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PHARMACEUTIQUES - FÉVRIER 2008
Encore petite, elle a tout des promesses d’une
grande. Gilead pourrait très bientôt coiffer
au poteau quelques géants de l’industrie pharma-
ceutique. Il est déjà devenu un leader en virolo-
gie, spéciali dans les traitements contre le VIH, avec
Truvada®, dont les ventes ont atteint la bagatelle de 1,6
milliard de dollars en 2007. A son actif : la découverte du
médicament vedette anti-grippe Tamiflu®, commercialisé
par Roche. Sa croissance a de quoi donner le vertige :
son chiffre d’affaires a progressé l’an dernier de 40 %,
après une envolée de 49 % en 2006. Et ce n’est sans doute
pas ni. Après avoir franchi la barre des quatre milliards
de dollars l’an passé, ses ventes pourraient cette fois-ci
atteindre un nouveau record de cinq milliards en 2008.
Cette ex-startup californienne jouesormais dans la
cour des grands.
Acquisitions stratégiques
A la différence de bon nombre de sociétés
de biopharmacie, Gilead possède de nom-
breux produits déjà commercialisés sur
le marché. Au nombre de 11, ils appar-
tiennent essentiellement au domaine
de la virologie, mais également de l’hé-
patite B (Hepsera®) et des mycoses sys-
témiques (AmBisome®). Sans compter
plusieurs antiviraux que développe ac-
tuellement la firme américaine. En 2006,
une nouvelle étape a é franchie. Gilead a
procédé à deux acquisitions stratégiques : Myo-
gen et Corus Pharma, ce qui lui a permis de se diversifier
dans un nouveau domaine thérapeutique (ndlr : le res-
piratoire). Ce leader de la virologie veut étendre ses do-
maines de prédilection au respiratoire, mais également au
cardiovasculaire. Trop spécialisé, il ne pourrait pas conti-
nuer à se développer au même rythme dans le futur. Pour
autant, pas question de se développer à tout va, dans les
vaccins prophylactiques ou thérapeutiques par exemple.
La stratégie du labora-
toire reste focalisée sur
ses trois domaines thé-
rapeutiques.
Numéro quatre aux
USA
Le succès est au rendez
vous pour la société âgée
de vingt ans tout juste. C’est
aujourd’hui le numéro quatre
de la biotechnologie américaine en
chiffre d’affaires et la troisième capita-
lisation boursière, derrière Amgen et Ge-
nentech. Pour autant, ses dirigeants ne sont
pas intéressés par les classements mondiaux. Ils
ne veulent pas céder aux sirènes de la consolidation.
Pas question donc de procéder à une acquisition de
grande taille, même si des rachats ponctuels de
molécules ou de technologies n’est pas exclu,
si l’opportunité se présente. En cela, Gi-
lead se démarque de certains de ses pairs.
« Notre société est tournée vers la science
et non vers le développement commer-
cial. C’est une différence essentielle vis-à-
vis d’autres entreprises de biotechnologie
ou laboratoires pharmaceutiques. Certes,
nous souhaitons bien vendre nos produits,
mais notre marketing est davantage orienté
vers l’innovation. Ainsi, tous nos produits déjà sur
le marché ou en développement présentent des innova-
tions sur le plan scientifique. L’un de nos objectifs est
d’accroître notre avance thérapeutique. En outre, nous
sommes très attentifs aux besoins des patients sur un plan
médical », explique Paul Carter, senior vice-président de
Gilead. La priorité est donc donnée au développement
interne. La société s’appuie sa propre recherche, avec
quatre centres tous basés aux Etats-Unis. En 2007, Gi-
Une « small pharma »
à fort potentiel
La firme de biopharmacie californienne connaît une
croissance à faire pâlir d’envie bon nombre de ses pairs.
Le succès de cette ex-startup est bien parti pour durer.
Priorité au
développement
interne
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FÉVRIER 2008 - PHARMACEUTIQUES
Gilead Un labo au crible
lead a consacré 14 % de son chiffre d’affaires à la R&D.
