Transition nutritionnelle et évolution mondiale vers l`obésité

Diabète et société
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Octobre 2004 Volume 49 Numéro 3
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Transition nutritionnelle et
évolution mondiale vers l’obésité
[ Barry M Popkin
Aux quatre coins du monde, les populations gagnent en corpulence.
Les taux de surpoids et d’obésité dans de nombreux pays à faibles
et moyens revenus comme le Mexique, l’Egypte et l’Afrique du sud
rivalisent avec ceux du pays de référence dans ce domaine : les
Etats-Unis. De plus, les taux de croissance de l’obésité dans ces pays
sont deux à quatre fois plus élevés que ceux des Etats-Unis. Dans
cet article, Barry Popkin nous informe de l’impact des changements
majeurs des schémas nutritionnels et de la tendance à l’inactivité.
>>
Changements alimentaires
L’alimentation des populations pauvres
des zones rurales ou urbaines d’Asie
pendant les années 1960 était simple et
plutôt monotone : du riz accompagné
de petites quantités de légumes, de
haricots ou de poisson. Aujourd’hui,
leur alimentation s’est transformée.
Les habitants de ces régions
consomment à présent régulièrement
des repas complexes dans les
nombreux points de vente de repas
préparés, qu’ils soient occidentaux
ou indigènes. La composition des
régimes alimentaires dans les pays en
développement évolue rapidement,
notamment concernant les graisses,
les édulcorants caloriques et les
aliments d’origine animale.
Huile comestible
L’occidentalisation de l’alimentation
mondiale est généralement associée à
la consommation croissante de graisses
animales. Pourtant, la transition nutritionnelle
dans les pays en développement commence
typiquement par de fortes augmentations
de la production intérieure et des
importations de graines oléagineuses et
d’huiles végétales, plutôt que de viande
et de lait. Les principales huiles végétales
incluent l’huile de soja, de tournesol, de
colza, de palme et d’arachide. A l’exception
de l’huile d’arachide, la disponibilité de
chacune de ces huiles à l’échelle mondiale
a pratiquement triplé entre 1961 et 1990.
Ce changement alimentaire spectaculaire
était principalement dû à une forte
augmentation de la consommation de
graisses végétales. En 1990, ces graisses
représentaient une proportion de
calories alimentaires plus grande que
les graisses animales dans les pays dont
les revenus annuels sont inférieurs
à 5 800 USD par habitant. Alors que
l’évolution des prix, de l’offre et de la
consommation de graisses végétales
comestibles touche de la même façon les
pays riches et les pays pauvres, l’impact
net est relativement beaucoup plus
grand dans les pays à faibles revenus.
Edulcorant calorique
Le sucre (saccharose) est le principal
édulcorant au monde. Dans le cadre
de cet article, toutefois, en raison
du large éventail de produits sans
sucre utilisés actuellement, le terme
“édulcorant calorique” est utilisé au
lieu de “sucre ajouté”. Le sirop de maïs
à teneur élevée en fructose constitue
un excellent exemple : cet édulcorant
est utilisé dans toutes les boissons
gazeuses non sucrées artificiellement
produites en masse aux Etats-Unis.
La tendance générale montre une forte
augmentation de la consommation
d’édulcorants caloriques à travers le
monde. En moyenne, chaque habitant
en a consommé 306 kcal par jour en
2000, soit environ 30 % de plus qu’en
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1962 ; et ils ont également représenté
une grande partie du total des calories
et hydrates de carbones consommés.
Aliments d’origine animale
La révolution autour des aliments d’origine
animale s’explique par l’augmentation
de la demande et de la production de
viande, de poisson et de lait. La plus
grande augmentation de la demande se
passe dans les pays à faibles revenus. Les
pays en développement produiront
63 % de la viande et 50 % du lait produits
en 2020. La transformation du marché
des céréales pour servir l’alimentation
animale est un phénomène mondial.
Cela conduit également à la dégradation
des ressources naturelles, à des
augmentations rapides des importations
de céréales destinées à l’alimentation des
animaux, à la concentration rapide de la
production et de la consommation et à
des changements sociaux significatifs.
La transformation des
marchés des céréales pour
l’alimentation animale
conduit à la dégradation
des ressources naturelles
et à des changements
sociaux significatifs.
Baisse critique de
l’activité physique
Il y a eu à travers le monde un
bouleversement important de l’activité
physique, depuis les populations utilisant
des outils simples pour travailler la
terre jusqu’aux employés travaillant
sur un ordinateur dans un bureau. En
effet, plusieurs changements au niveau
de l’activité physique sont liés et se
produisent en même temps. Par exemple,
la mutation des activités impliquant
une forte dépense d’énergie comme
l’agriculture, le travail minier et forestier
vers le secteur des services et activités
sédentaires. La réduction des dépenses
d’énergie au sein d’une profession, associée à
d’autres moyens de transport et une activité
réduite pendant les heures de loisirs, sont
également des changements importants.
