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Endettement extérieur, croissance et pauvreté au Sénégal
Par
Professeur Moustapha KASSE
INTRODUCTION : Dette, croissance et répétition des crises financières
L’emprunt extérieur a pendant longtemps été considéré comme une source de
financement des déficits internes et externes (modèles à doubles déficits de Chenery et
Strout, 1966). Au niveau interne, le déficit renvoie à l’insuffisance de l’épargne intérieure
qui doit financer les besoins d’investissement. Au niveau externe, il s’agit de trouver les
ressources nécessaires au financement du solde déficitaire de la balance courante.
Nombre de pays ont donc recours à l’épargne externe pour couvrir leurs besoins de
consommation et d’investissement. De ce fait, le financement extérieur vient s’ajouter aux
recettes d’exportations pour autoriser des niveaux de dépenses supérieurs aux revenus
réels permanents des économies endettées. Ainsi, le boom des recettes d’exportations
tirées du pétrole a dirigé – au delà même de ces recettes – d’importants flux de capitaux
vers les pays qui en ont bénéficié. Comme le dit l’adage, “ on ne prête qu’aux riches ” !
Jarret et Mahieu [1991] montrent, à travers l’exemple de la Côte-d’Ivoire, que ces apports
de capitaux bénéficient également à des pays rentiers non pétroliers. Les mouvements de
capitaux sont en effet guidés par les variations de taux d’intérêt, qui découlent ellesmêmes de la rareté relative du capital.
L’emprunt extérieur permet ainsi de desserrer certaines contraintes intérieures. Il
donne la possibilité de différer des mesures de politique économique impopulaires, comme
l’augmentation de la pression fiscale. Les mouvements de capitaux sont également
considérés comme des mécanismes de transmission de la croissance à travers la
substitution progressive de l’épargne locale aux flux extérieurs de capitaux. En fait, de
tels modèles s’interrogent sur le niveau d’endettement extérieur compatible avec le taux
de croissance de la production. En d’autres termes, il s’agit de déterminer les conséquences
du financement extérieur sur la croissance et l’équilibre de la balance des paiements. La
réponse la plus ancienne à cette question constitue la “ théorie des stades de la balance
des paiements ” [Cairnes, 1874 ; Bastable, 1899]. Selon elle, les économies passent par
quatre phases successives qui marquent la transformation à terme des pays nouvellement
emprunteurs en pays prêteurs évolués.
-2Tableau : Les quatre stades de la balance des paiements
Situation du pays
Stades de la balance des
paiements
Balance commerciale
Balance des revenus
Balance des capitaux
Balance interne (S - I)
Pays
nouvellement
emprunteur
Négative
Négative
Positive
Négative
Pays emprunteur
évolué
Positive
Fortement
négative
Positive
Positive
Pays
nouvellement
prêteur
Positive
Négative puis
positive
Négative
Positive
Pays prêteur
évolué
Négative
Fortement
positive
Négative
Négative
Note : La balance interne ne comprend que l’épargne domestique sur le revenu intérieur.
Les signes de la balance commerciale et de la balance interne sont forcément identiques, puisque S - I = X - M.
Les modèles tirés de cette théorie reposent donc sur l’hypothèse que le
financement extérieur est destiné à l’investissement productif. En vertu des modèles de
croissance Harrod-Domar, il n’y a pas de substitution entre les
facteurs de
production : l’offre de travail est parfaitement élastique, la croissance ne dépend donc que
de la croissance du stock de capital. Le financement extérieur vient combler le déficit
extérieur (déficit de la balance courante, auquel s’ajoute le service de la dette
extérieure). Ainsi,
les
épargnes
internes
et externes
sont considérées
comme
complémentaires. Or, dans de nombreux cas, la relation négative entre l’épargne interne et
les flux financiers internationaux est démontrée.
Par ailleurs, on suppose que les capitaux extérieurs financent l’investissement
interne. Cette dernière hypothèse ne se vérifie pas toujours. Dans bien des cas, le
financement extérieur est venu combler le déficit budgétaire ; il en est ainsi au Sénégal.
