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RAPPEL DU SUJET
SUJET N°3 : EXPLIQUER LE TEXTE SUIVANT
Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c’est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix
lui-même ; et aussi la façon dont la volont droite, tentée d’abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix.
Quelqu’un veut du fond du cœur servir la vérité parce qu’il comprend qu’il est droit d’aimer la vérité. Cette personne a,
certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est
une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente
de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu’on peut aussi appeler jugement,
est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la
rectitude elle-même, que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c’est à la volonté de
repousser et de choisir selon les données de l’intelligence rationnelle ; c’est dans ce but principalement, en effet, qu’ont
été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C’est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner
cette rectitude n’est soumis à aucune nécessité bien qu’il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort.
Quoiqu’il soit nécessaire, en effet, d’abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant
ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait
rien là où le seul choix de la volonté opère.
ANSELME, De la concorde (XIIème siècle)
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
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LE CORRIGÉ
SUJET 3 : TEXTE DE SAINT ANSELME
1. Présentation du texte
Ce texte de Saint Anselme est très difficile, non pas tant à cause du problème qu’il traite ou des notions qu’il aborde,
mais par sa forme et son style qui le rendent très abstrait, malgré l’exemple qui en est le centre. Il faut donc dépasser
cette abstraction et éviter à tout prix de la reproduire dans le commentaire, pour éviter d’ajouter de la difficulté à la
difficulté, cela demande évidemment une bonne maîtrise de l’expression écrite.
Cependant cette première difficulté peut être aplanie par une bonne connaissance du cours, si les questions de la
liberté, de la raison et de la morale y ont été traitées ensemble (Saint Anselme rejoint en effet certaines thèses de Kant,
par exemple, ou de Saint-Thomas d’Aquin, qui peuvent avoir été abordées en classe).
2. L’idée principale du texte
Ce texte porte sur la question de savoir si la volonté est libre, ou si nous sommes soumis parfois à la nécessité.
L’exemple que sert de support à l’argumentation de l’auteur invite plus précisément encore à examiner les rapports
entre liberté de la volonté, conduite morale, raison et nécessité. La question est de savoir si nous sommes toujours
libres d’agir conformément au bien et à la morale que nous indique la raison, ou si nous pouvons être contraint à agir
mal, ou dans la nécessité d’agir de manière contraire à ce que nous voudrions faire selon la raison et la morale. Saint
Anselme remet en question l’idée communément répandue selon laquelle il y a des situations qui ne nous laissent pas
le choix, et dans lesquelles nous sommes obligés d’agir de manière contraire à notre idée du bien. Dans le texte, la
raison apparaît comme ce qui nous permet de distinguer le juste et l’injuste, le bien et le mal, de telle sorte que notre
volonté puisse agir conformément au bien.
La thèse d’Anselme est donc que la volonté est toujours libre, et que nous avons toujours le choix, y compris dans le
cas le plus extrême ou choisir le bien nous conduirait à perdre la vie.
3. Les notions et concepts clés du texte
La volonté droite : la volonté est la faculté de choisir et de déterminer son action. Elle se distingue du désir,
traditionnellement, au sens où elle est guidée par la raison, et pas seulement par l’imagination, et elle permet de mettre
en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre ses fins. Une volonté droite est donc une volonté orientée vers ce qui
est juste, qui vise ce qui est juste et conforme au bien, et qui s’y tient. Elle s’opposerait alors à une volonté orientée par
l’intérêt personnel immédiat, par exemple.
Le lien entre raison et volonté est présent dans le texte « c’est à la volonté de … choisir selon les données de
l’intelligence rationnelle ». En effet la raison (ou intelligence rationnelle) est la faculté de comprendre, de connaître et de
distinguer le bien du mal mais elle ne détermine pas l’action : c’est la volonté qui choisit ensuite d’agir ou non selon
cette connaissance apportée par la raison.
