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L’Encéphale (2011) 37, 26-28
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Thérapeutique des troubles psycho-comportementaux
de la personne âgée
T. Gallarda
Centre d’évaluation des troubles psychiques et du vieillissement, hôpital Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France
La question des troubles psycho-comportementaux de la
personne âgée est un domaine très vaste, mais le terme
même de « troubles psycho-comportementaux », par son
manque de spécificité, pourrait être abandonné, car il tend
à masquer une ignorance sur des phénomènes très complexes. Historiquement, l’International Psychogeriatric
Association a proposé, dans les années 1990, la catégorie
sémiologique des « signes et symptômes psychologiques et
comportementaux de la démence – maladie d’Alzheimer et
apparentées », dans le but d’insister sur l’existence, chez
les patients atteints de démence, de symptômes authentiquement psychiatriques, et non uniquement mnésiques.
Certaines cliniques spécifiques, dans ce champ, mériteraient d’être étudiées de manière plus complète, comme
celle de l’apathie et de la désinhibition, celle des symptômes psychotiques et de la désafférentation sensorielle, et
celle encore des syndromes anxio-dépressifs et de la démotivation à poursuivre l’existence à l’extrémité de la vie.
est conduit à l’Infirmerie de la Préfecture pour harcèlement
sur la personne d’une infirmière qui lui a donné des soins.
À l’examen, on retrouve un mauvais état général, des
pathologies somatiques multiples, un ralentissement. Le
délire est de type interprétatif et intuitif sur la personne
d’une infirmière, qu’il affirme avoir vu se livrer à des pratiques sexuelles dans le cadre de son travail. Il présente
donc des préoccupations sexuelles, et apparaît franchement projectif. Il a écrit des courriers rapportant « ces
faits », qu’il menace de diffuser. Il n’y a pas d’éléments
franchement érotomaniaques retrouvés, mais il aurait harcelé une jeune femme il y a 5 ans.
L’épisode actuel évolue depuis 2 ans. Le médecin
évoque des troubles cognitifs éventuels « à explorer », et la
nécessité de soins ne pouvant s’organiser que sous protection initiale.
Histoire de la maladie
Cas clinique
Mr R., 74 ans, est hospitalisé d’office en janvier 2011 à
l’hôpital Sainte-Anne suite à un signalement au commissariat du quartier par un psychiatre d’un hôpital général voisin, où il reçoit des soins réguliers depuis 2006 pour une
néoplasie prostatique et vésicale.
Le motif de l’hospitalisation relevé sur le certificat initial
d’hospitalisation d’office est un délire chronique, et le patient
Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected] (T. Gallarda).
© L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés.
Le premier contact avec le commissariat du 15e arrondissement remonte à 2006, suite à une plainte du voisinage
étayée par une photographie du patient se masturbant
devant sa fenêtre ; à cette même période, il aurait également « harcelé » une voisine (les circonstances précises
demeurent floues).
Depuis environ deux ans, il adresserait de multiples
courriers à diverses administrations pour dénoncer une
infirmière qui avait en charge ses soins urologiques hebdo-
Thérapeutique des troubles psycho-comportementaux de la personne âgée
madaires à l’hôpital, accusant cette dernière d’avoir eu
des rapports sexuels avec d’autres membres du personnel
(peu ou prou, l’ensemble de la communauté médicale…),
sur son lieu de travail.
Une plainte de l’hôpital a été déposée en août 2009,
assortie d’une décision de relais des soins urologiques dans
un autre établissement.
Le patient est convoqué le jour de l’hospitalisation au
commissariat du 15e arrondissement, suite à un courrier
insultant et diffamant envoyé au mari de la dite infirmière.
Il est transféré à l’Infirmerie de la Préfecture, qui l’adresse
dans le service de l’hôpital Sainte-Anne en hospitalisation
d’office, après avoir constaté un délire interprétatif et
intuitif, des préoccupations sexuelles, un discours projectif
et des troubles cognitifs « éventuels ».
Le patient, mi désabusé, mi goguenard, résume sa prise
en charge à l’hôpital voisin par : « Le patient est sur le
trottoir, l’infirmière dans le lit… ».
