DOSSIER - LE DÉCLIN DE LA COMPÉTITIVITÉ FRANÇAISE : ÉTAT DES LIEUX
CAHIERS FRANÇAIS N° 380
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inférieurs sur des produits similaires – on parle alors de
compétitivité prix –, soit en cherchant des positions
de monopole par la différenciation des produits et/ou
l’innovation – on parle alors de compétitivité hors-prix.
Au niveau des pays, la dénition de la compétitivité
n’est pas aisée et divise la communauté économique.
Le plus célèbre opposant à cette notion est Paul
Krugman (1994) qui, dans un article retentissant du
Foreign Affairs, dénonçait une « dangereuse obses-
sion ». Il rappelle que le bien-être d’un pays ne peut
être confondu ni avec le prot de ses entreprises ni avec
les intérêts de ses industries (1). Selon les opposants
au concept de compétitivité, le seul objectif légitime
pour un pays doit rester celui de fournir un niveau de
vie élevé et croissant à ses citoyens, qui dépend avant
tout de la productivité avec laquelle ses ressources en
termes de travail et de capital sont employées.
De leur côté, les partisans du concept de compétitivité
se divisent en deux catégories. Certains, pragmatiques,
préconisent d’assortir l’objectif central de richesse à des
objectifs de performances sur les marchés extérieurs.
C’est par exemple la position retenue par l’OCDE, qui
dénit la compétitivité comme « la capacité d’un pays,
en situation de concurrence libre et équitable, à produire
des biens et services qui ont du succès sur les marchés
internationaux tout en garantissant une croissance des
revenus réels de ses habitants soutenable dans le long
terme ». Cette dénition apparaît raisonnable car elle
empêche de considérer comme compétitif un pays qui,
au prix de sacrices intérieurs trop importants, par
exemple sous la forme de fortes baisses des salaires, se
forgerait une bonne capacité d’exportation. Inversement,
un pays qui afcherait un bon niveau de vie mais dont
les produits s’exporteraient mal serait également jugé
non compétitif.
D’autres auteurs revendiquent plus ex pli ci tement
l’idée qu’en présence de progrès technologique
endogène et localisé, les pays peuvent se trouver, à
certains moments de leurs trajectoires de croissance, en
concurrence les uns par rapport aux autres (Grossman
(1) Ainsi, lorsqu’une entreprise française perd des parts de
marchés au prot d’une entreprise étrangère plus compétitive, le
consommateur français y gagne même si l’entreprise française y
perd. Dans une étude récente pour le CEPII, Charlotte Emlinger et
Lionel Fontagné montrent que le coût du panier de consommation
moyen en France se renchérirait de 100 à 300 euros par mois si les
biens consommés étaient tous achetés en France. Cf. Emlinger Ch.
et Fontagné L. (2013), « (Not) Made in France », Lettre du CEPII
n° 333, juin.
et Helpman 1991, Lucas, 1993 (2)). Dans ce cas, le
libre-échange peut effectivement créer des gagnants
et des perdants et la mobilité internationale des fac-
teurs de production peut renforcer, plutôt que réduire,
les inégalités de richesses entre les pays. Parmi eux,
l’économiste le plus emblématique est Dani Rodrik
(3)
.
Pour lui, le positionnement à l’international d’un pays
peut directement inuencer sa croissance dans un sens
favorable ou non en fonction des politiques économiques
qu’il met en œuvre. Dans la lignée de ses travaux, la
compétitivité d’un pays peut se dénir comme « sa
capacité à s’insérer de manière avantageuse dans la
mondialisation et à en tirer parti pour améliorer le
niveau de vie de ses citoyens ».
Comment mesure-t-on
la compétitivité d’un pays ?
Faute d’un ancrage théorique pleinement établi,
les diagnostics de compétitivité des pays reposent sur
des indicateurs qui intègrent, sans grande justication,
une variété de critères de performances intérieures et
extérieures. Par ailleurs, ces diagnostics cherchent en
général à aller au-delà de la mesure des performances
elles-mêmes et tentent plutôt d’appréhender des déter-
minants fondamentaux. Les deux indices composites les
plus connus sont ceux proposés par le World Economic
Forum (WEF) et l’Institute for Management Develop-
ment (IMD). Le premier compte 111 critères censés
représenter la compétitivité d’un pays et le second pas
moins de 245.
Les classements de l’IMD et du WEF font tous
deux ressortir le déclin de la compétitivité française par
rapport à son voisin allemand (tableau 1). Toutefois , ce
type de classements est à interpréter avec la plus grande
prudence. En effet, ils sont très vivement critiqués dans
la littérature économique de par leur construction ad
hoc (Debonneuil et Fontagné, 2003).
(2) Voir Grossman G. et Helpman E. (1991), Innovation and
Trade in the Global Economy, Cambridge, MIT Press et Lucas R.
(1993), « Making a Miracle », Econometrica, vol. 61, n° 2.
(3) Dani Rodrik est professeur de sciences sociales à l’Institut
d’études avancées de Princeton. Voir en particulier Rodrik D.
(2008).