Aussi bien, cela peut signifier qu’il existe des niveaux d’endettement plus ou moins
soutenables. Au-delà d’un certain seuil, les emprunts nouveaux permettent seulement, dans
le meilleur des cas, de rembourser les emprunts passés. Au pire, ils ne permettent même
plus d’assurer le service de la dette. C’est l’effet “ boule de neige ”. Quand le taux
d’intérêt de l’emprunt est supérieur au taux de croissance de l’économie, le poids de la
dette dans le PNB s’accroît indéfiniment. Dès lors, il devient essentiel d’évaluer le niveau
d’endettement que peut supporter une économie. Pour cela, on peut utiliser des critères
simples, tels que les ratios suivants :

Endettement total sur PNB. Si le ratio est inférieur à 30 %, alors – selon le
FMI – le pays est faiblement endetté

.Endettement sur recettes d’exportations de biens et services. Si ce ratio est
inférieur à 165 % – toujours selon le FMI –, le pays n’a pas atteint un niveau
d’endettement inquiétant.
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
Service de la dette sur recettes d’exportations de biens et services. Si le
pays consacre annuellement plus de 30 % de ses recettes d’exportations de
biens et services à rembourser le capital et les intérêts, il est dans une situation
financière difficile. Si le service de la dette absorbe moins de 18 % des recettes
d’exportations, la situation financière a toutes les chances d’être saine.

Service de la dette sur PNB. Ce ratio mesure la part des richesses produites
par un pays qui sera prélevée pour être versée à l’extérieur. Ainsi lorsque le
service dépasse 4 % du PNB et 18 % des recettes d’exportations, l’emprunteur
aura des difficultés à remplir ses obligations.

Charge des intérêts sur recettes d’exportations de biens et services. Ce
ratio n’a de sens que lorsque les pays emprunteurs ne remboursent plus ou
partiellement le capital emprunté. Du fait des rééchelonnements, le service de la
dette se limite aux versements des intérêts ; et si ces versements dépassent
20 % des recettes d’exportation, le pays se trouve dans une situation financière
difficile.
Les crises d’endettement ne sont ni nouvelles ni historiquement localisées dans le
Tiers-monde. Elles sont non seulement récurrentes mais n’admettent pas de solutions
faciles. Des pays aujourd’hui industrialisés ont connu de graves crises financières. Ce fut
le cas des USA entre 1839 et 1843. Sept États cessèrent de payer les intérêts de leur
dette, et deux autres – le Mississipi et la Floride – répudièrent purement et simplement
leurs dettes.
D’autres pays ont bénéficié d’un apport considérable de capitaux étrangers sans que
cela ne se traduise par des progrès significatifs en matière d’industrialisation. C’est le cas
de l’empire ottoman durant la période 1854-1875, qui bénéficia d’un apport important de
capitaux extérieurs à des taux d’intérêts (6 %) relativement élevés pour l’époque. En 1876,
L’État ottoman se déclara en cessation de paiements. Le cas turc n’est pas isolé. En effet,
ce fut aussi celui de l’Égypte et de la Tunisie à partir de 1870, de la Grèce à partir de
1897, du Venezuela à partir de 1903, de St Domingue à partir de 1905. Plus près de nous, à
la fin des années 1980, les États-Unis ont à nouveau atteint des niveaux d’endettement
records. L’Etat et les ménages consommaient au-delà de leurs moyens, tandis que les
recettes d’exportation étaient largement inférieures au coût des importations. Cette
situation n’a pas été sans provoquer des différends importants avec des pays prêteurs et
exportateurs, notamment le Japon, dont l’excédent d’épargne a alors largement été mis à
contribution.
I/ L’endettement du Sénégal est-il soutenable ?
On s’intéresse ici aux trois premiers ratios de soutenabilité de la dette, ce qui ne
signifie pas que le Sénégal ne soit pas entré dans le club des pays endettés bénéficiant
d’un rééchelonnement.
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En ce qui concerne le ratio dette/PNB, il passe de 50,5 en 1980 à 82,3 en 1995. En
1980, ce ratio soulignait déjà le caractère préoccupant de la situation financière. Elle
devient explosive en 1995. En effet, la dette extérieure, en pourcentage du PNB, ne doit
pas excéder 30 %. Au Sénégal, ce ratio dépasse la limite admise depuis 1980. Pire encore,
l’ajustement, dont l’un des objectifs est de permettre le remboursement de la dette
extérieure, a contribué à compromettre la situation financière du pays.
