Colloque International : Philosopher au XIIe siècle
Chaire d’Histoire de la Philosophie Médiévale
Collège de France
Prof. Alain de Libera
Coordonné par Ángela Beatriz Ávalos Soto
Lundi 29 mai
(9.20 - 10.00) Fedor Benevich (Université de Munich) : « The Essence-Existence Distinction in the Post-
Avicennian Metaphysics »
The essence-existence distinction was a central issue in metaphysical disputes among post-Avicennian
thinkers in the Islamic world. One group argued that what thing is is different from that it is only
conceptually. A rival view would have it that the distinction between essence and existence is real. In my
presentation I will concentrate on two arguments against a real essence-existence distinction: (1) if
existence were really distinct from essence, it would itself have to exist, leading to an infinite regress; (2) if
existence were really distinct from essence, then essence would somehow have to be already there before
existence attaches to it. I will also present solutions to these arguments which were brought up by Far al-
Dīn al-Rāzī (d. 1210).
(10.00 - 10.40) Olga Lizzini (Université d’Amsterdam): « Philosopher au XIIe siècle : Avicenne et sa
première réception au Moyen Age. Quelques remarques »
Ce fut à Tolède, dans la seconde moitié du XIIe siècle, que l’on traduisit les deux textes les plus influents
d’Avicenne : Le livre de l’âme (en arabe Kitāb al-Nafs ; en latin Liber de anima seu sextus de naturalibus) et La
métaphysique (en arabe Kitāb al-Ilāhiyyāt ; Liber de philosophia prima, dans la traduction latine). Les Latins
furent donc initiés à la métaphysique et à la psychologie aristotéliciennes, sinon seulement, sans doute
aussi, à travers l’interprétation avicennienne. C’est en ce sens que les textes d’Avicenne contribuèrent à la
naissance d’une nouvelle façon de faire de la philosophie (Nardi 1912 ; Gilson 1929-30 ; de Libera
1990/2012 ; Porro 2006 ; Jolivet 2009/2013). Nous nous proposons ici de relire quelques éléments de
cette histoire de translatio, de lecture, d’interprétation et de philosophie. Cela nous permettra d’examiner
quelques aspects importants de la toute première réception au XIIe siècle des textes d’Avicenne et de
reconsidérer les distinctions que l’historiographie a tenté d’établir pour la comprendre : l’avicennisme
latin, dont parla de Vaux, l’idée gilsonienne d’augustinisme avicennisant, que de Vaux voulait nuancer
sinon corriger.
(11.00 - 11.40) Jean-Baptiste Brenet (Paris 1- Panthéon-Sorbonne) : « Entre dogme et théologie
dialectique: l'acte de philosopher selon Averroès »
Au début de son Discours décisif, il s'agit d'évaluer la « sagesse » au regard de la Loi, Averroès, en juge,
donne une définition fameuse de l'acte de philosopher : l'examen des étants en tant que preuves de
l'Artisan. Tout son raisonnement, en faveur de la « falsafa » et de son accord à la sharī'a, en dépend. Que
dit cette définition et quel est son statut ? Entre l'almohadisme qu'il sert et la théologie qu'il combat,
comment Averroès, le philosophe, manoeuvre-t-il ? C'est ce qu'on voudrait voir.
(11.40 - 12.20) David Wirmer (Université de Cologne): « Maimonides and Ibn Bāǧǧa on Final Causality »
In chapter III:25 of his Guide of the Perplexed, Moses Maimonides (1138–1204) stipulates that the whole
Torah of Moses is founded upon the idea that everything in this world follows from divine wisdom.
Maimonides finds this idea expressed throughout the Torah by statements describing the works of God
as “good,” i.e. inherently purposeful. Earlier, in chapter III:13, he had introduced that idea by a thorough
examination of the role of final causality for a coherent scientific explanation of the world in view of the
two competing models: eternity and creation. But Maimonides opens chapter III:13 with the surprising
statement that “the question of what is the final end of that which exists” has been abolished “in all
schools.” In my paper I will try to show that Maimonides’s justification for this claim as concerns the
Aristotelian school may be found in a commentary on the Meteorology written by the Andalusian
Philosopher Ibn Bāǧǧa (d. 1139) and Al fârâbi’s treatise The Philosophy of Aristotle. All three authors
present, each from a different perspective, a critical examination of the possibility to discover the final
causes of natural beings and thereby reflect on the limits of human knowledge concerning the final
structure of the world.
