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1. Prologue
« Un soleil mort » … Ces quelques mots évoquent une sorte d’idéal romantique, l’image
fascinante d’un monde que l’on croyait à tort éternel, et dont on découvre la fin inéluctable. Peut-
être plus justement qu’aucun autre, le poète Gérard de Nerval (1808-1855) a su trouver les mots
pour exprimer une telle vision, dans un recueil intitulé Les Chimères. En voici un extrait :
L’existence de Gérard de Nerval, immense poète victime de graves crises de démence, a
baigné dans l’onirisme. Publiées en 1854, un an avant qu’on ne le retrouve pendu aux barreaux
d’une grille qui fermait un égout, Les Chimères constituent un ensemble de sonnets emplis de
références ésotériques et mystiques, témoignant aussi bien des expériences vécues par le poète que
de ses interrogations métaphysiques.
« Un soleil mort » … Cette formule pourrait également s’appliquer à l’image du cosmos que
nous offre l’astrophysique moderne. Loin d’être le domaine immuable et parfait qu’imaginaient les
Anciens, nous le savons maintenant en perpétuelle évolution : les étoiles naissent, vivent, et
meurent ; l’Univers lui-même évolue ! La fin d’une étoile suffisamment massive, nous le verrons
bientôt, s’accompagne inéluctablement d’un effondrement sur elle-même. Cet effondrement
conduira ce qui était autrefois un soleil vers un autre état : celui d’une naine blanche, d’une étoile à
neutrons, ou encore d’une entité aux propriétés défiant tant l’imagination que les lois physiques
actuelles, un trou noir. Nous tenterons de résumer dans le présent ouvrage les connaissances
aujourd’hui acquises sur ces objets, ainsi que les preuves, de plus en plus nombreuses
quoiqu’indirectes, de leur existence. Notre fil conducteur sera l’extrait des Chimères cité plus haut,
dont les vers semblent décrire – bien qu’il s’agisse d’une coïncidence –cette étrangeté cosmique que
nous nommons trou noir.
« L’Univers mourant », détail du
frontispice de Jérusalem (1820) par
Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés,
Aussi loin que la vie, en ses veines fécondes,
Répand des sables d’or et des flots argentés :
Partout le sol désert côtoyé par des ondes,
Des tourbillons confus d’océans agités...
Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,
Mais nul esprit n’existe en ces immensités.
En cherchant l’œil de Dieu, je n’ai vu qu’une orbite
Vaste, noire et sans fond, d’où la nuit qui l’habite
Rayonne sur le monde et s’épaissit toujours ;
Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,