DOSSIER Douleurs et sein Les soins oncologiques de support à l’heure du troisième Plan cancer The supportive care in oncology in France I. Krakowski* B ien qu'ils soient de mieux en mieux identifiés, il semble toujours utile de rappeler ce que sont les soins oncologiques de support (SOS). Ils sont définis comme “l’ensemble des soins nécessaires aux personnes malades tout au long de la maladie conjointement aux traitements oncohématologiques spécifiques, lorsqu’il y en a” (1, 2). Ces soins sont une pratique nécessaire pour les professionnels, car ils sont devenus peu à peu et légitimement une forte attente des personnes malades qui savent que les progrès ont été importants et que la recherche avance. La lutte contre la douleur (rappelons ici que la découverte des récepteurs opioïdes ne date que des années 1970) et le développement des soins palliatifs (dans les années 1960) ont été les fondements de ces soins conceptualisés dans les années 1990 et qui, aujourd’hui, apportent bien d’autres progrès, à toutes les phases de la maladie, y compris lors de l’après-cancer. Mais le développement de ces soins n’est pas simple et renvoie au progrès de la médecine et au lot de complexités de tous ordres qu’il génère : “L’humanité gémit sous le poids du progrès qu’elle a généré”, disait H. Bergson. Quoi qu’il en soit, il est probable que la pratique des SOS sera demain l’essentiel de la pratique cancérologique en hospitalisation conventionnelle, alors que celle des soins spécifiques sera majoritairement ambulatoire. Les SOS dans le Plan cancer 3 : une place reconnue Depuis le 4 février 2014, date de la présentation du troisième Plan cancer 2014-2019 (3) par le président de la République, chaque professionnel impliqué en cancérologie cherche quelle importance a été donnée aux domaines qui l’intéressent, ce qui a été retenu de son audition éventuelle lors de l’élabo- ration des recommandations préalables. Et une méthode simple consiste à faire une comptabilité des mots-clés : ce plan est présenté en 152 pages, dans lesquelles sont cités : la recherche (253 fois), le dépistage (156 fois), les soins (130 fois), l’inégalité (85 fois) et les soins de support (avec un chapitre spécifique) [23 fois], la douleur (9 fois), les soins palliatifs (5 fois), sachant qu’il est admis aujourd’hui que ces 2 derniers axes font partie intégrante de la dynamique des SOS. Ainsi, si l’on cumule soins palliatifs, douleur et soins de support, le score est à 26 (rappel : dans le Plan cancer 2, il y avait 15 citations sur 140 pages), et cela est considéré comme une avancée significative au sein de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS). La lutte contre les inégalités (85), le dépistage (156) et la recherche (253) sont les axes qui seront prioritaires jusqu’en 2019. Ceux-ci semblent tout à fait cohérents pour la version 3 de ce Plan de santé publique majeur, eu égard à la fréquence et au poids économique et humain du cancer : éviter la maladie, l’éradiquer “dans la cellule” pour le bénéfice de tous, nantis ou non. Voici des objectifs que tous les pays ne sont pas en mesure d’afficher, et notamment le dépistage, sachant que la crise économique ramène vite aux réalités et aux limites des ambitions les plus légitimes… Que dire du soin (130) ? Il semble rester une préoccupation du Plan, ce qui rassurera “un peu” tous ceux qui œuvrent au quotidien au chevet des malades et des proches. Que dire des SOS (23-37) ? Ils sont plus clairement identifiés et compris, comme leurs promoteurs le souhaitaient depuis les années 1960 et surtout 1990, à savoir : une approche de soins et de soutien à toutes les phases de la maladie pour que notre médecine triomphante n’altère pas les principes de continuité, de globalité et d’accompagnement, quoi qu’il arrive. Le Plan cancer souligne l’importance de la détection systématique des besoins, de l'accès systématique * Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS) ; Institut de cancérologie lorrain, Vandœuvre-lès-Nancy. La Lettre du Sénologue • No 64 - avril-mai-juin 2014 | 25 Points forts Mots-clés Soins de support Organisation Plan cancer Médecine personnalisée Highlights » Supportive care must continue their development to enable the control of symptoms related to the disease or treatments and a holistic approach to all phases of the disease, including post-cancer. » The National Cancer Plan emphasizes the importance in terms of systematic identification of needs, access (accreditation criteria), information, training (accreditation criteria), national guidelines, organization, financial approach. » Practical bedside guidelines are available on the web, on tablets and smartphones by the French Speaking Association for Supportive Care in Oncology (AFSOS). » A cooperative research group in supportive care was established by agreement between the