Après-midi 29 mai
(14.30 - 15.10) Catalina Vicens (Université de Leiden) : « Dialogues between Musica Humana and Musica
Instrumentalis: thinking and resolving dissonance in music and philosophy of the 12th and 13th centuries »
(15.10 - 15.50) Danielle Jacquart (EPHE Paris): « Être philosophe pour un médecin du XIIe siècle »
Le renouveau de la médecine au XIIe siècle est lié dans l’historiographie aux maîtres qui enseignèrent à
Salerne. À leur actif sont régulièrement mentionnées la constitution, dans la seconde moitié de ce siècle,
d’un corpus de textes soumis à commentaires et l’utilisation précoce de traductions d’oeuvres d’Aristote.
Soucieux de reconstruire un enseignement médical, théorique et pratique, ils s’efforcèrent de replacer leur
discipline dans le cadre de la « philosophie », conçue comme l’ensemble des savoirs rationnels profanes.
Parmi ces maîtres salernitains, l’un d’entre eux, Urso, reçut le surnom de philosophus. Nous nous
interrogerons sur le sens de ce qualificatif, en analysant les traits saillants de ses oeuvres.
(15.50 - 16.30) Joël Chandelier (Paris 8) : « Que le médecin ne doit pas être philosophe. Philosophie et
médecine en al-Andalus au XIIe siècle »
Dans le monde islamique, médecine et philosophie sont très souvent liées : beaucoup de médecins sont
aussi philosophes, et la majeure partie des philosophes ont pratiqué la médecine. Pourtant, la conception
des rapports entre les deux disciplines est loin d’avoir été toujours la même, que ce soit du point de vue
de l’époque ou du lieu considéré. La communication s’attachera à étudier la position particulière sur ce
sujet des médecins andalous du long XIIe siècle. En effet, il semble que beaucoup de ceux qui ont réfléchi
à la science médicale dans cet espace aient considéré que la médecine devait être un art autonome,
s’appuyant sur une expérience pratique étendue mais refusant d’intégrer à la discipline des éléments issus
de la philosophie naturelle. Dans ce cadre, on s’attardera sur la figure d’Averroès, mais aussi sur ses
contemporains, devanciers ou successeurs (comme Ibn Zuhr, Ibn ufayl ou encore Ibn umlūs), pour
comprendre si une attitude spécifiquement andalouse sur ce thème peut être décelée, et s’il est possible
d’expliquer cette originalité.
Mardi 30 mai
(9.20 - 10.00) Alain de Libera (Collège de France) : Jean Damascène à Paris
Le Contra quatuor labyrinthos Franciae de Gauthier de Saint-Victor se veut une réfutation des “nouveaux
hérétiques” dans le domaine de la christologie. Aux quatre « labyrinthes » autochtones Pierre Abélard,
Gilbert de Poitiers, Pierre Lombard et Pierre de Poitiers il ajoute un « grec » : Jean Damascène,
« nouvelle » source du IIIe livre des Sentences. L’entrée du De fide orthodoxa, dans la traduction de Burgundio
de Pise, est un événement essentiel dans l’histoire de la pensée européenne. Partant du dossier monté par
Gauthier on en détaillera quelques aspects, aux confins de la christologie, de la métaphysique et de
l’anthropologie.
