Douleur et schizophrénie : mythe et réalité 299
•une composante sensoridiscriminative, permettant de
décoder la qualité de la source nociceptive (brûlure,
décharges électriques...), son intensité, ses caractéris-
tiques spatiales et temporelles ;
•une composante motivoaffective, conférant à la dou-
leur sa tonalité désagréable et pouvant se prolonger vers
des états émotionnels tels que le stress, l’anxiété ou la
dépression ;
•une composante cognitive, correspondant aux processus
mentaux capables d’influencer la perception de la douleur
et les comportements induits :
◦le processus d’attention et de diversion de l’attention,
◦les interprétations et valeurs attribuées à la douleur,
◦les anticipations,
◦les références à des expériences douloureuses anté-
rieures ;
•une composante comportementale, correspondant
aux manifestations, verbales et non verbales, obser-
vables chez un sujet douloureux (plainte, positions
antalgiques...). Ces manifestations sont influencées
par les apprentissages antérieurs, par l’environnement
familial et ethnoculturel.
Facteurs influenc¸ant le ressenti de la douleur
La perception de la douleur peut être influencée à la fois par
des facteurs transitoires, tels que l’état cognitif ou émotion-
nel, et par des facteurs stables, tels que la personnalité ou
le milieu socioculturel.
Douleur et attention
Miron et al. [37] et Willer [44] ont montré que pour un
niveau de stimulation identique, diriger son attention vers la
douleur augmentait l’intensité perc¸ue et le niveau de désa-
grément. Il semble que le fait de focaliser son attention
sur un stimulus douloureux influencerait plus la perception
de la douleur que certains phénomènes affectifs, comme
l’anxiété ou le stress [4]. De plus, Melzack et Wall [35] ont
montré que les techniques de distraction, comme écouter de
la musique ou se concentrer sur une tâche, augmentaient la
tolérance à la douleur lorsque celle-ci était constante ou
s’intensifiait lentement.
Douleur, stress et émotion
Selon Willer [45], le stress aigu augmenterait le seuil de dou-
leur. La comparaison de deux groupes de sujets, l’un plongé
dans une situation d’anxiété élevée et l’autre dans une
situation d’attention dirigée vers le stimulus douloureux,
a montré que l’anxiété aiguë était génératrice d’analgésie
et que l’attention dirigée vers le stimulus provoquait une
hyperalgésie. Dans une autre expérience, un effet cumula-
tif de la répétition de «périodes stressantes »a été mis en
évidence : une élévation progressive des seuils douloureux
et du réflexe nociceptif avait lieu après des stress répéti-
tifs, atteignant une valeur de 45 % supérieure aux valeurs
initiales [46]. Appelé l’analgésie induite par le stress (stress-
induced analgesia [SIA]), ce phénomène se produit quand
les individus sont exposés à des stresseurs incontrôlables
ou inévitables. Des mécanismes en partie endorphiniques
seraient responsables de cette diminution de la douleur
engendrée par l’anxiété généralisée et le stress. Dans une
étude originale, Zachariae et al. [48] ont induit sous hyp-
nose des émotions chez des sujets et étudié les potentiels
évoqués lors d’une stimulation douloureuse provoquée par
un laser. Les réponses corticales à la stimulation douloureuse
étaient diminuées pendant la colère et augmentées pendant
l’induction dépressive. De plus, les sujets rapportaient avoir
ressenti davantage la douleur dans un état dépressif, que
sous la colère où cette douleur était diminuée voir inhibée.
Des phénomènes transitoires affectifs et attentionnels sont
donc impliqués dans la perception douloureuse. En outre, le
sentiment de contrôle face à la douleur influence le ressenti
et l’angoisse. Ainsi, en informant le sujet qu’il contrôle le
stimulus générateur de douleur, l’angoisse face au stimu-
lus est diminuée et la perception de la douleur est moins
importante [21].
Douleur et milieu socioculturel
Cedraschi et al. [11] ont montré l’impact des facteurs socio-
culturels sur la perception de la douleur et la réponse à
cette douleur. De plus, les croyances et les représentations
de la douleur influencent le comportement de l’individu
face à la douleur. Ainsi, selon Kleinman et al. [25],le
comportement-maladie serait «une expérience normative
gouvernée par des règles culturelles », avec ses symptômes
«socialement acceptables ». Zborowski [49] a comparé trois
groupes ethniques aux États-Unis : des Américains d’origine
italienne, juive ou protestante, implantés de longue date
aux États-Unis. Les familles protestantes américaines
montraient un stoïcisme marqué et privilégiaient la solitude
et le repli sur soi, alors que les Américains juifs ou italiens
présentaient une réaction émotionnelle très forte. Beecher
[4] a montré la différence de ressenti de lésions identiques
entre les soldats et les civils due à l’influence de la signifi-
cation accordée à celle-ci : positive pour les militaires (vie
sauve, fin des risques du combat, bonne considération du
milieu social), ils réclamaient moins d’analgésiques que les
civils pour lesquels la signification était négative (perte
d’emploi, pertes financières, désinsertion sociale, etc.). La
représentation spécifique du sujet de la douleur dépend
donc des normes culturelles de son groupe. Cependant, des
limites méthodologiques diminuent la portée de ces résul-
tats et ces différences observées concernent uniquement
la douleur exprimée. Lichstein et Sackett [29] ont montré,
sur les animaux, l’influence des premières expériences
sur le comportement adulte face à la douleur. Les jeunes
animaux, isolés au début de leur vie, ne pouvaient pas attri-
buer de signification aux stimuli nocifs de l’environnement :
ils manifestaient moins d’excitation émotionnelle ou de
comportement de recul que leurs congénères. Chez
l’homme, Engel [15] a souligné l’importance de
l’environnement familial et des expériences précoces
dans la prédisposition des patients à souffrir. Ces patients
auraient plus fréquemment des membres de leur famille
souffrant de douleur chronique ou de dépression, seraient
plus souvent issus de familles nombreuses et auraient
vécu des deuils précoces, des maltraitances physiques ou
morales, ou un abandon. L’attitude parentale vis-à-vis de la