AFSOS and UNICANCER (french comprehensive cancer centers network) and is open to all professionals. Keywords Supportive care Organization National Cancer Plan Pain Personalized medicine » Les soins de supports doivent poursuivre leur développement pour permettre le contrôle des symptômes liés à la maladie ou aux traitements, et une approche globale à toutes les phases de la maladie, y compris lors de l’après-cancer. » Le Plan cancer en souligne l’importance en termes de détection systématique des besoins, d’accès (critère d’agrément), d’information, de formation (DPC), de référentiels nationaux, d’organisation, de financement (réforme de la tarification). » Des référentiels sont mis à disposition sur le web, sur tablettes et sur smartphones par l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS). » Un groupe coopérateur de recherche en soins oncologiques de support, mis en place par convention entre l’AFSOS et UNICANCER, est ouvert à tous les professionnels. aux soins de support (critère d’agrément pour les autorisations), d’une information systématique – notamment dans le cadre du dispositif d’annonce –, le besoin de formation (DPC), la nécessité d'intégrer les besoins en soins de support lors des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), de rédiger des référentiels nationaux, l'intérêt d’une meilleure lisibilité de l’organisation, l'urgence d’une réforme de la tarification pour faciliter l’accessibilité financière. Il est utile aussi de faire remarquer que dépistage, recherche et égalité s’appliquent également aux soins de support : dépister les symptômes liés à la maladie ou au traitement très tôt, développer la recherche pour améliorer les traitements, offrir des soins de support à tous, quel que soit le niveau social. Enfin, il faut rappeler que le Plan cancer doit s’envisager pour certains de ses aspects avec le Plan soins palliatifs (4), toujours en cours, et que si aucun Plan douleur n’a été réactivé – pour des raisons budgétaires essentiellement –, les objectifs des 3 Plans précédents restent pertinents, notamment concernant l’organisation des soins. Les “cancérologues” sont la clé des SOS Il n’est pas possible pour les médecins amenés à traiter des malades atteints de cancer de déléguer toute la gestion des symptômes propres à la maladie ou aux traitements spécifiques, l’annonce et l’aide psychologique minimum, même si le recours à des experts est possible ! C’est la raison pour laquelle tous doivent acquérir des connaissances adaptées à leur exercice dans les domaines des SOS. La publication de la circulaire du 22 février 2005 relative à l’organisation des soins en cancérologie a donné un cadre pour une meilleure organisation de ces soins en y consacrant l’annexe 4 (2). L’organisation de la médecine en général, et de la cancérologie en particulier, subit, et va encore subir, de profondes évolutions secondaires à la croissance accélérée des connaissances – puis rapidement des pratiques –, au Plan cancer, à la pénurie médicale, aux recommandations, à l’évaluation des pratiques professionnelles, aux modalités de tarification, à la place accrue des usagers ; “il faut s’adapter vite ou… 26 | La Lettre du Sénologue • No 64 - avril-mai-juin 2014 dysfonctionner gravement” (et nos décideurs sont souvent loin de la science et du terrain, nos institutions ne sont pas très rapides…) ! Dans le domaine des SOS, certains changements sont engagés depuis les années 1960, d’autres sont récents ou en cours. Il faut rappeler que la dénomination de SOS n’a pas eu pour objectif de consacrer une nouvelle spécialité. Elle a été choisie par un groupe d’experts de diverses spécialités pour aller vers une organisation plus conforme aux besoins nouveaux des malades et des équipes. Elle a été choisie pour : ➤ identifier et développer les SOS appliqués par les “cancérologues”, sous-entendu les oncologues médicaux et radiothérapeutes, les chirurgiens et les spécialistes des organes impliqués en cancérologie : annonce, lutte contre les symptômes liés à la maladie et de plus en plus aux traitements, etc. ; ➤ rendre plus lisibles les entités spécialisées impliquées dans les différentes expertises en SOS et qui étaient en grande difficulté pour exister (elles le sont toujours en raison du système de tarification et de la pénurie médicale) : unités de psychooncologie, consultations et centres de la douleur, équipes mobiles et unités de soins palliatifs, unités transversales de nutrition, unités d’accompagnement social, activités autour de la socio-esthétique, la rééducation-réadaptation, la fertilité, la sexologie, etc. ; ➤ améliorer la qualité de vie au travail des professionnels ; ➤ rappeler, voire défendre certaines valeurs éthiques, valeurs par moments négligées dans la passion de ce qui reste la mission fondamentale du médecin et l’attente première de