LE SYMPTÔME FATIGUE
La fatigue est un symptôme sub-
jectif et sa sensibilité de point de
vue statistique est très élevée.
Ainsi quand quelqu’un se plaint
de fatigue, c’est probablement
qu’il se passe quelque chose.
À l’inverse, c’est un symptôme
qui a une spécificité faible :
l’absence de fatigue n’élimine
pas une maladie grave.
Il n’existe pas d’outil validé
pour « mesurer » la fatigue au
moins en médecine générale.
Les valeurs prédictives posi-
tives et négatives de la fatigue
pour une maladie grave sont
différentes selon la population
soignée. Ceci explique pour-
quoi, quand on interroge un
spécialiste sur la première cau-
se de fatigue il répond : l’insuf-
fisance cardiaque s’il est car-
diologue, la chimiothérapie s’il
est hématologue, la dépression
ou les neuroleptiques s’il est
psychiatre… Tout ceci est lié au
fait que le raisonnement dia-
gnostique est basé sur des cri-
tères de prévalence qui ne sont
pas les mêmes selon les popula-
tions soignées.
La palissade qui se dégage est
qu’en médecine générale, les
maladies bénignes sont fré-
quentes et les maladies graves
sont rares. À l’inverse, à l’hôpi-
tal, les maladies bénignes sont
rares et les maladies graves sont
fréquentes. Pour cette raison les
démarches diagnostiques entre
les milieux de soins sont diffé-
rentes mais pas contradictoires.
En médecine générale, il faut
aller du plus simple (fréquent)
au plus grave (rare) alors que
les hospitaliers vont légitime-
ment du plus grave au plus
simple.
En revenant à la littérature et
en demandant à un interniste
quelles sont les causes fré-
quentes de fatigue il répond le
lupus érythémateux disséminé
ou bien l’arthrite rhumatoïde. Il
se base sur le postulat que tou-
te asthénie prolongée est le
symptôme d’une maladie so-
matique grave jusqu’à preuve
du contraire.
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
En considérant l’épidémiologie
des maladies selon les lieux de
soins on constate qu’à l’hôpital
l’asthénie somatique représen-
te 25 à 40 % des asthénies,
l’asthénie « psychique » 20 à
35 % et l’asthénie « réaction-
nelle », c’est-à-dire l’asthénie
liée à l’environnement ou au
contexte de vie sans signes dé-
pressifs majeurs, 35 à 50 % (1).
La distribution des causes de
fatigue en soins primaires révè-
le que l’asthénie « psychique »
représente 50 % des cas, l’as-
thénie « réactionnelle » 35 %
des cas et l’asthénie liée à une
pathologie somatique sous ja-
cente 15 % des cas (5).
Ce décalage pourrait être expli-
qué par les résultats de l’étude
observationnelle de White KL
en 1961 (6) en 2001 par Green
LA (3). C’est une étude desti-
née à voir ce qui se passe en un
mois dans une population de
1 000 adultes exposés à un
trouble de santé. Les résultats
montrent que 750 sujets ont
perçu un trouble de santé
(maux de tête, traumatisme
bénin…) parmi lesquels le tiers,
soit 250 sujets, ont consulté un
médecin généraliste pour ce
symptôme. Seulement 9
d’entre eux ont été hospitali-
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
Dépressions et âges de la vie
1 ter rue du Midi, 94300 Vincennes
Fatigué(e) ou déprimé(e) ?
D. Pouchain
sés, toutes structures hospita-
lières confondues, 5 ont consul-
té un spécialiste et 1 seul a été
admis dans un centre hospitalo-
universitaire (figure 1). Ceci re-
vient à dire que la formation re-
çue en CHU, porte sur une
population minime par rapport
à l’ensemble de la demande en
matière de soins en population
générale. Les stratégies dia-
gnostiques apprises à la faculté
sont par conséquent relative-
ment inadéquates à celles qui
doivent être mises en œuvre en
soins primaires.
L’étude de la SFMG (4) qui
s’est intéressée aux résultats
de consultation des diagnostics
en soins primaires, a montré
que sur 25 résultats de consul-
tation, 14 sujets sont hyperten-
dus. Si l’on regarde l’ensemble
des facteurs de risque cardio-
vasculaires, on constate qu’ils
représentent 20 % de l’activité
des médecins généralistes. En
s’intéressant à l’activité psy-
chiatrique (anxiété, humeur
dépressive…), on peut déduire
qu’elle représente 15 % de
l’ensemble de l’activité d’un
médecin généraliste (figure 2).