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L’idée de rectitude de la volonté doit être ainsi comprise comme l’articulation de la raison et de la volonté. Ainsi on peut
comprendre ce passage difficile : « la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre ». On ne
peut comprendre cette phrase qu’en la rapprochant de celle qui la précède : « Cette personne a la volonté droite, et la
rectitude de la volonté ». Il s’agit donc de deux choses distinctes, et on le voit plus clairement quand on l’applique à
l’exemple : « vouloir servir la vérité » (c’est-à-dire ne pas mentir), c’est avoir la volonté droite (« juste », l.1). Par
opposition celui qui aime le mensonge ou qui veut mentir (par calcul, ou par intérêt) a une volonté qui n’est pas droite,
donc qui est injuste.
« Comprendre qu’il est droit d’aimer la vérité », c’est autre chose que d’aimer la vérité sans savoir pourquoi. C’est avoir
une idée, grâce à la raison, de ce qui est juste ou pas, et des raisons pour lesquelles c’est juste ou pas. C’est donc
comprendre la loi, la règle qui permet de définir le droit (rectitude = droiture).
La rectitude de la volonté c’est donc le fait que la volonté se conforme à la règle, à la loi qui permet de définir ce qui est
juste, et qui reste toujours identique.
Attention à l’expression qui introduit le cas particulier étudié par l’auteur : « Arrive une autre personne la menaçant de
mort si elle ne ment ». Cela signifie que cette personne exige que la première mente sous peine de mort. Le choix est
donc le suivant : dire un mensonge et vivre, ou dire la vérité et mourir.
Enfin la notion de nécessité signifie deux choses différentes, qu’il est important de distinguer ici : est nécessaire ce à
quoi on est forcé, soit par contrainte, soit par notre nature. Ainsi la satisfaction des besoins naturels est souvent
assimilée à une nécessité. Et quant on est contraint on dit qu’on n’a pas le choix, comme pour ce qui est nécessaire. En
effet, et c’est le sens le plus rigoureux du mot : ce qui est nécessaire c’est ce qui ne peut pas ne pas être : il est
impossible que ce qui est nécessaire ne se produise pas. (Par exemple il est nécessaire que une certaine cause
entraine un certain effet).
La question de Saint Anselme est de savoir si une menace de mort rend une conduite nécessaire ou pas. Or si je peux
par ma volonté choisir librement la mort, alors un acte injuste, même s’il est forcé par la contrainte, sera toujours un acte
librement consenti, ce qui paraît évidemment très paradoxal. Par exemple un mensonge, même extorqué sous une
menace de mort, reste un mensonge consenti par la volonté : on peut toujours choisir de mourir plutôt que de mentir.
4. La structure du texte
Le texte est construit comme la présentation et l’analyse d’un exemple ; on peut donc légitimement suivre cette
indication :
La première partie (l. 1-7) est l’introduction de l’exemple, qui est aussi une situation problématique, un cas limite, plutôt
qu’une simple illustration.
On peut découper cette première partie en trois moments principaux :
1- les éléments de l’exemple : une volonté droite, un choix libre, et la tentation d’abandonner la rectitude de la volonté.
2- Le cas moral qui sert d’exemple : l’amour de la vérité. On retrouve les éléments : volonté droite et règle morale (il ne
faut pas mentir).
3- La tentation d’abandonner la rectitude : la menace de mort.
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La deuxième partie (l. 7-13) consiste en une argumentation où l’auteur va, à partir de l’exemple, affirmer que ce qui
paraît nécessaire relève en fait de la liberté, et introduire à cette occasion quelques principes qui sont au fondement de
sa thèse.
Cette deuxième partie elle-même se décompose en plusieurs étapes
1- La présentation du choix (mourir ou mentir)
2- Le rôle de la raison :
Anselme affirme ici sans démonstration que :
- La raison perçoit ce qui est juste (l. 9)
- La raison nous enseigne de suivre ce qui est juste au mépris de toute autre considération (la rectitude par amour de la
rectitude, l.10)
- La volonté doit se déterminer selon la raison ainsi définie (l.11).
