34 D i s p o n i b l e... j o u r n a l h o m...

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L’Encéphale (2008) 34, 313—315
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
ÉDITORIAL
Le syndrome de Cadet Rousselle, la règle de trois
selon Akiskal dans le spectre bipolaire
maniaco-dépressif
« Cadet Rousselle a trois maisons
Cadet Rousselle a trois habits,
Cadet Rousselle a trois chapeaux,
Cadet Rousselle a trois beaux yeux,
Cadet Rousselle a une épée,
Cadet Rousselle a trois souliers,
Cadet Rousselle a trois cheveux,
Cadet Rousselle a trois garçons,
Cadet Rousselle a trois gros chiens,
Cadet Rousselle a trois beaux chats,
Cadet Rousselle a marié ses trois filles
Cadet Rousselle a trois deniers »
Après Kleist et Leonard, Angst et Perris, Winokur et Clayton, la plupart d’entre nous sommes devenus akiskaliens
[2,5,7,9] et adhérons au modèle clinique du « spectre bipolaire » élargi. Bien qu’une donnée épidémiologique récente
[12,13] restreigne le type bipolaire I à une prévalence sur
la vie de 1 %, le type II à 1,1 % et les formes dites « sous
le seuil » (subthreshold) à 2,4 %, il y a actuellement une
inflation des diagnostics des troubles bipolaires. Pour le
type I, il y a peu de doute quand le sujet a été hospitalisé pour état maniaque, bouffée délirante ou psychotique.
En revanche, avec des critères plus flous, telle la manie
ambulatoire, la frontière entre type I et type II reste incertaine et les pathologies « sous le seuil » ressortissant au
spectre bipolaire élargissent inconsidérément ce « spectre
bipolaire élargi ». Si l’on se fie à l’intuition clinique immédiate, on peut avoir trop facilement le sentiment, précoce
ou non, d’un « tempérament affectif bipolaire » chez de
nombreux patients. Il y a désormais confusion entre la mala-
0013-7006/$ — see front matter © L‘Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.03.005
die bipolaire proprement dite et le tempérament affectif
bipolaire qui, en lui-même, n’est pas une maladie. Toutefois
la question est cruciale, si réellement les états dépressifs, pour un tiers d’entre eux, sont de nature bipolaire
comme l’affirment plusieurs auteurs, Hirschfeld, Bowden et
autres. Compte tenu du dogme actuel de l’inefficacité et
de la nocivité des médicaments antidépresseurs dans les
troubles bipolaires, les critères diagnostiques de ces derniers revêtent une grande importance.
On a proposé des grilles d’indices symptomatiques pour
les quatre tempéraments affectifs (Kraepelin, Akiskal), une
échelle d’hypomanie (Angst), et d’autres instruments tels
que le MDQ [10], les indices de bipolarité de Gary Sachs
(2004) [14] etc.
Dans un article fondé sur l’expérience d’un millier de
patients vus pour état dépressif entre 1977 et 2005, Akiskal
[1] décrit plaisamment les traits fréquemment retrouvés chez des personnes pour lesquelles on suspecte une
hyperréactivité thymo-cognitivo-conative et donc un tempérament bipolaire. Plus de mille patients dépressifs furent
examinés par l’auteur sur trois décennies. Un instrument,
le Mood Clinic Data Questionnaire (MCDQ) employé par la
clinique des troubles de l’humeur à Memphis, a permis « la
systématisation des observations non structurées ». Le diagnostic de trouble bipolaire type II a été indépendamment
confirmé par le repérage d’une hypomanie de deux jours, ou
plus ou bien encore d’une cyclothymie pendant l’évolution
de l’épisode index.
On verra plus bas que chez les personnalités bipolaires tout va par trois : toutes les possessions, toutes
les actions, tous les domaines, tous les talents et les
intérêts du bipolaire sont au moins et le plus souvent supérieurs au chiffre trois. Cette véritable règle
de trois dans la clinique du comportement bipolaire
pourrait recevoir l’appellation de « syndrome de Cadet Rousselle ».
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Ainsi les volontaires français en 1792, au début des
guerres de la Révolution, chantaient ce jeune soldat aux
cheveux rouges, un peu niais, chanson qui devint extrêmement populaire sous l’Empire. Tous les enfants connaissent
cette comptine : « Ah ! ah ! ah !! ! Oui, vraiment, Cadet Rousselle est bon enfant ».
Cadet Rousselle a bien existé : Guillaume Rousselle ou
Roussel, dit Cadet Rousselle, né à Orgelet dans le Jura
le 30 avril 1743 et mort à Auxerre le 28 janvier 1807.
Le livre de Pierre Pinsseau, en 1945, en fait la biographie. Domestique et laquais puis clerc d’huissier, il est
jovial bon vivant et excentrique, mais jouit de la sympathie de ses concitoyens. Hypomane sans doute ! Sa
ville d’Auxerre lui a érigé une pittoresque statue. Gaspard de Chenu, Auxerrois lui aussi, écrivit en 1792 la
fameuse chanson que les volontaires auxerrois emportèrent avec eux à l’armée et qui devint la chanson
de l’armée du Nord. Ce fut la Marseillaise des Auxerrois.
