura. L’immunofluorescence directe était négative.
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Devant ce tableau de purpura hémorragique associé à une dysfonction rénale, et dans
le contexte environnemental (Finlande), le diagnostic d’hantavirose au virus Puumala
était rapidement suspecté (Nephropathia epidemica). Une séroconversion IgM et IgG
contre le virus Puumala confirmait le diagnostic.
Les symptômes respiratoires et l’état général s’amélioraient rapidement. Le purpura
se résolvait totalement en 1 à 2 mois. Le patient ne présentait aucune complication
au long cours.
Discussion
Le virus Puumala est un hantavirus (virus enveloppé à ARN) de la famille des Bunyaviridae. Il fait partie des quelques rares hantavirus rencontrés en Europe (tableau I),
responsables d’une fièvre hémorragique avec syndrome rénal (FHSR). On dénombre
actuellement 22 espèces d’hantavirus, mais ce nombre est appelé à augmenter au fur
et à mesure de notre connaissance des rongeurs, vecteurs de ces virus. On estime à
150 000 le nombre de cas annuels de FHSR associés aux hantavirus (1).
Tableau I. Hantavirus en Europe (d’après Vapalahti et al. [1]).
Virus
Rongeur vecteur
Pathologie
Puumala
Clethrionomys glareolus
(campagnol roussâtre)
FHSR
(modérée, néphropathie épidémique)
Dobrava
Apodemus flavicollis
(mulot à collier)
FHSR (sévère)
Saaremaa
Apodemus agrarius (mulot
des champs, souris des champs)
FHSR (modérée)
Tula
Microtus arvalis
(Campagnol commun)
Pas d’association pathologique
Séoul
Rattus norvegicus (rat gris),
Rattus rattus (rat noir)
FHSR (épidémies uniquement
en laboratoires dans les années 1980)
FHSR : fièvre hémorragique avec syndrome rénal.
La forme modérée de la FHSR, aussi appelée néphropathie épidémique (Nephropathia
epidemica), est associée au virus Puumala, du nom de la ville de l’est de la Finlande où
a été identifiée la première fois la souche virale. Ce dernier est ainsi fréquent en Scandinavie et en Finlande. Le rongeur vecteur est le campagnol roussâtre (Myodes glareolus
ou Clethrionomys glareolus). En Finlande, cette infection est d’ailleurs dénommée la
“fièvre des campagnols” (myyräkuume). Cependant, ce campagnol est présent sur toute
l’Europe (France incluse), sauf sur le pourtour méditerranéen, la péninsule ibérique et
la Grèce (figure 5, p. 65). Le rongeur est asymptomatique et peut excréter pendant des
mois le virus dans ses urines, sa salive et ses déjections. L’infection survient le plus
souvent en milieu rural, par inhalation des matières fécales par aérosolisation de la
poussière dans un milieu clos (hangars, étables, etc.). Le virus est dans une impasse
chez l’homme qui est un hôte accidentel. Il n’existe pas de transmission interhumaine.
Dans les pays nordiques, les infections surviennent le plus souvent en automne et au
début de l’hiver, au moment où la population de rongeurs est la plus importante, suivant
des cycles de 3 à 4 ans, en raison des prédateurs. Les zones forestières constituent
un terrain favorable pour les populations de campagnols, et donc la transmission du
virus. Dans les zones tempérées, les populations de rongeur sont plus stables et les
forêts plus éparses. On note ainsi des épidémies plus localisées, mais également
plutôt au printemps ou en été, pour des raisons de pics reproductifs différents. Ces
différences de pics épidémiques peuvent aussi s’expliquer par des affinités spécifiques
à chaque espèce de rongeurs (préférence pour les champs lors de la moisson, des
zones cultivées ou des parcs urbains, etc.).
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Légendes
Figure 1. Purpura diffus annulaire des
membres inférieurs.
Figures 2-4. Analyse histologique d’une
biopsie de peau (hématoxyline-éosine) :
dans le derme, on retrouve une extravasation
de globules rouges. L’infiltration cellulaire
se constitue surtout de lymphocytes et de
granulocytes neutrophiles.
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Le virus Puumala reste la cause la plus fréquente de FHSR en Europe. On diagnostique
environ 1 000 cas par an en Finlande et 100 à 300 en Suède. La séroprévalence du virus
est de l’ordre de 5 à 10 % en Finlande selon les régions. En Allemagne, en Belgique et en
France, près de 200 cas sont diagnostiqués dans chaque pays en période épidémique.
Ainsi, en France, 312 cas ont été diagnostiqués entre 1982 et 1992 (1).
L’infection touche plutôt les sujets entre 35 et 40 ans, avec une prédominance masculine
(2:1 en Scandinavie, 5:1 en France). Les individus les plus à risque sont les personnes
en contact avec le milieu forestier : agriculteurs, travailleurs forestiers, trappeurs,
chercheurs, campeurs, militaires. L’incubation dure environ 2 à 4 semaines. La maladie
clinique évolue selon plusieurs stades : fébrile, hypotensive, oligurique, diurétique et
enfin convalescence. Cependant, les différences ne sont pas toujours distinguables.
De plus, à l’image de notre cas, le nombre de présentations atypiques/infracliniques/
modérées prévaut sur la forme typique (de 5 à 10 pour 1) [1].
Le début est habituellement brutal, avec des symptômes s’installant en quelques jours
et comprenant : fièvre, céphalées, troubles digestifs (douleurs, nausées, vomissements,
qui font parfois penser à une appendicite). Une somnolence est notée rapidement.
