Analyseur spectral arc-en-ciel : de l’étude fondamentale au démonstrateur H. Linget, A. Louchet-Chauvet, T. Chanelière, J.-L. Le Gouët Laboratoire Aimé Cotton, CNRS-UPR3321, bâtiment 505, campus universitaire, 91405 Orsay, France P. Berger, L. Morvan Thales Research and Technology, 1 Avenue Augustin Fresnel, 91767 Palaiseau, France Lorsqu’un élargissement inhomogène affecte une transition entre deux niveaux d’énergie d’un système atomique, on peut, à l’aide d’un laser monochromatique, exciter les atomes en résonance avec la fréquence du laser, sans perturber les atomes de fréquences voisines. Un trou est alors créé dans le profil d’absorption, à la fréquence du laser. Selon le matériau employé, le trou peut perdurer quelques ms jusqu’à plusieurs jours. Ce phénomène, appelé creusement spectral, constitue la base de nombreuses applications de traitement analogique très large bande de signaux placés sur porteuse optique. Dans ce contexte les ions de terre rare en matrice cristalline (REIC), bien connus comme matériaux à gain pour les lasers, offrent, lorsqu'ils sont refroidis à la température de l'hélium liquide, des propriétés remarquables. Combinant une largeur inhomogène de plusieurs dizaines de GHz et une résolution spectrale en général très inférieure à 1 MHz, capables par ailleurs de mémoriser à l'échelle de la microseconde un profil spectral pendant des temps qui peuvent atteindre plusieurs jours, ces matériaux peuvent être utilisés comme processeurs optiques programmables pour une grande variété d'applications. On peut citer par exemple la génération de lignes à retard « truetime delay » [1], la génération de formes arbitraires large bande [2], le renversement temporel [3] et l’analyse spectrale de signaux RF [4]. Parmi les dispositifs d’analyse spectrale reposant sur le creusement spectral, l’analyseur dit « arc-en-ciel » ou « analyseur à projection spatiale » est l’un des plus prometteurs. Le principe de l'appareil a été imaginé et démontré au Laboratoire Aimé Cotton (LAC), et un démonstrateur est actuellement développé dans les locaux de Thales Research and Technology (TRT), en partenariat avec le LAC, et avec le support de la DGA dans le cadre du PEA ORGE. #2 #3 θ θ cristal cristal #1 (a) Programmation (b) Lecture Figure 1. (a) Programmation du cristal: pour chaque fréquence, deux faisceaux (#1 et #2) sont superposés dans le cristal, et forment une figure d’interférences. Un trou est creusé dans le profil d’absorption pour les atomes situés dans les franges brillantes, tandis que le profil n’est pas modifié pour les atomes situés dans des franges sombres. (b) Lecture : Chaque composante spectrale du signal RF à analyser, qui est placé sur une porteuse optique (faisceau #3), est diffractée dans une direction spécifique. Le principe de l’analyseur arc-en-ciel est schématisé sur la figure 1: on programme le cristal actif en y inscrivant dans le profil d’absorption une famille de réseaux de diffraction monochromatiques qui coexistent dans le cristal. Chaque réseau est associé à une fréquence optique particulière. Lors de la lecture, un signal radio-fréquence placé sur une porteuse optique (faisceau #3) est envoyé sur le cristal préparé. Chacune des composantes de fréquence du signal incident est diffractée dans une direction particulière. On projette ainsi angulairement le spectre du signal à analyser, et ce de façon simultanée sur toute la bande passante. Un photo-détecteur matriciel peut alors détecter indépendamment les différentes composantes du spectre d’intérêt. Un décalage temporel du faisceau diffracté permet d’améliorer la résolution et la sélectivité spectrale du dispositif. Pour ce faire, une structure périodique dite « spectro-spatiale » est créée à la fois dans le volume du cristal et dans l’espace des fréquences [4]. Dans les travaux originaux [5], l’analyseur arc-en-ciel a permis l’analyse spectrale instantanée de signaux radio-fréquence transposés sur porteuse optique, avec une bande passante de 3.3 