314 Éditorial
Ainsi les volontaires franc¸ais en 1792, au début des
guerres de la Révolution, chantaient ce jeune soldat aux
cheveux rouges, un peu niais, chanson qui devint extrême-
ment populaire sous l’Empire. Tous les enfants connaissent
cette comptine : «Ah ! ah ! ah !! ! Oui, vraiment, Cadet Rous-
selle est bon enfant ».
Cadet Rousselle a bien existé : Guillaume Rousselle ou
Roussel, dit Cadet Rousselle, né à Orgelet dans le Jura
le 30 avril 1743 et mort à Auxerre le 28 janvier 1807.
Le livre de Pierre Pinsseau, en 1945, en fait la biogra-
phie. Domestique et laquais puis clerc d’huissier, il est
jovial bon vivant et excentrique, mais jouit de la sym-
pathie de ses concitoyens. Hypomane sans doute ! Sa
ville d’Auxerre lui a érigé une pittoresque statue. Gas-
pard de Chenu, Auxerrois lui aussi, écrivit en 1792 la
fameuse chanson que les volontaires auxerrois empor-
tèrent avec eux à l’armée et qui devint la chanson
de l’armée du Nord. Ce fut la Marseillaise des Auxer-
rois.
Akiskal a raison quand il rappelle que huit caractères
diagnostiques pour un état maniaque, et moins encore
pour une hypomanie, c’est bien insuffisant pour éta-
blir un diagnostic de bipolarité. Curieusement si l’axe
II du DSM-IV nous propose des personnalités schizoïdes,
schizothymiques ou paranoïaques pour le spectre schi-
zophrénique, il n’y a rien d’équivalent (pour l’instant)
pour le spectre bipolaire maniaco-dépressif, depuis que
la cyclothymie est passée sur l’axe I. En réalité, la
plupart des cliniciens tiennent compte depuis longtemps
de certains indicateurs comportementaux, ce que Akiskal
appelle le «type d’activation comportementale », et sur-
tout de l’histoire de vie du patient pour leur évaluation
clinique. Les symptômes thymiques ici et maintenant sont
en eux-mêmes insuffisants. Le contact, le type de présen-
tation, l’habillement, des détails frappants tels que les
tatouages, les piercings, les couleurs, les décorations, les
habits, les couleurs, le discours et le timbre de la voix
ont leur importance. Enfin, la couleur rouge doit attirer
l’attention.
Le syndrome de Cadet Rousselle (la règle de
trois)
Les jeunes enfants franc¸ais connaissent donc bien la chan-
son : Cadet Rousselle avait trois maisons et tout chez lui
allait par trois. Il était certainement bipolaire ! Pour le
maître de San Diego, avoir été marié trois fois, avoir trois
autos, trois maisons, et si l’on est american citizen parler
trois langues ou plus, vous classent certainement dans le
groupe des bipolaires.
Voici schématiquement résumée comment se présente
l’akiskalienne règle de trois pour les troubles bipolaires
type II :
•des antécédents de trois états dépressifs majeurs
(EDM) ;
•les trois mariages ratés ;
•les trois traitements antidépresseurs sans résultat ;
•les trois apparentés ayant souffert d’EDM ;
•les trois générations souffrant de troubles affectifs ;
•l’éminence dans trois domaines ;
•trois jobs simultanés ;
•la maîtrise de trois langues (États-Unis) ;
•trois professions exercées ;
•trois troubles anxieux comorbides ;
•axe II : trois personnalités comorbides (histrionique, psy-
chopathique, limite) ;
•une rêverie diurne plus énergie plus abilité thymique
[3] ;
•l’amour de la flamboyance et des couleurs vives ;
•des abus toxicomaniaques pour trois substances ;
•des impulsions de trois types différents ;
•trois rendez-vous (amoureux) simultanés (dating).
D’autres éléments s’ajoutent à ces traits de person-
nalité et de comportement : polyglottisme, éminence,
accomplissement créatif, instabilité professionnelle, alcool,
toxicomanie, mariages multiples, sexualité avec interludes
homosexuels (ils sont doublement gay !), impulsivité, flam-
boyance (amour du rouge). La bipolarité, c’est le rouge et
le noir !
Pour autant, ces triplomanes devront-ils recevoir des
médicaments réputés thymorégulateurs [4,5,6] ? Trois livres
récents font l’éloge de l’hypomanie : Jamison [11], Gart-
ner [8], Whybrow [15]. Avantage ou handicap? Privilège ou
pathologie ?
Références
[1] Akiskal HS. Searching for behavioural indicators of bipolar II in
patients presenting with major depressive episodes: the ‘‘red
sign,’’ the ‘‘rule of three’’ and other biographic signs of tem-
peramental extravagance, activation and hypomania. J Affect
Disord 2005;84:279—90.
[2] Akiskal HS, Maser JD, Zeller PJ, et al. Switching form unipo-
lar to bipolar II. An 11 years prospective study of clinical and
temperament predictors in 559 patients. Arch Gen Psychiatry
1995;52:114—23.
[3] Akiskal HS, Walker RD, Punzantian VR, et al. Bipolar outcome
in the course of depressive illness 1983;5:115—28.
[4] Bourgeois ML. Les médicaments thymorégulateurs, un mythe
pharmacologique ? Encéphale 2005;31:109—11.
[5] Bourgeois ML. Manie et dépression, comprendre et soigner le
trouble bipolaire. Paris: Odile Jacob ed; 2007.
[6] Bourgeois ML, Martinez B, Degeilh B, et al. Les facteurs pré-
dictifs de la bipolarisation des troubles dépressifs. Encéphale
1988;14:353—7.
[7] Bourgeois ML, Verdoux H, Peyre F, et al. Indices et facteurs
prédictifs de bipolarité dans les états dépressifs. Étude de
219 patients hospitalisés pour dépression ». Ann Medico Psychol
1996;154(10):577—88.
[8] Gartner J. The Hypomanic edge. New York: Simon et Schuster;
2005.
[9] Goodwin FK, Jamison KR.Manic depressive illness, 1, 2nd ed.
Oxford: Univesity Press; 2007.
[10] Hirschfeld RMA, Holtzer C, Calabrese J, et al. Validity of the
Mood Disorder Questionnaire : a general population study. Am
J Psychiatry 2003, 160-178-180.
[11] Jamison KR. Exhuberance, the passion for life. New-York:
Alfred A. Knopf, 2004.
[12] Merikengas KR, Akiskal HS, Angst J, et al. Lifetime and
12-month prevalence of bipolar spectrum disorder in the
National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry
2007;64:543—52.