De nombreuses manifestations oculaires ont été décrites et sont fréquentes avec
l’infection à Puumala (2). La myopie aiguë, par un épaississement du cristallin, est un
signe hautement évocateur de FHSR dans les zones d’endémie (1, 2). Certains patients
hypermétropes décrivent même une amélioration de leur vision (2). Des symptômes
rénaux (douleur lombaire, oligurie, voire anurie) apparaissent dès le 3e ou le 4e jour,
avec une hypotension parfois importante qui peut aller jusqu’au choc hypotensif. La
néphropathie épidémique est une néphrite tubulo-interstitielle aiguë. Les manifestations hémorragiques comprenant un purpura, un méléna ou une hématurie surviennent dans 10 % des cas d’infections à Puumala. Si une gastroscopie était réalisée,
un saignement modéré de la muqueuse gastrique serait quasi constamment retrouvé.
Divers autres symptômes ont été décrits, notamment le syndrome de Guillain-Barré
et la périmyocardite... Les manifestations cliniques et biologiques de l’infection à virus
Puumala sont résumées dans le tableau II.
Tableau II. Manifestations cliniques et biologiques de l’infection à virus Puumala en Europe
(d’après [1]).
Symptômes
Fièvre
Céphalées
Douleurs abdominales
Douleurs lombaires
Nausées/vomissements
Vertige
Purpura pétéchial
Hémorragies conjonctivales et rétiniennes
Hémorragies internes
Hypotension (< 90/60 mmHg)
Myopie/vision trouble
Oligurie (< 0,5 l/j)
Polyurie (> 2 l/j)
Leucocytose
Thrombopénie
Protéinurie
Hématurie
Élévation de la créatinine (> 150 μmol/l)
Élévation des transaminases
Hémodialyse
Décès
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Prévalence (%)
97-100
62-90
64-75
63-82
33-83
12-25
12
0-7 [2]
2
1-2
10-36
54-70
97-100
23-57
56-68
84-100
58-85
90
41-60
5-7
0,01 [3]
Légende
Figure 5. Distribution du virus Puumala et
de Clethrionomys glareolus. Le dessin des
rongeurs indique les pays où le séquençage
du virus Puumala est disponible à partir des
rongeurs (C. glareolus). Les points indiquent
les infections humaines à Puumala : les
points noirs, les cas confirmés par tests de
neutralisation ou RT-PCR et séquençage ; les
points larges indiquent les pays où il y a plus
de 200 cas par an (d’après [1]).
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Le risque de décès est de l’ordre de 0,1 % en Finlande, et, dans la littérature, de 0,01 %
(9 décès sur 537 cas publiés) [3], le plus souvent dans un tableau hémorragique (hémorragie pituitaire principalement ou d’autres organes). Le patient récupère progressivement à partir de la 2e semaine. Les séquelles au long cours sont rares, de l’ordre de
0,02 % (insuffisance hypophysaire, glomérulonéphrite) [3]. Le patient développe par
la suite une immunité durable contre le virus. Cependant, il n’est pas démontré que
les anticorps soient protecteurs contre les autres hantavirus (1).
Le diagnostic est posé sur la sérologie, qui est positive précocement, dès les premiers
jours de l’infection, avec la présence d’IgM et d’IgG. Il n’existe pas de réaction croisée
entre le virus Puumala et les autres hantavirus pathogènes (Dobrava et Saaremaa).
Ainsi, en cas de suspicion de FHSR, il faudrait faire des sérologies pour Puumala
et Dobrava/Saaremaa (ces 2 derniers croisent en revanche). À distance de la phase
aiguë, des tests de neutralisation ou un RT-PCR avec séquençage permettent une
identification du virus.
La symptomatologie est liée à la réaction immunitaire cytotoxique CD8+ et à la production de cytokines contre le virus en réplication. Ce dernier présente un tropisme
pour l’endothélium vasculaire.
Il n’existe pas actuellement de vaccins contre les hantavirus européens. Seules les
mesures de prévention visant à lutter contre l’installation des rongeurs dans les lieux
d’habitations, notamment les chalets ou les lieux de stockage, permettent de prévenir
une potentielle infection.
Conclusion
À ce jour, seuls 3 hantavirus sont pathogènes pour l’homme en Europe (Puumala,
Dobrava et Saaremaa). Ils sont présents sur la quasi-totalité de l’Europe. Il s’agit
de virus “anciens”, dont la distribution géographique suit les modifications environnementales qui influent sur la dynamique des rongeurs. Les symptômes qui doivent
alerter le clinicien comprennent une fièvre élevée, des céphalées, des symptômes
abdominaux et rénaux sans signes respiratoires associés à une leucothrombopénie
et une élevation de la créatinine.
❙❙
Références bibliographiques
N. Kluger déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
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1. Vapalahti O, Mustonen J, Lundkvist A, Henttonen H, Plyusnin A, Vaheri A. Hantavirus infections in Europe.
Lancet Infect Dis 2003;3(10):653-61.
2. Huttunen NP, Mäkelä S, Pokka T, Mustonen J, Uhari M. Systematic literature review of symptoms, signs
and severity of serologically confirmed nephropathia epidemica in paediatric and adult patients. Scand
J Infect Dis 2011;43(6-7):405-10.
3. Hautala N, Kauma H, Vapalahti O et al. Prospective study on ocular findings in acute Puumala hantavirus
infection in hospitalised patients. Br J Ophthalmol 2011;95(4):559-62.
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