La réussite est là. jà, deux blockbusters sont nés de
son département recherche, un traitement contre le VIH
Truvad et Tamiflu®. Une belle performance pour une
société d’une taille encore modeste. Une autre orien-
tation a été choisie pour poursuivre son expan-
sion : nouer des alliances avec des firmes de
biotechnologie ou des grands groupes
pharmaceutiques. C’est un volet
important de sa stratégie. Paul
Carter donne un bon exemple
de collaboration entre trois
sociétés. « Atripla® est un
traitement contre le sida
en une prise par jour,
qui peut être utilisé
seul ou en combi-
naison avec d’autres
antirétroviraux. En
fait, c’est la com-
binaison de notre
antiviral Truvada®
et du Sustiva® de
BMS. Nous colla-
borons aussi avec
Merck & Co sur
ce produit. C’est
le type d’alliances
que nous pourrons
renouveler à l’avenir,
même si elles ne sont
pas toujours simples à
gérer », précise le vice-
président, qui se félicite
d’ailleurs de la bonne visibilité
dont bénéficie le pipeline.
Un blockbuster en 2008
Gilead a déjà pavé la voie pour pérenniser
sa croissance. De nombreux lancements sont en
cours ou planiés à court terme. Ainsi le médicament
contre l’hypertension artérielle Letairi vient d’être mis
sur le marché américain tandis qu’un traitement de la
mucoviscidose sera bientôt commerciali de part et
d’autre de l’Atlantique. Surtout, le médicament anti-
VIH Atripla®, fraîchement commercialisé, a vu ses ven-
tes atteindre les 900 millions de dollars en 2007. Il est
promis à un avenir radieux. Les analystes nanciers de
Morgan Stanley prévoit qu’il deviendra un blockbuster
en 2008, avec des ventes esties à 1,43 milliard de
dollars.
Pour autant, le succès ne monte pas à la tête de Gilead.
La socté, qui a déjà commencé à rivaliser avec les plus
grands, garde les pieds sur terre. Ainsi, contrairement
à certaines « big pharma », sa structure na pas suivi le
même rythme que son chiffre d’affaires. Ainsi, a-t-elle
conservé une structure les coûts sont duits, et qui
colle aux besoins du marché. Son objectif est d’exter-
naliser sa production, pour aliser des économies sans
pour autant se départir d’une grande exigence de qua-
lité. Cette démarche, qui vise à augmenter au maximum
l’efficaci, a contribué à la constitution de beaux profits
de 2007. Aps une perte en 2006, le sultat de Gilead
est ainsi l’an passé sorti du rouge pour atteindre 1,62
milliard de dollars. Et ce n’est pas ni. Pour 2008, les
analystes financiers s’attendent à une bonne cuvée. Le
néfice devrait donc avoisiner 1,83 milliard de dollars,
puis passer, en 2009, la barre des deux milliards de
dollars. Parmi les sources de revenues, les royalties ont
progres l’an pas de 13 % à 497 millions de dollars.
Lessentiel provient des redevances pour le Tami, issu
de la recherche de Gilead. Si les ventes de ce produit
alies par son partenaire suisse Roche, ont atteint la
bagatelle de 2,08 milliards de francs suisses l’an passé,
elles devraient chuter cette année. Conséquence : les
royalties touchées par Gilead devraient fondre comme
neige au soleil. En effet, Roche pvoit un net recul des
ventes du Tamiflu®, les stocks liées à la pandémie ayant
déjà été constitués. C’est la seule incertitude qui pour-
rait affecter les résultats de Gilead, estime la commu-
nauté financière.
Le reste des fondamentaux de la rme américaine fait
preuve de la plus grande robustesse. Ce n’est donc pas un
hasard si bon nombre de rants pbiscitent cette forte
croissance qui se reflète dans une valorisation consé-
quente. Ainsi de nombreux fonds détiennent une part
significative du capital comme Fidelity (6,8 %) ou en-
core Axa (5,31 %). Introduit en Bourse en 1992, le titre
a connu une ascension fulgurante. Le groupe pèse déjà
43 milliards de dollars en Bourse, soit presqu’autant que
BMS (47,5 Mds $). Pour autant, la belle histoire bour-
sière n’est sans doute pas termie. Toujours positif sur
le titre, Lehman Brothers vient de rehausser son objectif
de cours de 45 à 54 dollars. De même, Morgan Stanley
recommande l’achat de la valeur en visant un cours de
55 dollars à un horizon de douze mois. De quoi donner
encore de belles perspectives de gain en Bourse. n
Christine Colmont
COURS DE GILEAD SCIENCES
(à New York, en dollars)
2007200620052004200320022001200019991998
10
20
30
40
50
2,39 $
Le 1.1.1998
43,15 $
Le 29.01.2008
Source : Datastream.