(10.00 - 10.40) Richard Cross (Notre Dame, USA) : « The role of philosophy in Bernard of Clairvaux’s
attacks on the Trinitarian doctrines of Peter Abelard and Gilbert of Poitiers »
Bernard of Clairvaux was deeply involved in attempting to condemn the doctrines of the Trinity defended
by Peter Abelard and Gilbert of Poitiers, two thinkers noted for a high level of philosophical acumen and
education. In both of these controversies, the issue arose, whether explicitly or implicitly, of Bernard’s
lack of training in elementary philosophy. While Bernard was not in principle opposed to dialectic, his
works include no discussion of (and barely any mention of) the thought of figures whom we would
identify as philosophers, or even of philosophically-minded theologians such as Boethius. His level of
philosophical training and interest thus indeed seems to fall below that of his interlocutors. This paper
attempts to assess the extent to which Bernard’s approach to philosophical topics had an impact on his
understanding of the issues involved in the attempt to make philosophical or dialectical sense of the
doctrine of the Trinity, as laid out in Abelard and Gilbert, respectively.
(11.20 - 12.00) Luisa Valente (Université de Roma La Sapienza) : « Philosophie et théologie selon Pierre
Abélard et Gilbert de Poitiers »
Pierre Abélard et Gilbert de Poitiers sont presque universellement considérés comme des novateurs dans
le panorama intellectuel du XIIe siècle latin. Grands estimateurs de la méthode scientifique et ‘scolastique’,
ils ont tous les deux souligné avec force la puissance et la richesse du savoir philosophique et de la raison
naturelle: deux forces qui, pour eux, sont aussi à la base du développement de la théologie, qu’ils
conçoivent comme plus spéculative qu’exégétique. Pourtant, il est évident que les importantes ouvertures
en faveur de la rationalité et de la méthode scientifique qui se trouvent dans leurs textes sont
profondément enracinées dans le terrain le plus traditionnel. Pour Abélard en particulier, des études ont
montré la centralité de son adhésion à l’idéal monastique et de l’héritage augustinien. Vues sous cet angle,
les innovations thodologiques introduites par Pierre Abélard et Gilbert de Poitiers se révèlent bien
intégrées dans la représentation ancienne platonicienne, néo-platonicienne et stoïcienne avant d’être
chrétienne -- de la philosophie comme perfectionnement suprême de l’être humain et comme parcours
d’élévation qui part du monde sensible pour viser l’intelligible et le divin. Il s’agit d’un itinéraire de
connaissance mais aussi de purification et d’ascèse : un itinéraire qui est réservé, surtout pour les échelons
les plus élevés, à un très petit nombre d’êtres humains. Ma contribution veut comparer et comprendre les
déclarations explicites des deux maîtres à propos de ce parcours, et plus généralement du sens de l’être
philosophe et de la division de la philosophie. En particulier je voudrais analyser les sens différents que
revêt la thèse selon laquelle la philosophie est un tout et la théologie en est une partie; ou que la
philosophie est le genus dont la théologie est une des espèces.
(12.00 - 12.40) Christophe Grellard (EPHE Paris) / Ángela Beatriz Ávalos (Paris 1 Collège de France) :
La place de l’éthique et la figure du moine-philosophe chez Abélard.
Dans la Theologia christiana (ca. 1125), Pierre Abélard fait des moines les successeurs des philosophes
païens, reprenant, implicitement, une tradition augustinienne et paulinienne qui voit dans le christianisme
l’accomplissement de la philosophie antique. « Je ne veux pas être philosophe d’une manière qui
m’opposerait à Paul ; je ne veux pas être Aristote d’une manière qui me séparerait du Christ », écrit-il dans
son Epistola et fidei confessio ad Heloisam, cette manière étant donc une « théologie philosophique ». Si Pierre
Abélard sera suivi sur ce point par Jean de Salisbury, en revanche, il est une tradition monastique,
représentée notamment par Bernard de Clairvaux ou Pierre de Celle, qui s’oppose violemment à ce
schème et oppose radicalement la philosophia des païens et la disciplina du cloître. Par-delà le schéma
historiographique classique qui oppose l’école et le cloître, le but de cette intervention est d’examiner
quelles conceptions de la philosophie et du philosopher sont à l’œuvre dans ces deux schèmes, en
particulier dans la façon dont ils articulent les différentes parties de la philosophie. La promotion de
l’éthique comme partie fondamentale de la philosophie est indissociable des transformations du XIIe siècle
où se mêlent déclin et renouveau.