S’agissant du deuxième ratio (dette/recettes d’exportations de biens et services), le
même constat doit être fait. Le pays atteint un niveau d’endettement inquiétant au regard
des normes généralement indiquées par le FMI (165 %). En 1995, le Sénégal culmine à
224,3 %.
Le troisième ratio retenu est le service de la dette/les exportations de biens et
services. D’après celui-là, l’économie est en meilleure posture. En effet, les recettes
d’exportations permettent d’assurer le service de la dette sans que la situation financière
ne se dégrade. On peut même dire que rien ne s’oppose à ce que la situation ne redevienne
saine, toujours relativement à l’opinion des bailleurs de fonds.
On pourrait tout de même signaler les contradictions que soulèvent ces chiffres,
tirés du Rapport sur le développement dans le monde de 1997. En effet, si le volume de la
dette est une contrainte, comment concevoir que le remboursement soit aisé ? Ceci
s’expliquerait par les rééchelonnements de la dette intervenus depuis le milieu des années
1980. Cette situation serait également le fruit des annulations et conversions de dettes.
Elle serait encore censée résulter des effets bénéfiques de la dévaluation du F CFA en
1994. Mais, pour ne retenir que la dévaluation, il n’est pas sûr que ses effets aient été
aussi bénéfiques qu’on veut trop souvent l’admettre. L’hypothèse de départ, c’était que les
exportations devaient tirer la croissance. L’augmentation de la production dans les
industries exportatrices entraînerait un accroissement de la demande de travail et de
biens d’équipement de leur part. Cette augmentation bénéficierait à l’ensemble de
l’économie par effet d’entraînement.
Mais dans les faits, le ratio des exportations par rapport aux importations est
resté stable, avant comme après dévaluation, dans les années 1990 (environ 60 %). La
valeur des exportations a grosso-modo doublé, après dévaluation, tout comme celle des
importations. C’est la conséquence d’un effet-prix et d’un effet volume. Il reste à savoir,
pour chacune des deux augmentations, lequel des deux effets a été le plus important.
S’agissant des exportations, il est clair que l’effet volume a été le plus important,
étant donné la diminution de leur valeur nominale. En revanche, le renchérissement des
importations est probablement beaucoup plus dû au renchérissement de leur valeur qu’à
l’augmentation de leur volume (leur valeur globale a doublé, ce qui constitue sans doute une
conséquence mécanique d’une dévaluation de 50 %).
La signification de tout cela, c’est que le volume des exportations a augmenté, mais
pas suffisamment pour compenser le renchérissement de la valeur des importations. Le
ratio est, en effet, toujours égal à 60 %. Davantage : si M/X est resté constant,
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l’augmentation des volumes respectifs des importations et des exportations s’est traduite
par une détérioration des termes de l’échange. Le solde négatif a donc augmenté.
II/ Endettement extérieur et croissance au Sénégal
L’analyse de l’endettement extérieur sénégalais peut être découpée en trois temps
(Cf. graphique suivant).
La première période, qui va de la fin des années 1970 à 1982, est caractérisée par
des taux de variation de l’encours de la dette exponentiels. L’encours de la dette publique à
moyen et long termes, qui se chiffre à 112 mds de FCFA en 1977, augmente régulièrement
entre cette date et 1982 à des taux de croissance élevés (de 38,15 % en moyenne).
L’encours passe alors à 532 mds de FCFA en 1982. Cette hausse fulgurante est à mettre en
relation avec les déficits pluviométriques, la détérioration des termes de l’échange, la
conjoncture financière internationale favorable des années 1970 (prêts à des taux
concessionnels), ainsi qu’avec la flambée des prix du pétrole. Durant cette période,
l’encours de la dette extérieure rapporté au PIB est de 35 % en moyenne.
La deuxième période, qui va de 1982 à 1985, correspond à la cessation de paiements
du Mexique et à la première demande de rééchelonnement du Sénégal. Elle est marquée par
une baisse relative (- 1,42 %) de l’encours de la dette extérieure.
