L'ISLAM POLITIQUE ÉGYPTIEN
Tewfik Aclimandos
L'Harmattan | Confluences Méditerranée
2010/4 - N°75
pages 167 à 179
ISSN 1148-2664
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2010-4-page-167.htm
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Pour citer cet article :
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Aclimandos Tewfik , « L'islam politique égyptien » ,
Confluences Méditerranée, 2010/4 N°75, p. 167-179. DOI : 10.3917/come.075.0167
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Dossier Culture Notes de lecture
Tewfik Aclimandos
Docteur d’Etat de l’IEP de Paris, chercheur au Collège de France,
spécialiste de l’histoire égyptienne. Prépare une biographie de Nasser.
Au vingtième siècle, l’islam politique s’est progressivement
affirmé en Egypte au point de devenir aujourd’hui
un puissant courant de la vie politique du pays.
Pour autant, cette sensibilité est loin d’être monolitihique :
jihadistes, salafistes et frères musulmans se partagent
désormais l’espace de cette mouvance. Cet article revient
sur les évolutions de l’islam politique égyptien et sur
le processus de différenciation qui l’affecte. Il cherche
également à appréhender la vigueur des différents secteurs
de la mouvance islamiste.
L
’islam politique se définit lui-même comme un projet d’instau-
ration du « gouvernement se fondant sur le Coran» ou d’un
« gouvernement de Dieu ». Par cela, il entend deux choses
que l’on peut distinguer :
– D’une part, la reconnaissance du Coran, des hadîths et des valeurs
qu’ils promeuvent comme Norme Suprême, Origine fondatrice, Fin
dernière, et Idée régulatrice de la société et de son régime politique.
Pour juger/jauger la réalité de cette reconnaissance, un critère est
adopté : l’application des dispositions de la sharî’a, laquelle est, à leurs
yeux, un « dispositif » totalisant disant le droit, définissant la morale et
l’éthique, et régissant la politique. Bien sûr, le corollaire à cela est que,
selon ce projet, le gouvernement actuel, quoi qu’il dise, ne reconnaît
pas cette norme ou ne la reconnaît pas assez.
– D’autre part, l’islamisation des codes, des pratiques, des discours,
de l’espace public, autant que faire se peut. Dit autrement, le projet
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Egypte : l’éclipse
est celui d’un régime politique autre, et, en attendant sa réalisation, il
entend participer à l’édiction des normes régissant le comportement
en société et à la transformation des-dits comportements.
L’origine du mouvement
C’est un (ce sont des) projet(s) révolutionnaire(s), utopique(s), et
conservateur(s). Il est né dans les années 20 et 30, en réaction à la dis-
parition du Califat (l’institution politique associée, dans l’imaginaire,
au « gouvernement de l’islam »), disparition construite comme le point
culminant d’un processus de sécularisation commencé au début du
XIXe siècle, qui a fait disparaître ou qui a marginalisé, un à un, plu-
sieurs « marqueurs » du-dit gouvernement de l’islam. L’éducation, la
justice, l’édiction de la norme, la codification juridique ont été retirées
aux « hommes de religion », l’égalité des citoyens reconnue, quelle
que soit leur confession, les corporations démantelées. La libération,
lente, relative, mais réelle, de la femme égyptienne et l’instauration
d’un débat intellectuel n’hésitant pas à examiner les fondements de la
religion complètent le tableau contre lequel l’islam politique a réagi.
Intellectuellement, le principal père de ce projet dans la région est
Rashîd Rida
1 un disciple du grand réformateur Muhammad ‘Abduh
2,
qui a perverti son enseignement
3. Socialement, son incarnation a été
la Confrérie des frères musulmans, fondée en 1928 en Egypte par un
jeune instituteur, Hasan al Bannà. Ce projet a assez vite été populaire
tant il a surfé sur le malaise général face à ce qui était perçu comme
une occidentalisation, sur la conscience du caractère inacceptable de
certains traits de la société égyptienne, sur un souci de justice et d’au-
thenticité. Et, plus négativement, sur le ressentiment, le fanatisme et la
xénophobie, alimentés par l’occupation britannique, l’émergence de
la question de Palestine et la présence de communautés non musul-
manes supposées (à tort ou à raison) choyées par les régimes en place
et perçues comme exploitant la population
4. Plus généralement, on
peut dire que, par plusieurs aspects, cette confrérie ressemble, jusqu’en
1954, aux mouvements européens de droite antiparlementaire. Un
chef charismatique et autoritaire (jusqu’en 1949) rassemble des élé-
ments très disparates, unis par un sentiment diffus, qui est que la
société n’est pas assez musulmane, qu’elle doit être homogénéisée, et
que les formes traditionnelles de religiosité populaire sont trop souvent
une école de passivité et de soumission à un ordre inacceptable. Contre
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Dossier Culture Notes de lecture
les-dites formes, il faut réhabiliter le combat pour Dieu, le jihâd, et dif-
fuser une culture de participation pour la défense des valeurs centrales
de la société.
