D. Pringuey et al.S28
Un nouvel enjeu
De fait, l’importance pathoplastique des épisodes initiaux,
pour être notable au plan des modications souvent désas-
treuses des paramètres psycho-sociaux, se manifeste clai-
rement au niveau d’altérations lésionnelles pour partie
dénitives qui touchent les zones anatomiques du cerveau
profond, siège de la régulation de l’humeur et des fonc-
tions neurocognitives de base.
Par ailleurs, la question des thérapeutiques dédiées au
premier épisode dépressif de la maladie bipolaire renforce
les perspectives particulières de l’approche de la dépres-
sion bipolaire en général, ouvrant à de nouvelles dimen-
sions de la clinique quand l’épisode dépressif majeur est
modié, masqué parce que souvent co-morbide ou requé-
rant une bonne connaissance de la phase pré-morbide,
appelant de nouvelles options thérapeutiques comportant
l’utilisation de la lamotrigine [1], de l’olanzapine [18] ou
l’adjonction à un antidépresseur d’aripiprazole [10], propo-
sant de nouvelles modalités thérapeutiques comme la sug-
gestion de traitements à « hyper-court terme » [7] où l’on
suggère d’optimiser les stratégies dans des séquences tem-
porelles dénies, et introduisant à de nouvelles stratégies
de prise en charge visant la préparation du traitement au
long cours.
Ces nouveautés dans le traitement de la dépression
bipolaire imposent aussi de nouvelles contraintes de sur-
veillance au plan biologique comme en clinique dans la pré-
vention du risque suicidaire, et relancent l’importance du
travail sur l’observance souvent mise à mal dans le contexte
bipolaire pour des motifs divers, tels la recherche par le
patient de l’excitation, une réponse thérapeutique insuf-
sante, une préférence pour les antidépresseurs qui s’avè-
rent moins stigmatisants, tout comme les effets délétères
de trop fréquents changements thérapeutiques. Ceci est
d’autant plus important quand on sait que la dépression
dominera l’évolution bipolaire.
En préalable aux recommandations, comme le propose
Chantal Henry [5] et les experts du domaine, il convient de
préserver une place centrale au patient dans la prise en
charge, relativement à l’information sur la maladie et à
l’éducation au traitement, comme dans sa participation à
la reconstitution anamnestique dans la recherche d’anté-
cédents thymiques, de symptômes résiduels, des antécé-
dents familiaux de pathologies associées, et lorsqu’on
effectue le bilan des traitements antérieurs. Enn, il
conviendra dans l’établissement du traitement de prendre
en compte des préférences du patient.
Caractérisation préthérapeutique de
la dépression bipolaire et de sa typologie
C’est sur son contexte clinique qu’un premier épisode
dépressif est qualié de bipolaire, sur l’anamnèse d’un épi-
sode thymique hypomaniaque, maniaque ou mixte, ou du
fait du repérage d’une hypomanie « sous le seuil » préala-
ble associant impulsivité, extraversion, conits interper-
sonnels récurrents, ou d’une cyclothymie prémorbide.
C’est aussi parfois la présence d’antécédents psychia-
triques tels un trouble décitaire de l’attention, l’anam-
nèse de difcultés comportementales avant ou au cours de
l’adolescence, la consommation de substances toxiques ou
un trouble anxieux, voire une époque dépressive sub-syn-
dromique, qui y conduisent. Il est aussi nécessaire d’envi-
sager ce cadre nosologique du fait d’antécédents familiaux
et notamment de trouble bipolaire chez un parent du
1er degré, ou de troubles de l’humeur sur plusieurs généra-
tions.
La symptomatologie de la dépression de ce cadre mérite
aussi d’être qualiée dans sa caractérisation clinique où
prévalent traditionnellement ralentissement moteur, sensi-
bilité au rejet, hypersomnie, prise de poids, avec souvent
une note mixte, où sont notées de fréquentes comorbidités
telles des abus de substances, des troubles anxieux, et où
sont rencontrés des aléas thérapeutiques tels l’absence de
réponse à un traitement antidépresseur, la non adhérence
médicamenteuse, les effets confondants des polymédica-
tions, les effets délétères des prises en charge « exoti-
ques ».
L’expression symptomatique de la dépression bipolaire
se distribue également entre deux pôles cliniques distincts
au plan émotionnel [4], et opposant une variété clinique
standard de l’épisode dépressif majeur, hypo-réactif au
plan émotionnel, ralenti, inhibé d’une part, et une forme
atypique, hyper-réactive au plan émotionnel, comportant
des périodes d’hypomanie dysphorique, avec labilité de
l’humeur, irritabilité, voire une symptomatologie à carac-
tère psychotique, catatonique, résistante.
Cette typologie « dimensionnelle » de la dépression
bipolaire établie selon le niveau de ralentissement et la
réactivité émotionnelle se voit conrmée par l’intérêt thé-
rapeutique démontré des antidépresseurs dans le cas
a-réactif et des antipsychotiques dans la forme hyper-réac-
tive [4], ce qui suggère de privilégier le repérage de la
réactivité émotionnelle comme indicateur thérapeutique
opérationnel dans la dépression bipolaire. Pour sa part, la
distinction ultérieure entre bipolaire I et bipolaire II tien-
dra surtout à l’importance dans l’évolution de l’expression
dépressive et au moindre risque de virage maniaque sous
antidépresseur dans la bipolaire II.
L’équation thérapeutique
L’équation logique « dépression égale traitement antidé-
presseur » n’est pas ici vériée et l’utilisation prudente
d’un antidépresseur, si elle n’est pas indiquée de façon sys-
tématique pour divers motifs, n’est le plus souvent préco-
nisée qu’en combinaison avec un thymorégulateur du fait
du risque de virage maniaque, d’hypomanie, d’état mixte,
voire d’accentuation du risque suicidaire [19]. Les résultats
des essais cliniques effectués dans la dépression bipolaire
valent tout spécialement pour le premier épisode notam-
ment dans l’objectif princeps d’obtenir une rémission
totale des symptômes dans les meilleurs délais.
Les méta-analyses portant sur l’étude de l’action sur
l’humeur dans les essais contrôlés d’antidépresseurs ont