Le troisième temps, qui se situe entre 1985 et aujourd’hui, correspond à une période de
resserrement des contraintes financières. L’encours de la dette recommence d’abord à
croître relativement vite (mais à des niveaux inférieurs à 10 %). Avec le changement de
parité intervenu en 1994, le taux de variation passe brutalement de 9 à 75 %. Au lendemain
de la dévaluation, l’encours de la dette extérieure est de 1793 mds de FCFA, malgré les
rééchelonnements répétés (leur montant passe de 0,4 en 1980 à 345,2 mds de FCFA en
1996). La multiplication des démarches menées auprès des bailleurs ne permet guère qu’une
élimination des arriérés de paiements intérieurs et extérieurs fin 1995. En effet, à partir
de 1993, l’encours de la dette excède le PIB réel.
Au début de la décennie 1980, la dette bilatérale et les crédits commerciaux
représentent 80 % de la dette extérieure. La France et les pays de l’Organisation de
coopération et de développement économique (OCDE) jouent un rôle moteur, en ce qui
concerne les prêts à leurs ex-colonies. Les crédits commerciaux restent actifs jusqu’au
milieu des années 1980. À partir de cette date, les crédits commerciaux comme l’aide
bilatérale des pays occidentaux s’estompent pour laisser la place à l’aide bilatérale des
pays arabes et, surtout, aux crédits et dons multilatéraux. La dette rééchelonnée fait
alors son apparition, stigmatisant les difficultés de paiement du Sénégal. En effet, avec
l’application des PAS, la Banque mondiale devient prépondérante dans le volume de
l’emprunt international. Depuis 1989, les crédits multilatéraux et la dette rééchelonnée
représentent en moyenne 70 % de l’encours de la dette extérieure du Sénégal. La dette
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extérieure est alors façonnée par le recul de la coopération bilatérale et la disparition des
crédits commerciaux au profit de la coopération multilatérale et de la dette rééchelonnée.
Graphique : Encours de l’endettement extérieur sur le PIB réel entre 1977 et 1995
1,40
1,20
1,00
0,80
Encours/Pib
0,60
0,40
0,20
0,00
1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995
Année
Cette période est celle de l’ajustement. En échange de conditionnalités, les
institutions financières internationales accordent un certain nombre de facilités qui vont
progressivement limiter la croissance de l’encours.
Tableau : Agrégats des entrées et des sorties nettes de capitaux (en millions de dollars US)
Entrées nettes de capitaux
Emprunts à LT
IDE
Dons privés
Aide (hors coop tech.)
Mémo : Aide coop. Tech
Transferts nets
Intérêts sur dette à LT
Transferts sur IDE
Source : Banque Mondiale, 1998
1980
263
171
15
0
78
122
161
67
34
1989
512
242
0
0
270
1342
335
149
28
1990
691
81
57
0
553
180
574
84
33
1991
365
26
-8
0
347
172
234
92
39
1992
572
220
21
0
331
201
483
47
42
1993
395
97
-1
0
299
180
335
23
37
1994
551
8
67
0
476
164
458
55
38
1995
419
16
32
0
371
189
322
57
40
1996
406
17
49
0
340
160
308
64
34
A partir de 1989-1990, le pays a contracté de moins en moins de dettes, et ses
ressources nettes en devises proviennent, dans leur grande majorité, de l'aide
multilatérale sous forme de dons. Il s’agit des contreparties offertes par les institutions
financières internationales en échange de l’ajustement. L’encours n’a donc pas diminué – il
est resté sensiblement équivalent –, alors même que le Sénégal a bénéficié d’importants
transferts nets à titre gratuit. De fait, cela signifie que la dépendance du pays vis-à-vis de
l’extérieur (que l’ajustement était censé réduire), s’est encore accrue. Cette situation
s’explique aisément dès lors que l’on prend connaissance de l’évolution de l’indice de la
production.
Tableau : PNB du Sénégal (en millions de dollars US)
Année
PNB
1980
2916
1989
4424
1990
5521
1991
5346
1992
3925
1993
3978
1994
3740
1995
4713
1996
5025
-7Source : Banque Mondiale, 1998
La légère reprise amorcée en 1996 a tout juste permis de retrouver le niveau du
début de la décennie. En réalité, au cours des années 1990, le revenu réel par habitant a
diminué. En effet, tandis que le volume de la production stagnait, l’encours de la dette
publique se situait conjointement à un niveau insoutenable (entre 70 et 100 % du PNB
depuis 1989), nécessitant ainsi d’importants remboursements, et la croissance
démographique demeurait forte (2,7 %).