la personne malade : guérir encore et toujours chaque fois que possible. Et c’est ici qu’il faut affirmer que les “cancérologues” ont indéniablement un rôle majeur à jouer en matière de SOS. En fait, dans l’organisation actuelle, ils en sont la clé, car ils sont pour les patients des référents incontestés et incontestables tout au long de la maladie ou presque. Ils ont, d’une part, le pouvoir de s’impliquer, eux-mêmes et leurs équipes, fortement ou non, dans cette démarche d’amélioration de la qualité des soins (et donc de la qualité de vie !), et, d’autre part, le pouvoir d’ouvrir plus ou DOSSIER moins leurs services et RCP aux différentes équipes de soins de support dans un esprit de démarche pluridisciplinaire élargie et de recours (notion à l’origine de l’idée des RCP d’appui du Plan 3). Mais chacun sait que “collaborer avec l’autre” n’est pas simple – même si l’on est convaincu –, et nécessite des concessions de part et d’autre : ➤ accepter de voir certaines situations éclairées différemment par “un autre savoir” qu’il faut respecter ; ➤ être suffisamment bon professionnel pour ne pas se sentir menacé par le débat, voire la critique, et au contraire y voir une source de progrès ; ➤ ne pas imposer sa vérité, mais y faire adhérer l’autre en sachant que d’autres situations pourront conduire à une inversion des rôles. Dans cet ordre d’idées, il faut citer les travaux de J. Temel en 2010 (5) qui ont rendu visible l’intérêt d’une collaboration précoce entre équipes de cancérologie et de soins de support dans le cancer bronchique non à petites cellules métastatique, en montrant l'amélioration significative de la qualité de vie, de l’anxiété et de la dépression, la réduction des gestes invasifs, la recherche plus large d’informations sur les préférences lors de la fin de vie, et, point totalement inattendu, l'augmentation significative de la survie globale (11,6 versus 8,9 mois ; p = 0,02) avec moins de traitements spécifiques… Ces travaux sont à étendre à d’autres tumeurs, mais doivent nous faire réfléchir aux pratiques décisionnelles en “énièmes lignes” pour lesquelles les critères de décision sont peu à peu identifiés (performance status, albumine, LDH, nombre de métastases, résistance aux lignes thérapeutiques précédentes, évaluation oncogériatrique, etc.) [6, 7] même s’il reste beaucoup à faire. La personnalisation des soins spécifiques et de support : 3 étapes La démarche de personnalisation des soins n’est pas le propre des soins spécifiques mais constitue un modèle, comme souvent la cancérologie. Les soins de support s’adapteront en fonction des effets indésirables des traitements spécifiques ; ils sont essentiels pour contrôler ces effets, et permettre d’appliquer le meilleur traitement spécifique et d’éviter les pertes de chances liées au sous-dosage ou à l’abandon thérapeutique. Cette démarche correspond à plusieurs étapes. 1. La personnalisation clinique du traitement spécifique de chaque personne malade suite à la caractérisation biologique de la tumeur (biomarqueurs au sens le plus large), ce qui permet d’avoir de moins en moins de traitements “pour toutes les tumeurs” et de plus en plus de traitements ciblés “pour chaque tumeur”. 2. La proposition des traitements spécifiques et de support personnalisés faite en fonction de la caractérisation biologique, des recommandations et des référentiels accessibles sur Internet, et intégrant les études cliniques en cours, gage d’équité pour l’accès aux meilleures pratiques et à l’innovation pour chaque personne malade, quel que soit le lieu de soins. Ce choix est validé au final lors de RCP. 3. Le choix des traitements personnalisés en “colloque singulier”, fait souvent en présence de l’entourage proche dont la personne de confiance, présence qu’il convient de favoriser, pour aboutir au “consentement éclairé”. Parallèlement à ces étapes, on rappellera l’importance que peut avoir le partage de la stratégie choisie avec l’équipe soignante (démarche participative), qui doit comprendre la motivation des soins pour les appliquer au mieux, pour compléter les explications au patient et à son entourage et ainsi favoriser l’observance. Dans les situations les plus complexes, cette démarche participative au sein de l’équipe aura un rôle fondamental, notamment pour éviter l’usure professionnelle. Ainsi, au final, chaque personne malade est en mesure d’accéder au traitement qui lui apporte les avantages et les inconvénients qui lui “correspondent et lui conviennent le mieux”. Comment s’organiser ? Avec un recul d’une vingtaine d’années, il est possible de dire qu’il est probable qu’une bonne organisation des SOS soit le reflet d’une bonne organisation des soins spécifiques, et donc d’une bonne pratique de la cancérologie. Cinq types de structures semblent nécessaires pour une bonne pratique des SOS partout où est le malade, et pour répondre aux défis des années à venir, notamment de l’ambulatoire et du maintien à domicile. 