LITTÉRATURE RÉCENTE
La recherche sur Medline s’in-
téressant aux articles publiés
entre le 01/01/05 et le 15/09/07
et utilisant les mots clés : « Fa-
tigue and depression and gene-
ral practice » ne donne qu’une
seule publication qui concernait
une asthénie liée à une intoxi-
cation au mercure en Nouvelle-
Zélande.
Par contre, quand on utilise les
mots clés : « fatigue and de-
pression » on obtient 60 réfé-
rences : 3 concernent le syn-
drome de fatigue chronique,
1 revue générale porte sur la fa-
tigue chez les cancéreux dépri-
més et 1 autre très pharmaco-
logique, un article intitulé
« Management of fatigue in de-
pressed patients ». On trouve
par ailleurs 53 articles parlant
de dépressions liées à des co-
morbidités somatiques. Ainsi,
le thème de la dépression et de
la fatigue sont assez peu explo-
rés en médecine générale en
France et dans le monde.
ASTHÉNIE : DÉMARCHE
DIAGNOSTIQUE
Devant une fatigue apparem-
ment isolée qui persiste plus de
3 semaines, il faut rechercher
D. Pouchain L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 17-20
S 18
Dépressions et âges de la vie
1 000 adultes exposés à un trouble de santé
750 sujets percoivent un trouble de santé
250 sujets consultent un médecin généraliste
9 sujets sont hospitalisés
5 sujets s’adressent à un autre médecin
1 sujet est hospitalisé dans un CHU
FIG. 1. — Résultats observés par Green et al. (3).
0,00
2,00
4,00
6,00
8,00
10,00
12,00
14,00
16,00 25 résultats de consultation = 50 % de la demande de soins
HTA
Vaccination
État fébrile
Hyperlipidémie
Insomnie
Exam. Syst.
État afébrile
Rhinopharyn.
I coronarienne
Arthropathie
Lombalgie
Diabète
Arthrose
Anxiété
Algie
Humeur dépressive
Varices
Plainte abdo.
Constipation
Asthénie
Angine
Jambes lourdes
Bronchite aiguë
To u x
Dépression
Asthme
HTA
FIG. 2. — Prévalence des diagnostics en médecine générale.
des signes somatiques, à l’aide
d’un entretien, de l’examen cli-
nique et parfois examens para-
cliniques. Ces derniers n’ont
pas un intérêt pour le diagnos-
tic d’un trouble psychiatrique
mais permettent d’éliminer des
diagnostics somatiques aussi
bien aux yeux du médecin que
du patient parfois convaincu
d’avoir une maladie somatique.
Il faut s’enquérir du contexte et
des événements de vie. Une
approche plus globale du pa-
tient est ainsi indispensable. Il
faut évaluer la qualité du fonc-
tionnement au travail, dans le
couple, la société…
Le médecin doit explorer systé-
matiquement le champ de la
dépression au cours de l’entre-
tien. On s’intéresse au som-
meil, à l’appétit, à la mémoire,
à la concentration, à l’humeur
mais aussi à la libido, au senti-
ment d’autodévalorisation, à
l’anxiété voire à l’anhédonie.
Le problème qui se pose assez
souvent est de faire la part des
choses en cas de comorbidités :
qu’est ce qui relève du registre
somatique, qu’est ce qui relève
du registre dépressif ? Dans
tous les cas le diagnostic de dé-
pression n’est pas un diagnostic
d’élimination : c’est un dia-
gnostic positif basé sur des
signes positifs.
L’ANNONCE DU DIAGNOSTIC
Elle est facile si le patient est
conscient de son état et de sa
symptomatologie dépressive et
s’il a des antécédents person-
nels d’épisodes antérieurs.
L’annonce est plus délicate en
revanche quand le patient pen-
se qu’il a une maladie soma-
tique alors que le médecin pen-
se qu’il est déprimé. C’est le
cas des patients qui se présen-
tent pour des plaintes soma-
tiques avec une asthénie domi-
nante et qui refusent la réalité
exprimée par le médecin par
peur de la maladie mentale et
de la « folie ».