Alors que la proportion d’adultes participant
à une activité physique énergique a diminué,
dans les zones rurales certains adultes ont
au contraire une activité physique plus
intense. Par exemple, une plus grande
proportion de femmes en milieu rural sont
impliquées dans des tâches demandant
plus d’énergie. Par contre, on observe
une faible diminution de la proportion
d’hommes du milieu rural réalisant des
tâches impliquant un effort léger.
En Chine, 14 % des ménages ont fait
l’acquisition d’un véhicule motorisé entre
1989 et 1997, ce qui a doublé la proportion
d’hommes en surpoids. Le nombre de
propriétaires de téléviseurs a explosé en
Chine, encourageant l’inactivité pendant
les heures de loisirs. A l’heure actuelle,
plus de 97 % des ménages chinois
possèdent au moins un téléviseur.
Conséquences pour l’obésité
L’interaction des changements alimentaires
avec les changements au niveau de l’activité
physique a de lourdes conséquences pour
l’obésité, le diabète et la mortalité ; le plus
lourd fardeau pèse sur les épaules des
populations les plus démunies. Grâce à
une série d’études, nous avons démontré
que dans les pays ayant un revenu national
par habitant d’au moins 2 500 USD, la
probabilité d’augmentation des taux de
surpoids parmi les ménages pauvres, ayant
un faible niveau d’éducation, était plus
grande par rapport aux classes sociales
plus élevées. Cette évolution spectaculaire
à l’échelle mondiale signifie que l’obésité
est devenue un problème de pauvreté.
Nous avons assisté à une forte
augmentation de la consommation
d’édulcorants à travers le monde.
© dpa
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La figure 1 montre la vitesse à laquelle le
surpoids et l’obésité ont émergé en tant
que problèmes majeurs de santé publique
dans un certain nombre de pays à faibles
ou moyens revenus. L’augmentation
annuelle de la prévalence du surpoids et
de l’obésité est d’environ 0,25-0,50 % de
tous les adultes aux Etats-Unis et dans les
pays d’Europe occidentale ; toutefois, les
taux d’augmentation en Asie, en Afrique
du nord et en Amérique latine sont deux
à cinq fois plus élevés qu’aux Etats-Unis.
Que pouvons-nous faire ?
Les récents débats sur la stratégie pour
l’alimentation, l’activité physique et la
santé de l’Organisation Mondiale de la
Santé représentent les premières avancées
pour que le monde reconnaisse ces
problèmes majeurs et que des mesures
soient enfin prises. Des solutions pour les
systèmes de production, de distribution
et de consommation alimentaires et
pour l’environnement physique sont des
facteurs importants à prendre en compte.
Il est essentiel d’identifier des
investissements efficaces et des
réglementations sociales qui amélioreront
les composants du style de vie, réduiront
l’obésité et le diabète et favoriseront
une vie plus saine. Il est particulièrement
important de se concentrer sur les
changements qui touchent les populations
démunies qui ne pourront faire face aux
coûts d’un tel fardeau pour la santé.
L’industrie alimentaire en général doit
encore comprendre que sa collaboration
est primordiale pour améliorer la santé
dans le monde, à travers l’identification
de mesures efficaces pour augmenter
la consommation de fruits, de légumes
et de produits riches en fibres en
remplacement de la consommation
d’édulcorants caloriques et de graisses.
Un potentiel similaire existe pour
encourager l’activité physique. Il existe
de plus en plus d’éléments soulignant
le rôle d’un large éventail de facteurs
environnementaux, allant d’une planification
urbaine favorisant les déplacements à pied
et l’aménagement de routes sûres pour les
piétons et les cyclistes jusqu’à l’organisation
et l’agencement des bâtiments.
L’industrie alimentaire
doit encore comprendre
que sa collaboration est
primordiale pour améliorer
la santé dans le monde.
Multiplier les possibilités d’activité
physique (aménagements publics, comme
des parcs et des centres de loisirs)
et améliorer les options de transport
(pistes cyclables, transport public,
connectivité des routes) augmentera les
niveaux d’activité physique et réduira la
prévalence du surpoids. Inversement, les
obstacles à l’activité physique provoqués
par les résultats d’une planification
urbaine et sociale mal étudiée, comme la
délinquance urbaine et la pollution de l’air,
continueront de réduire l’activité physique
et d’augmenter la prévalence du surpoids.
Figure 1 : Tendance à l’obésité parmi les adultes dans des pays en développement
(augmentation en point de pourcentage annuel de la prévalence). Le PIB est donné en USD.
[ Barry M Popkin
Barry M Popkin est Professeur en Nutrition
auprès de la University of North Carolina,
Chapel Hill, NC, Etats-Unis, où il supervise
la Division d’épidémiologie nutritionnelle
de la School of Public Health. Il est actif
au sein de plusieurs organisations de
conseil scientifique et préside le Nutrition
Transition Committee pour la International
Union for the Nutritional Sciences.
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