DR
SITE CORPORATE
DE GILEAD À
FOSTER CITY
(CALIFORNIE).
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PHARMACEUTIQUES - FÉVRIER 2008
Vous êtes devenus la troisième firme de biotech-
nologie américaine. Gilead est-elle encore une
société de biotech ou une biopharmaceutique ?
Créée en 1987, Gilead vient de fêter son 20 ème an-
niversaire. Au départ, c’était une société de recherche
aux revenus très faibles et uniquement focalisée sur son
pipeline. Ce nest qu’il y a six ans quelle a ritablement
commencé à dégager une capacité d’autofinancement éle-
vée (cash flow positif ). Gilead s’est ensuite transformée
en socié commerciale, s’est dotée de forces de vente,
que nous avons recrutées essentiellement auprès de l’in-
dustrie biopharmaceutique. Nous voulons continuer à
bâtir ces capacités commerciales dans le monde entier.
Quels sont vos objectifs dans votre domaine thérapeu-
tique principal, la virologie ?
Pour l’heure, nous sommes focalisés sur les traitements
du VIH et de l’hépatite. Or, ces pathologies sont encore
mal soignées. En Europe et aux Etats-Unis, seules 50 %
des personnes atteintes du VIH sont traitées. Et parmi les
porteurs du virus en Europe, on estime quune personne
sur trois vivant avec le VIH ne soupçonne pas quelle est
infectée. Un des volets de notre stratégie est de traiter plus
en amont les patients touchés par le virus du VIH, en amé-
liorant notamment le diagnostic. Ce nest pas seulement
important pour la santé de chaque patient, mais aussi pour
les systèmes de santé dans leur ensemble pour le contrôle
de cette maladie.
Envisagez-vous de réaliser une acquisition majeure ?
Nous ne cherchons pas à acquérir une autre société et
sagissant d’une éventuelle fusion, nous n’avons pas l’in-
tention, actuellement, de nous rapprocher d’une grande
société. En revanche, nous menons une veille sur le mar-
ché en vue dacquérir des molécules ou des composés, pour
Paul Carter, senior vice-president
Gilead veut rester
en adéquation, avec
son marché
Après son succès fulgurant dans la virologie,
la firme biopharmaceutique américaine
se diversifie dans le cardiovasculaire
et le respiratoire. Un développement
essentiellement basé sur la recherche
interne, mais qui pourrait être accéléré
par de nouvelles alliances.
PAUL CARTER,
SENIOR VICE-PRE-
SIDENT, MISE SUR
LA VIROLOGIE, LE
CARDIOVASCULAIRE
ET LE RESPIRATOIRE.
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FÉVRIER 2008 - PHARMACEUTIQUES
renforcer notre portefeuille de molécules. Nous sommes
convaincus dans notre propre capacité à travailler seul, en
nous appuyant sur notre propre R&D, dont l’excellente
qualité nest plus à démontrer.
Prévoyez-vous de diversifier vos domaines thé-
rapeutiques ?
Nous ne voulons pas bâtir une société
entièrement focalisée sur un seul domaine
thérapeutique. C’est la raison pour la-
quelle nous avons souhaité nous diversi-
fier. Nous avons organisé notre recherche
autour de trois domaines thérapeutiques :
la virologie (VIH, hépatite, papillomavi-
rus), le cardiovasculaire et le respiratoire.
Nos produits sont issus, pour la plupart,
de notre recherche interne. Aujourd’hui, nous
dépensons un demi-million de dollars en R&D,
ce qui représente 1 % du budget mondial total investi
en la matière par la pharma. Nous sommes tout à fait
conscients que 99 % de la recherche se fait en dehors de
Gilead. D’où notre intérêt pour des produits se trouvant
à un stade très précoce de développement, découverts par
d’autres laboratoires, et que nous pourrions co-dévelop-
per pour renforcer nos trois domaines thérapeutiques.
Pour l’heure, notre activité reste encore très orientée vers
la virologie, en particulier les traitements du sida, sur-
tout si l’on tient compte de nos accords de licence. Ainsi,
75 % de notre chiffre d’affaires sont réalisés dans le do-
maine du VIH. Lun de nos fis est de nouer de nouvelles
alliances pour continuer à nous développer rapidement.