1. Des structures où se délivrent les soins spécifiques, sensibilisées et formées aux “SOS de base” et ouvertes aux expertises en SOS. Pour résumer : les services où se fait la cancérologie ; demain plutôt des hospitalisations de jour de cancérologie. La Lettre du Sénologue • No 64 - avril-mai-juin 2014 | 27 DOSSIER Douleurs et sein I. Krakowski n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. Les soins oncologiques de support à l’heure du troisième Plan cancer 2. Des structures où se délivrent les SOS organisées en unités transversales, unités d’hospitalisation conventionnelle ou de jour regroupées en services, départements, fédérations selon l’histoire de l’établissement. Pour résumer : les services de SOS avec les unités qui les constituent. 3. Des structures organisées en comités transversaux pour organiser les pratiques au sein de l’ensemble de l’établissement. Pour résumer : CLAN (alimentationnutrition), CLIN (infectiologie), CLUD-S (douleursoins palliatifs), etc. 4. Des interfaces de 2 types, et majoritairement sous-développées et en devenir : – d’une part, l’interface entre les différentes structures de l’établissement (secrétariats, réunions, RCP, inter-formations : comment se coordonnent-elles ?) ; – d’autre part, l’interface entre les structures de l’établissement et “la ville” (comment les structures de l’établissement échangent-elles avec “la ville” ?). 5. Des organisations en réseaux de soins pour assurer soins spécifiques et SOS à domicile. Ces réseaux évoluent de plus en plus vers des réseaux pluripathologies (pathologies chroniques) et doivent être soutenus pour la partie cancérologique par les réseaux régionaux de cancérologie, dont la vocation n’est pas le soin, mais l’organisation, la formation, les recommandations et référentiels. Il est clair que ces 5 niveaux sont encore mal identifiés dans beaucoup d’endroits, difficiles à mettre en place sans une forte volonté des partenaires et une détermination de décloisonnement, mais il est clair aussi qu’une grande partie des difficultés rencontrées au quotidien par les professionnels, les malades et leurs proches est liée “au(x) niveau(x) manquant(s)”, outre, soit dit au passage, les dérives en matière de sécurité des soins et de financement. Conclusion Les axes formation et recherche en SOS peuvent être rappelés pour compléter cet article centré sur l’organisation. Ces axes sont évidemment fondamentaux et se structurent peu à peu : ➤ Formation sur de nombreux thèmes : organisation, douleur, fatigue, annonce, “psy”, fertilité, sexologie, énième ligne, soins palliatifs, etc., avec une dynamique de production nationale de référentiels interrégionaux portés par l’AFSOS et l’Association des coordinateurs des réseaux de cancérologie (ACORESCA) [8] ; environ 50 disponibles actuellement sur le web (www.afsos.org), les tablettes et smartphones (www.oncologik.fr). ➤ Recherche : en organisation, certes, comme il a été vu dans cet article, mais aussi évidemment scientifique et en sciences humaines, raisons pour lesquelles a été créé un groupe coopérateur UNICANCER-AFSOS, ouvert à tous les porteurs de projets potentiels, destiné à les aider à mener à bien leurs projets. ■ Références bibliographiques 1. Krakowski I, Boureau F, Bugat R et al. Pour une coordination des soins de support pour les personnes atteintes de maladies graves : proposition d’organisation dans les établissements de soins publics et privés. Oncologie 2004;6:7-15. 2. Circulaire N° DHOS/SDO/2005/101 du 22 février 2005 relative à l’organisation des soins en cancérologie. Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille. Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. 3. Plan cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à tous, partout en France. Minis- tère des Solidarités, de la Santé et de la Famille. Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. 4. Programme de développement des soins palliatifs 2008-2012. Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille. Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. 5. Temel JS, Greer JA, Muzikansky A et al. Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2010;363(8):733-42. 28 | La Lettre du Sénologue • No 64 - avril-mai-juin 2014 6. Barbot AC, Mussault P, Ingrand P, Tourani JM. Assessing 2-month clinical prognosis in hospitalized patients with advanced solid tumors. J Clin Oncol 2008;26(15): 2538-43. 7. Dufresne A, Pivot X, Tournigant C et al. Impact of chemotherapy beyond the first line in patients with metastatic breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2008;107(2):275-9. 8. Référentiels inter-régionaux en soins oncologiques de support. Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS). http://www.afsos.org