La Confrérie choisit de croiser le fer, par des moyens violents, avec
la Monarchie, puis avec le nouveau régime mis en place par le mou-
vement des officiers libres en 1952. La conséquence est la succession
de trois vagues de répression (1948/9, 1954, 1965) et son interdiction
(1948, 1954). Ces terribles épreuves – emprisonnement et tortures
des militants – susciteront à la fois un appel à la modération, par ceux
qui n’approuvaient pas le recours à la violence, et, au contraire, un
appel à la radicalisation. Sayyid Qutb, le principal intellectuel de la
mouvance 5, systématise et radicalise l’islam politique, et lui donne
enfin une théorie. La structure de cette dernière est similaire à celle
du léninisme (l’histoire a un sens, un penseur le découvre, une avant-
garde accomplit l’utopie). Par contre, elle ne fait pas l’unanimité dans
les rangs et certains dirigeants des Frères lui sont immédiatement hos-
tiles 6. En effet, cette théorie affirme que toute société n’appliquant pas
la sharî’a, et partant reconnaissant aux hommes le droit de légiférer, est
« jâhilite », car elle nie la Souveraineté de Dieu et lui retire un des
attributs, celui de faire les lois. La jâhiliyya est l’état d’ignorance anté-
islamique. La terrible accusation d’apostasie (crime qui mérite la peine
de mort) n’est plus loin.
Pendant que les Frères souffrent en prison, dans les années cin-
quante et soixante, plusieurs évolutions vont transformer l’Egypte en
terreau propice pour la nouvelle théorie qutbienne, en tout cas pout
une réislamisation de la société.
D’une part, les orientations socialistes de Nasser et son rapproche-
ment avec l’URSS indisposent une partie influente de l’opinion. Ces
choix doivent donc être équilibrés par une plus grande « dose de reli-
gion » et par une légitimation religieuse, afin de ne pas prêter le flanc
à l’accusation d’athéisme. Le système éducatif, mais aussi, pendant
quelques années, le parti unique, sont confiés aux membres les plus
religieux et les plus conservateurs de l’élite dirigeante.
D’autre part, la guerre de 1967 est un traumatisme majeur.
Entre autres séquelles, les armées arabes sont détruites, le Sinaï, la
Cisjordanie, le Golan et Jérusalem, troisième lieu saint de l’Islam,
sont occupés. Les régimes progressistes se couvrent de ridicule. Tous
les témoignages dont nous disposons montrent un retour en force de
la pratique religieuse (prière et jeune, par exemple), consécutif à la
défaite, construite comme une sanction divine.
L’islam politique égyptien
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En outre, quand Sâdât prend le pouvoir (1970-81), suite à la mort
de Nasser, il renverse les alliances, se rapprochant des Etats-Unis mais
surtout de l’Arabie Saoudite. Les premiers doivent l’aider à recouvrer
le Sinaï et les seconds, entre autres, accueillent des millions de tra-
vailleurs égyptiens. Si ceux-ci fournissent un ballon d’oxygène à l’éco-
nomie égyptienne, ils adoptent les habitudes des pays d’accueil et sont
fortement marqués par leur conception de l’islam, autrement dit par
le wahabisme et par un certain rigorisme, qu’ils ramèneront en Egypte
en rentrant.
Enfin, à l’intérieur, le nouveau président, lui-même très croyant,
fait libérer les Frères Musulmans, tolère les multiples associations
islamiques ou islamistes qui bourgeonnent dans les universités, en fait
créer d’autres, et s’allie avec tous ces acteurs pour « islamiser » (à coups
de « prédicateurs » mais aussi de bâton) les bastions du gauchisme que
sont les universités. La foi de Sâdât devient une source de légitimité et
l’Etat « islamise » diverses facettes de son comportement.
Les années 70 sont donc celles de l’émergence (ou du retour sur
le devant de la scène) de l’islam politique, mais aussi de la mise en
œuvre d’une réislamisation de la société par une multitude d’acteurs
(y compris les militants de l’islam politique). Ces acteurs peuvent être
des hommes politiques, des ulémas, des entrepreneurs religieux (des
croyants se découvrant une vocation de prêcheurs), des militants,
mais aussi des intellectuels dont parmi eux, plusieurs transfuges de la
gauche. Leurs mobiles, approches et démarches sont différents, mais,
rompus à la réflexion conceptuelle, ils joueront un rôle important
dans les débats sur et quelques fois au sein du mouvement. Les plus
respectés sont Târiq al Bishrî et ‘Adil Husayn
7. Le premier a tenté de
concilier islamisme et démocratie, islamisme et conceptions modernes
de la citoyenneté, le second a essayé de « gauchiser » l’islamisme et de
lui donner un potentiel révolutionnaire ralliant les défavorisés…
Les chemins se séparent
Jusqu’à 1977, le mouvement est plus ou moins uni, malgré sa plu-
ralité. Mais cela ne dure pas. D’une part, sa victoire totale contre la
gauche 8 lui fait perdre un ennemi et un motif de rassemblement.
D’autre part, ses relations avec le régime se détériorent : Sâdât fait
la paix avec Israël et les islamistes réalisent que l’islamisation par le
régime ne dépassera pas un certain seuil. Ils se divisent ainsi sur les
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