Quels sont les prochains lancements de produits
prévus ?
Letairis®, indiqué dans le traitement de l’hyperten-
sion arrielle, a été lanavec succès aux Etats-Unis en
juin 2007. Egalement dans le respiratoire, nous prépa-
rons le lancement d’une molécule très prometteuse pour
traiter la mucoviscidose, aux Etats-Unis pour le troisiè-
me trimestre 2008 et en Europe pour le deuxième tri-
mestre. Par ailleurs, nous venons de lancer Atripla® au
Canada ainsi qu’au Royaume-Uni, en Allemagne et en
Autriche. Et nous pensons qu’il le sera dans les autres
pays européens au cours des douze prochains mois. En
France, nous attendons encore l’approbation de la Com-
mission de la Transparence. Par ailleurs, nous comptons
lancer un médicament contre l’hépatite B, dans lequel
nous nourrissons de grands espoirs, en Europe à la fin
du deuxième trimestre 2008. Ce produit, très bien to-
léré, offre un avantage indéniable pour les patients, sous
traitement de longue durée. Ensuite, une molécule pour
l’hypertension, actuellement en phase III. Enfin, nous
avons mis au point une nouvelle classe d’antiviraux
VIH que nous anticipons être en phase III de dévelop-
pement d’ici au deuxième trimestre 2008. Parallèle-
ment, nous développons aujourd’hui plusieurs molécu-
les dans l’hépatite, le papillomavirus et la bronchiatis.
Comment s’explique la forte amélioration de votre
rentabilité ?
Nous maîtrisons fortement nos dépenses, ce qui contri-
bue à l’amélioration de nos résultats. Notre structure de
management est réduite et notre force de vente est limitée
mais très efficace, car orientée uniquement vers les -
decins spécialistes, ce qui nous permet de réagir très vite
et d’améliorer la prise de décision rapidement. Nous
restons organisés comme une petite sociéde
biotechnologie qui contrôle fortement ses
coûts. Le secret du succès de Gilead réside
aussi dans sa forte adéquation avec son
marché. Nous sommes sûrs que nous
avons mis en place la meilleure orga-
nisation. Début 2007, notre capitalisa-
tion boursière approche les 45 milliards
de dollars alors que nous ne sommes que
4 000 personnes. A titre de comparaison,
Bristol Myers Squibb valait 51 milliards de
dollars en Bourse et possède 43 000 employés.
Que pensez-vous de l’attractivité de la France ?
C’est notre deuxième marc mondial après les
Etats-Unis. Gilead est présent dans l’Hexagone depuis
1996. Chaque mois, 25 000 patients y reçoivent notre
traitement contre le VIH, Truvada® et 9 000 patients
Viread®. Un grand nombre est par ailleurs sous trai-
tement Hepsera® contre l’hépatite B. Nous commer-
cialisons également un antifongique majeur contre les
infections fongiques vères. En France, nos effectifs se
montent à une centaine de personnes. Nos essais clini-
ques et notre développement sont menés notamment
avec des institutions académiques et des organismes de
recherche étatiques comme l’Agence nationale de re-
cherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). n
Les traitements du
VIH représentent
75 % du CA
Gilead Un labo au crible
Gilead et l’accès au médicament dans
les pays en voie de développement.
« Nous ne recherchons pas à gagner de l’argent sur
les licences accordées aux génériqueurs installés
dans les pays en développement. Nous essayons de
faire accéder le plus grand nombre de personnes à
notre médecine. Les royalties demandées aux fir-
mes indiennes sont très faibles et ne couvrent que
les coûts administratifs. Nous avons également des
accords de licence avec des sociétés sud-africaines.
Nous nous sommes engagés à faciliter l’accès aux
traitements des malades dans les pays en voie de
développement. Nous avons mis en place un pro-
gramme substantiel d’accès aux médicaments contre
le sida dans les pays les revenus sont insuffisants
pour prendre en charge le coût de tels traitements.
Et dans ceux la situation économique est fragile,
nous réduisons les prix et ne réalisons aucun bénéfice.
Au total, nous avons d’ailleurs identifié 97 pays
les fabricants indiens de génériques sont autorisés à
vendre sans restriction de prix ou objectif de prix. » .
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