Après-midi mardi 30 mai
(14.30 - 15.10) John Marenbon (Trinity College, Cambridge): « Pagans and Philosophers »
In my Pagans and Philosophers. The problem of paganism from Augustine to Leibniz (Princeton University Press,
2015), I examined how the Problem of Paganism the interrelated topics of pagan virtue, wisdom and
the salvation of pagans were treated by Latin Christian authors. In this paper I plan to extend this
investigation, so that as well as looking at twelfth-century authors writing in Latin, including Abelard and
William of Conches, I shall look at Muslim and Jewish authors from the same period, who wrote in
Arabic, such as Ibn Tufayl, Averroes and Maimonides. I am thinking, initially, about two questions in
especial: - (1) How do different religious backgrounds and doctrines affect the way thinkers approach the
Problem of Paganism. (Indeed, is there such a problem from Muslims and Jews?) (2) Given the far wider
availability of Aristotle in the twelfth-century Arabic world than in the Latin one of the same period, it is
tempting to think that the shared chronology is merely accidental, and that the real Latin contemporaries
of Averroes and Maimonides are the thirteenth-century thinkers who were the first to study the almost
complete Aristotle. Might it be, however, that real, temporal contemporaneity is more important than this
way of thinking would suggest?
(15.10 - 15.50) Irène Rosier (EPHE Paris) : « Sémantique, ontologie, noétique au début du XIIe siècle:
nouvelles perspectives et nouvelles questions »
Le début du XIIe siècle est pour la philosophie, la période émerge Paris comme centre de savoir, celle
des écoles ou « sectes philosophiques ». La question du langage y tient, dès le départ, un le essentiel,
mais, en raison des corpus disponibles, elle est indissociable des questions ontologiques et noétiques. La
figure d’Abélard est majeure, et on la voit encore trop souvent, telle qu’il l’exposait lui-même, en lien ou
en rupture avec son maître Guillaume de Champeaux. Pourtant la place de Guillaume, qui enseigna la
grammaire, la dialectique et la rhétorique mérite d’être envisagée pour elle-même, maintenant que cet
enseignement est mieux connu, grâce à des éditions nouvelles qui forcent à reconsidérer les notions
d’auteur et d’école et les enjeux des débats doctrinaux. Je voudrais ici me centrer sur les recherches et
hypothèses récentes notamment sur les origines et la nature du « vocalisme » et les facettes des
différents « réalismes » et montrer en quoi elles suscitent de nouvelles perspectives notamment pour
penser les liens entre les questions sémantiques, ontologiques et noétiques.
(16.20 - 17.00) Eileen Sweeney (Boston College, USA) : « Philosophizing about Nature in the 12th
Century »
In the Consolation, Boethius balances descriptions of the beauty and order of material nature with mention
of the forces which, left to themselves, would pull it apart. This view is influenced by Neoplatonic
thinkers, especially Calcidius, though the Tractates emphasize more Aristotelian notions of nature as that
which has its principle of motion per se. When we shift to the 12th century thinkers, we find echoes of
this Neoplatonic nature, but in a changed landscape which includes nature as governed by internal
principles of causation and order. These thinkers struggle both to understand nature and to place study of
it on its own terms in relation to an understanding of things through and as related to God. Alan of Lille
and Bernard Silvestris explore the moral consequences of such views reflected in human nature and its
(self) governance.
(17.00 - 17.40) Irene Caiazzo (CNRS) : « Les laïcs et la philosophie au XIIe siècle »
Philosopher au XIIe siècle, c’est aussi philosopher pour les laïcs. Le terme est polysémique, mais les deux
acceptions les plus courants sont «non-religieux» et «non-lettré». Dès le XIIe siècle, les laïcs deviennent de
fait une catégorie sociale et culturelle et ils sont demandeurs d’une production littéraire et philosophique
spécifique. Tantôt auteurs tantôt destinataires d’ouvrages philosophiques, les laïcs «philosophants» se
rencontrent principalement dans les cours princières: ils s’intéressent surtout à la philosophie naturelle, à
l’éthique et à la politique. Des ouvrages philosophiques en langue vulgaire voient également le jour à la fin
du XIIe siècle; ce phénomène prend une grande ampleur à partir du XIIIe siècle.
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