L’éclosion délirante semble être concomitante de la
mise en place du protocole thérapeutique d’instillations
vésicales. Lors de la 1re séance, alors qu’il est accompagné
de son épouse, le patient est invité par une infirmière à
gagner seul la salle de soins. Pour diminuer l’anxiété de ce
dernier, dans le récit qu’en fait le patient, l’infirmière
invite l’épouse à attendre dans la salle adjacente en lui
demandant si elle n’est pas jalouse de confier un mari qui
« porte si bien son âge »…
À l’issue des séances de soin programmées auprès de
cette infirmière, une interprétation délirante se solde par
l’émergence brutale d’un comportement et un discours
inappropriés (« elle s’était mise dans une position qui signifiait qu’elle attendait un baiser sur la bouche de ma part,
j’ai refusé »), qui suscite l’effroi de la soignante. Celle-ci
sollicite le personnel présent pour venir à son secours.
Éléments biographiques
Mr R. est un ancien mécanicien qualifié dans la métallurgie. Il
est retraité depuis l’âge de 60 ans, après 2 ans de chômage.
Il est marié depuis une cinquantaine d’années : selon le
patient, le mariage lui aurait été imposé par ses parents et
sa belle-famille en raison de la grossesse de sa future
épouse. Il rapporte régulièrement – sous le sceau du secret
et sans retenir ses larmes – qu’il n’a eu aucune vie intime,
ni avec son épouse, ni avec aucune autre femme depuis
plus de 45 ans.
Il a un frère aîné de 83 ans, avec lequel il a rompu tout
contact, et deux fils, dont le plus jeune n’a plus aucun
contact avec ses parents depuis 7 ans, en raison, semblet-il, des alcoolisations paternelles.
Antécédents médico-chirurgicaux
Pour son carcinome prostatique et vésical, le patient a
donc été pris en charge depuis novembre 2006 dans deux
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hôpitaux, avec une hormonothérapie (PSA indétectables
en 2011), des instillations endovésicales de BCG, une résection endoscopique en janvier 2011, et une indication à une
ablation vésicale avec stomie en raison d’une incontinence
urinaire permanente.
Il a de nombreux autres antécédents somatiques : un
ulcère gastrique traité médicalement ; une sténose iliaque
externe droite, traitée par un anticoagulant qui sera interrompu pour la chirurgie vésicale ; une hypertension artérielle ; une dyslipidémie ; une goutte chronique ; et enfin
une fracture traumatique de l’humérus gauche en
juillet 2010, avec séquelles fonctionnelles.
Antécédents psychiatriques
Il est possible, en explorant l’histoire de ce patient, de
trouver une notion de « dépressivité ancienne », exprimée
par des troubles du sommeil On relève également une surconsommation de benzodiazépines, un éthylisme chronique sevré depuis 17 ans, et un tabagisme sevré depuis
7 ans.
Enfin, il a été admis aux urgences en 2000, après avoir
été retrouvé au sol durant une absence de son épouse – avec
un doute sur un geste suicidaire. À l’entrée dans le service,
le patient recevait un traitement à visée hypnotique, avec
deux benzodiazépines et un antidépresseur sédatif.
Il n’existe pas d’antécédents psychiatriques familiaux.
Symptomatologie actuelle
À l’arrivée dans le service, le patient a une présentation
soignée, il est calme et coopérant, orienté. Il évoque sa
situation sans réticence ni complaisance. Il critique le
geste l’ayant conduit dans le service (courrier adressé au
mari de l’infirmière), mais pas son comportement des deux
dernières années : ainsi, il estime justifié d’avoir dénoncé
l’infirmière depuis l’altercation qu’il aurait eue avec elle
et qui a entraîné l’interruption de son suivi médical initial.
Le discours est projectif et banalisant ; on ne retrouve
pas d’éléments d’ordre érotomaniaque.
Il existe une insomnie d’endormissement ancienne avec
abus de benzodiazépines, un ralentissement psychomoteur,
une morosité, sans idées suicidaires actives exprimées mais
avec une conscience partielle du pronostic de sa maladie
urologique.