GHz et une résolution de 33 MHz, soit 100 canaux spectraux. La programmation du cristal et la lecture étaient réalisées de manière successive, ce qui limitait la probabilité de détection d'un signal transitoire. Le démonstrateur développé par TRT vise une bande passante de 20 GHz et une résolution de 50 MHz, soit 400 canaux, avec une analyse continue des signaux RF, soit une probabilité de détection d'un signal transitoire de 100%. Pour cela, deux lasers doivent être utilisés, l’un pour la programmation, et l’autre pour la lecture. Les faisceaux #1 et #2 de programmation doivent être balayés angulairement et spectralement en continu et de façon synchronisée, à une cadence supérieure à l’inverse du temps de vie des populations (10 ms). En utilisant un scanner mécanique résonnant à 2 kHz et des optiques d’imagerie appropriées, TRT a réalisé un montage qui devrait permettre de discriminer 400 canaux fréquentiels sur les photo-détecteurs. TRT a aussi démontré que le laser de programmation peut être balayé sur 20 GHz, de façon reproductible et synchronisée avec le balayage angulaire. Le cryostat utilisé dans ce démonstrateur est un cryostat à hélium liquide en circuit fermé, ce qui permet d’une part de s’affranchir des problèmes actuels liés à l’approvisionnement en hélium liquide, et d’autre part d’envisager des systèmes nécessitant moins de maintenance et plus d’autonomie. Une expérience simple de diffraction a permis de vérifier que le niveau de vibration du cryostat utilisé n’est pas critique pour le démonstrateur, et le montage permet de graver des filtres d’une résolution de l’ordre de 10 MHz. Les performances des différents blocs fonctionnels constituant l’analyseur spectral ayant été validées, l’assemblage final et l’optimisation du démonstrateur est en cours. En parallèle avec le travail réalisé à TRT, nous poursuivons au Laboratoire Aimé Cotton l’étude de l’analyseur arc-en-ciel, sur un plan plus fondamental. En effet, une performance telle que l'efficacité, limitée actuellement à quelques pourcents, présente l'une des voies d'amélioration possible de la présente réalisation développée à TRT. Notre étude est basée sur l’observation que les protocoles de traitement classique du signal et les protocoles de mémoires quantiques sont très proches sur le plan fondamental, même si leurs applications semblent très différentes. Dans une mémoire quantique, un objectif essentiel est l'optimisation de la fidélité, c'est-à-dire de l'aptitude de la mémoire à restituer le signal lumineux dans son état quantique originel. Cet objectif correspond à l’optimisation de l’efficacité dans un dispositif d’analyse spectrale. De même, l'exigence de bas bruit des mémoires quantiques rejoint la recherche de grande dynamique des processeurs d’analyse spectrale. L’analyseur spectral arc-en-ciel et le protocole AFC (atomic frequency comb) mettent en jeu tous deux la création de structures périodiques dans le spectre d’absorption du matériau. L’optimisation de la structure gravée dans l’AFC a permis d’atteindre des efficacités de 35% [6,7]. Nous nous inspirons de ces études pour améliorer les performances de l’analyseur en termes d’efficacité, sur un montage expérimental réduit à un seul canal spectral. Références : [1] K. D. Merkel, W. R. Babbitt, Opt. Lett. 23, 528 (1998). [2] V. Damon, V. Crozatier, T. Chanelière, J.-L. Le Gouët and I. Lorgeré, J. Opt. Soc. Am. B 27, 524 (2010). [3] H. Linget, L. Morvan, J.-L. Le Gouët and A. Louchet-Chauvet, Opt. Lett. 38, 643 (2013). [4] I. Lorgeré, L.Ménager, V. Lavielle and J.-L. Le Gouët, D. Dolfi, S. Tonda, and J.-P. Huignard, J. of Mod. Opt. 49, 2459 (2002). [5] V. Lavielle, F. De Seze, I. Lorgeré, J.-L. Le Gouët, J. Lumin. 107, 75-89 (2004). [6] A. Amari, A. Walther, M. Sabooni, M. Huang, S. Kröll, M. Afzelius, I. Usmani, B. Lauritzen, N. Sangouard, H. de Riedmatten, N. Gisin, J. Lumin. 130 1579 (2010). [7] M. Bonarota, J. Ruggiero, J.-L. Le Gouët, and T. Chanelière, Phys. Rev. A, 81, 033803 (2010).