Dans ce cas le rôle du médecin
est d’amener le patient à chan-
ger de registre en l’aidant à
évoluer de la plainte physique
aux faits psychiques. L’attitude
du médecin est de :
s’intéresser à la vie person-
nelle du patient ;
développer un bon niveau
d’empathie avec lui ;
avoir un contact visuel fré-
quent afin de signifier qu’on est
là et qu’on l’écoute ;
poser des questions ouvertes
telles que « qu’est ce que vous
pensez de… ? » ;
ne pas interrompre trop sou-
vent le patient ;
écouter les plaintes sans les
banaliser c’est-à-dire ne pas éli-
miner systématiquement la
plainte somatique mais la gar-
der en mémoire et s’y référer
en élargissant l’entretien ;
faire un examen clinique
dont la négativité sera d’impor-
tance pour le sujet ; c’est par-
fois vrai aussi pour des exa-
mens complémentaires.
LE TRAITEMENT
MÉDICAMENTEUX
La mise en route d’un traite-
ment médicamenteux est facile
quand le patient et le médecin
sont en accord sur le diagnostic
et l’indication à traiter.
Elle est plus difficile quand le
patient est résistant au dia-
gnostic et donc au traitement.
Cette mise en route peut éga-
lement s’avérer difficile quand
le médecin a tendance à éviter
le diagnostic de dépression, à
ne pas rechercher les symp-
tômes dépressifs ou refuser de
prescrire des antidépresseurs.
Pour palier, au moins partielle-
ment à ces difficultés, un
contrat thérapeutique précisant
la nature du produit, la posolo-
gie et la durée du traitement
avec un travail d’éducation à la
santé est indispensable.
Enfin, la disponibilité du méde-
cin et l’accompagnement pro-
posé au patient sont d’un grand
apport pour une meilleure effi-
cacité de la prise en charge et
une bonne observance théra-
peutique.
LE SYNDROME DE FATIGUE
CHRONIQUE OU
ENCÉPHALOMYÉLITE
MYALGIQUE
Définition
Il est défini par une asthénie
sévère et handicapante au
moins à 50 % du temps depuis
au moins 6 mois. Cette asthé-
nie est augmentée par l’exerci-
ce physique léger et gêne l’ac-
tivité physique et mentale
quotidienne.
Cette asthénie est associée à
des myalgies, des céphalées,
des troubles du sommeil, des
troubles cognitifs et de l’hu-
meur. L’examen somatique et
les examens paracliniques sont
normaux.
Prévalence
La prévalence du syndrome de
fatigue chronique en médecine
générale est très variable selon
L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 17-20 Fatigué(e) ou déprimé(e) ?
S 19
Dépressions et âges de la vie
les études : elle varie de
0,006 % à 3 % (2). Ceci est au
moins partiellement dû à la va-
riabilité des définitions.
Traitement
Les thérapies cognitives et
comportementales et l’entraî-
nement physique progressif
semblent être efficaces pour le
traitement du syndrome de fa-
tigue chronique.
Les antidépresseurs, les corti-
coïdes, le magnésium en intra-
musculaire, la nicotinamide,
les suppléments diététiques,
l’homéopathie, l’huile d’onagre
et les repos prolongés ont été
testés, l’efficacité… Appré-
ciée.
Le traitement par galantamine
est probablement inefficace
ainsi que celui par l’immuno-
thérapie avec un rapport
risque/bénéfice défavorable.
CONCLUSION
L’asthénie est une plainte fré-
quente en médecine générale.
Ceci justifie la nécessité d’ex-
plorer systématiquement les
étiologies psychiques, contex-
tuelles et somatiques.
En médecine générale, le dia-
gnostic d’épisode dépressif ca-
ractérisé n’est pas un diagnos-
tic d’exclusion, mais un
diagnostic positif basé sur des
critères cliniques.
Enfin, passer de la plainte « as-
thénie » au diagnostic de dé-
pression est un travail à la fois
clinique et relationnel.
Références
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interne. Paris : Maloine 1988 ; 23-29.
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Med. 2001 Jun 28 ; 344 (26) : 2018-20, N Engl
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4. Société Française de Médecine générale. Docu-
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58 : 1-84. www.sfmg.org
5. Société Française de Médecine générale. Observa-
toire de la Médecine Générale. www.sfmg.org
6. White KL
et al.
The ecology of medical care. BMJ
1961 ; 265 : 885-92.
D. Pouchain L’Encéphale (2008) Hors-série 2, 17-20
S 20
Dépressions et âges de la vie
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