Examens paracliniques
Une IRM cérébrale réalisée en janvier 2011 montre une
atrophie cortico-sous-corticale diffuse « en rapport avec
l’âge », sans argument en faveur de lésions secondaires.
Le seul bilan cognitif disponible est composé d’un
MMSE à 23/30, et d’une BREF (Batterie Rapide d’Évaluation Frontale) à 15/18, avec diminution de la fluidité
lexicale.
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Évolution
L’état mental reste stable tout au long des 3 semaines de
l’hospitalisation, sans trouble du comportement notable.
La découverte fortuite d’une embolie pulmonaire distale lobaire inférieure droite (scanner thoraco-abdominopelvien) et d’une thrombose veineuse profonde soléaire
gauche impose un transfert en médecine après levée de
l’hospitalisation d’office.
Sur le plan des traitements psychotropes, un sevrage en
benzodiazépines est réalisé, avec introduction d’un antipsychotique atypique (rispéridone 1 mg/j) et poursuite de
la miansérine à visée hypnotique (20 mg/j).
Une évaluation neuropsychologique est envisagée dès
que l’état somatique sera compatible, et à distance du
sevrage en benzodiazépines, avec relais de la prise en
charge sur le CMP de secteur.
Commentaires sur le cas clinique
Cette observation met en lumière les représentations
sociales de la vieillesse : chez ce patient, divers éléments
psychopathologiques caractérisés (dépression, idées suicidaires, idées délirantes…) sont pourtant mis en rapport par
les équipes médicales avec le vieillissement « normal ».
Elle nous confronte également aux représentations sociales
des troubles psychiques de la personne âgée, et, plus
encore, à celles de la sexualité des personnes âgées, représentations marquées par une certaine « désexualisation ».
Ce cas clinique souligne bien que la psychiatrie du sujet
âgé est une clinique de la complexité, avec des intrications
symptomatiques omniprésentes, des comorbidités somatiques multiples, des antécédents psychiatriques à prendre
en compte, de même que la personnalité prémorbide,
l’histoire familiale et conjugale. Entre enfin souvent en jeu
une iatrogénie multifactorielle, à la fois psychotrope et
somatique.
Les parcours de soin et les lieux de soin sont également
à repenser : le cas de ce patient souligne le retard au diagnostic, le retard à la mise en place d’un projet de soins
T. Gallarda
rationnel et personnalisé, les difficultés de mise en œuvre
d’une pluridisciplinarité pourtant incontournable. Il pose
aussi, de manière plus large, le problème de la carence de
structures adaptées pour ces malades « difficiles » : unités
cognitivo-comportementales ? Services de psychiatrie ? Ou
services de psychiatrie de la personne âgée ?
Le cas de Mr R. montre également la nécessité de modalités thérapeutiques ajustées aux spécificités évolutives. La
question du « temps qui reste » est omniprésente : on ne
peut prendre en charge un patient vers la fin de sa vie
comme un sujet jeune.
Sur le plan de la psychopharmacologie gériatrique, le
climat actuel délétère infiltre les prescriptions : or les psychotropes sont une aide incontournable, en particulier les
inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et les antipsychotiques.
Les alternatives non pharmacologiques sont largement
prônées par toutes les instances existantes, mais il est
important d’aborder cette question sans angélisme, en se
confrontant à la réalité du terrain, aussi bien en termes
d’offre de soins que de sémiologie.
Les programmes de formation sont également essentiels, pour permettre de repérer plus précocement les
situations de souffrance psychique chez les patients âgés.
Enfin, les troubles psychiques du sujet âgé soulèvent
des questions éthiques et des débats sociétaux parfois vertigineux. Il s’agira de définir les priorités de santé publique,
d’évaluer les financements possibles, de penser les mutations profondes de la médecine liées au vieillissement de la
population, et de penser le soin des vieillards vulnérables,
ce qui constitue un pari d’humanité.
Conflit d’intérêt
T. Gallarda : essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à
l’étude (Étude Valdoxan pour Servier, Comité scientifique
de l’étude ESTIME pour EISAI) ; interventions ponctuelles :
rapports d’expertise (Expertises mesure de protection des
biens).
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