Il justifie ensuite ce qui précède par l’idée que la raison et la volonté ont été données à l’homme dans ce but. (« C’est
dans ce but en effet », l.12). (On reconnaît ici un argument que Kant reprend : si l’homme a une raison c’est pour lui
permettre d’agir moralement c’est-à-dire de pouvoir agir indépendamment de son intérêt propre, ce que les animaux ne
font jamais). On peut relever ici le fondement téléologique, et même théologique, de la thèse. (La raison et la volonté ont
été données à l’homme dans un but précis. On peut supposer que c’est la volonté divine qui est à l’œuvre).
La dernière partie du texte (l.13-18) est une conclusion (« c’est pourquoi ») à partir des affirmations précédentes : le
choix de l’exemple est libre, parce que s’il est nécessaire de choisir, ce qu’on choisit reste indéterminé : seule la volonté
peut trancher entre la mort et le mensonge.
5. Quelques pistes pour mettre en évidence l’intérêt philosophique
Voici quelques pistes pour critiquer l’argumentation du texte, même si l ‘exercice est difficile. En effet Saint Anselme se
fonde sur des affirmations qui sont très discutables, pas justifiées dans cet extrait, et qui mettent en jeu la totalité de sa
thèse :
Qu’est-ce qui permet de dire que la raison perçoit ce qui est juste ? Si c’est le cas comment expliquer que certains
agissent mal ? Saint Anselme semble penser que c’est la volonté alors qui n’est pas droite. Cela signifie-t-il que l’on
agit mal volontairement ? Saint Anselme s’opposerait alors à l’idée de Platon selon lequel nul ne fait le mal
volontairement. L’articulation entre raison et volonté droite peut être discutée : si la raison est ce qui me permet de
calculer mon intérêt, elle peut aussi bien m’indiquer le mal que le bien.
Qu’est-ce qui permet d’affirmer que la raison nous enseigne que la rectitude doit être préférée à toute autre
considération ? Et qu’il n’y a pas de bonne raison par exemple pour mentir, même conserver la vie ! Cette question
rappelle un débat philosophique très important entre Kant et Benjamin Constant sur la question du droit de mentir
par nécessité. Si par exemple je dois mentir pour protéger un ami d’une injustice : ne suis-je pas dans la nécessité
de mentir ? N’y a-t-il pas des situations ou il serait immoral finalement de choisir la vérité, même si la règle morale
est de ne jamais mentir, et de toujours préférer la vérité ?
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Qu’est-ce qui permet d’affirmer que la raison et la volonté ont été données à l’homme dans un but précis ? Ne
peut-on pas penser que les deux facultés se sont développées en fonction des besoins et des intérêts des
hommes ? C’est le débat philosophique qui oppose finalisme et déterminisme qui sera alors en jeu ici.
Par ailleurs, on pouvait aussi et surtout discuter directement de la thèse sur la liberté de l’homme, et en particulier
sur l’idée qu’on peut toujours choisir, même si le choix met la mort dans la balance. D’un côté, il est vrai que
l’homme est cet être qui peut préférer son devoir à sa vie : on peut le vérifier à de nombreuse reprises dans
l’histoire, et cela permet à chacun de mesurer la totalité de sa responsabilité morale. Ainsi sur ce point on peut
penser à l’existentialisme sartrien, qui bien qu’il n’ait rien de commun par ailleurs avec saint Anselme, affirme
aussi que l’argument de la nécessité ou du déterminisme n’a jamais permis de dégager l’homme de sa
responsabilité, car on a toujours le choix d’accepter ou de refuser la situation dans laquelle on se trouve. Il y a ici
une fausse excuse, une mauvaise foi dirait Sartre à prétendre qu’on a menti par nécessité.
Inversement, cette conception des choses semble ôter toute réalité à la contrainte : l’esclave alors consent
librement à son esclavage sous prétexte qu’il n’a pas choisi de mourir ? Et la posture morale la plus haute serait
toujours sacrificielle. On peut se demander si pour agir on ne doit pas toujours accepter la complexité des situations
réelles qui peuvent exiger des compromis avec la morale. C’est la question du rapport entre morale et politique par
exemple, ou encore une conception plus pragmatique de la morale, où pour agir bien il faut tenir compte de la
situation concrète et des conséquences de nos actes, plutôt que des principes généraux et abstraits comme celui
de l’amour de la vérité.
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