Akiskal a raison quand il rappelle que huit caractères
diagnostiques pour un état maniaque, et moins encore
pour une hypomanie, c’est bien insuffisant pour établir un diagnostic de bipolarité. Curieusement si l’axe
II du DSM-IV nous propose des personnalités schizoïdes,
schizothymiques ou paranoïaques pour le spectre schizophrénique, il n’y a rien d’équivalent (pour l’instant)
pour le spectre bipolaire maniaco-dépressif, depuis que
la cyclothymie est passée sur l’axe I. En réalité, la
plupart des cliniciens tiennent compte depuis longtemps
de certains indicateurs comportementaux, ce que Akiskal
appelle le « type d’activation comportementale », et surtout de l’histoire de vie du patient pour leur évaluation
clinique. Les symptômes thymiques ici et maintenant sont
en eux-mêmes insuffisants. Le contact, le type de présentation, l’habillement, des détails frappants tels que les
tatouages, les piercings, les couleurs, les décorations, les
habits, les couleurs, le discours et le timbre de la voix
ont leur importance. Enfin, la couleur rouge doit attirer
l’attention.
Le syndrome de Cadet Rousselle (la règle de
trois)
Les jeunes enfants français connaissent donc bien la chanson : Cadet Rousselle avait trois maisons et tout chez lui
allait par trois. Il était certainement bipolaire ! Pour le
maître de San Diego, avoir été marié trois fois, avoir trois
autos, trois maisons, et si l’on est american citizen parler
trois langues ou plus, vous classent certainement dans le
groupe des bipolaires.
Voici schématiquement résumée comment se présente
l’akiskalienne règle de trois pour les troubles bipolaires
type II :
• des antécédents de trois états dépressifs majeurs
(EDM) ;
• les trois mariages ratés ;
• les trois traitements antidépresseurs sans résultat ;
• les trois apparentés ayant souffert d’EDM ;
• les trois générations souffrant de troubles affectifs ;
• l’éminence dans trois domaines ;
Éditorial
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trois jobs simultanés ;
la maîtrise de trois langues (États-Unis) ;
trois professions exercées ;
trois troubles anxieux comorbides ;
axe II : trois personnalités comorbides (histrionique, psychopathique, limite) ;
une rêverie diurne plus énergie plus abilité thymique
[3] ;
l’amour de la flamboyance et des couleurs vives ;
des abus toxicomaniaques pour trois substances ;
des impulsions de trois types différents ;
trois rendez-vous (amoureux) simultanés (dating).
D’autres éléments s’ajoutent à ces traits de personnalité et de comportement : polyglottisme, éminence,
accomplissement créatif, instabilité professionnelle, alcool,
toxicomanie, mariages multiples, sexualité avec interludes
homosexuels (ils sont doublement gay !), impulsivité, flamboyance (amour du rouge). La bipolarité, c’est le rouge et
le noir !
Pour autant, ces triplomanes devront-ils recevoir des
médicaments réputés thymorégulateurs [4,5,6] ? Trois livres
récents font l’éloge de l’hypomanie : Jamison [11], Gartner [8], Whybrow [15]. Avantage ou handicap ? Privilège ou
pathologie ?
Références
[1] Akiskal HS. Searching for behavioural indicators of bipolar II in
patients presenting with major depressive episodes: the ‘‘red
sign,’’ the ‘‘rule of three’’ and other biographic signs of temperamental extravagance, activation and hypomania. J Affect
Disord 2005;84:279—90.
[2] Akiskal HS, Maser JD, Zeller PJ, et al. Switching form unipolar to bipolar II. An 11 years prospective study of clinical and
temperament predictors in 559 patients. Arch Gen Psychiatry
1995;52:114—23.
[3] Akiskal HS, Walker RD, Punzantian VR, et al. Bipolar outcome
in the course of depressive illness 1983;5:115—28.
[4] Bourgeois ML. Les médicaments thymorégulateurs, un mythe
pharmacologique ? Encéphale 2005;31:109—11.
[5] Bourgeois ML. Manie et dépression, comprendre et soigner le
trouble bipolaire. Paris: Odile Jacob ed; 2007.
[6] Bourgeois ML, Martinez B, Degeilh B, et al. Les facteurs prédictifs de la bipolarisation des troubles dépressifs. Encéphale
1988;14:353—7.
[7] Bourgeois ML, Verdoux H, Peyre F, et al. Indices et facteurs
prédictifs de bipolarité dans les états dépressifs. Étude de
219 patients hospitalisés pour dépression ». Ann Medico Psychol
1996;154(10):577—88.
[8] Gartner J. The Hypomanic edge. New York: Simon et Schuster;
2005.
[9] Goodwin FK, Jamison KR.Manic depressive illness, 1, 2nd ed.
Oxford: Univesity Press; 2007.
[10] Hirschfeld RMA, Holtzer C, Calabrese J, et al. Validity of the
Mood Disorder Questionnaire : a general population study. Am
J Psychiatry 2003, 160-178-180.
[11] Jamison KR. Exhuberance, the passion for life. New-York:
Alfred A. Knopf, 2004.
[12] Merikengas KR, Akiskal HS, Angst J, et al. Lifetime and
12-month prevalence of bipolar spectrum disorder in the
National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry
2007;64:543—52.
Éditorial
[13] Perälä J, Suvisaari J, Saarmi SI, et al. Lifetime prevalence of
psychotic and bipolar I disorders in a general population. Arch
Gen Psychiatry 2007;64:19—28.
[14] Sachs G. Managing bipolar affective disorder. London: Science
Press; 2004.
[15] Whybrow P. Amercian mania, when more is not enough. WW.
Norton & company; 2005.
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M.-L. Bourgeois ∗
IPSO — CHS Charles-Perrens, université Victor-Segalen,
121, rue de la-Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail :
[email protected]
Disponible sur Internet le 21 juillet 2008
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