Tableau : PNB/habitant (en dollars US)
1990
PNB/hab
754
Source : DPS, déc. 1997
1991
706
1992
759
1993
666
1994
422
1995
516
1996
552
Ces indications traduisent la réalité d’une économie sénégalaise qui a basculé dans la
pauvreté.
III/ Endettement extérieur et pauvreté au Sénégal
1
Les secteurs de la santé et de l’éducation, les plus sensibles à l’évolution de la population,
sont les plus sévèrement touchés par les mesures d’ajustement structurel. En effet, les dépenses
budgétaires de santé sont inférieures à 1,8 % entre 1980/81 et 1990/91 et pour l’éducation,
seulement 2 % des dépenses sont consacrées à l’achat de matériel didactique et pédagogique.
Depuis 1985, les dépenses de fonctionnement sont, en francs constants, de 25 à 35 % inférieures
à leur niveau de 1980. Tandis que les recettes fiscales restent, durant la période 1985-90, 10 à 17
fois inférieures à leur niveau de 1980, les PAS tendent à faire l’impasse sur le rôle de l’État dans
la redistribution des richesses. En effet, depuis le début des années 1980, la discussion sur une
meilleure répartition des richesses n’est plus d’actualité, supplantée qu’elle est par les PAS.
Avec leur pertinence parfois douteuse, les PAS dictent des coupes franches dans les budgets
sociaux.
La stratégie de la Banque mondiale et du FMI est de favoriser le facteur capital au
détriment du facteur travail (les conditions de vie des populations). Les déflations, les
fermetures d’entreprises, leurs restructurations, leurs privatisations et autres aménagements
permettent un assainissement des finances publiques mais rendent la situation socioéconomique davantage explosive.
L’évaluation des conditions de vie [Banque mondiale, 1994], qui se fonde sur un seuil
alimentaire de 2400 calories par jour et par personne qui constitue la norme officielle de
l’Organisme de Recherches sur l’Alimentation et la Nutrition Africaines (ORANA) et de l’OMS
en matière de maintien du métabolisme de base, donne la distribution spatiale de la pauvreté
au Sénégal (cf. tableau suivant).
Tableau : Distribution régionale de la pauvreté au Sénégal (nombre d’individus, ménages, %)
1Cette
section s’inspire largement de N’Diaye [à paraître].
-8Régions du
Sénégal
Dakar
St-Louis
Diourbel
Thiès
Ziguinchor
Tamba
Kaolack
Louga
Fatick
Kolda
Total
Ménages
pauvres
22.695
10.270
13.732
22.433
17.712
16.296
35.564
21.264
23.902
31.892
215.760
Individus
pauvres
277.320
123.137
152.290
247.535
164.383
170.126
379.890
219.885
261.405
306.826
2 302.797
% ménages
urbains
12,5
10,8
7,9
12,3
22,5
17,1
17,4
14,0
24,6
24,9
13,0
% ménages
ruraux
nd
14,7
22,7
25,8
53,6
44,3
48,3
45,8
46,7
57,1
37,0
% total ménages
pauvres
12,5
13,2
19,1
20,9
37,8
38,9
40,1
40,4
43,9
52,6
32,0
Source : Banque mondiale [1994a : A-13]
Selon le tableau, 32 % des ménages sénégalais vivent dans la pauvreté. La pauvreté
rurale est liée à des causes interdépendantes dont on peut citer une liste non exhaustive :
absence ou faiblesse du revenu monétaire, baisse de l’autoconsommation, difficultés d’accès au
crédit et à la terre, faiblesse de la couverture des services sociaux de base, lourdeur du travail
des femmes, faiblesse du niveau d’instruction, etc. Le revenu moyen rural est 3,5 fois inférieur à
celui du milieu urbain et, de ce fait, entrave toute accumulation qui permettrait d’asseoir des
entreprises génératrices d’excédents agricoles et de revenus. Paradoxalement, les sources de
revenu monétaire des couches pauvres rurales sont issues des activités non agricoles, des
transferts sociaux (solidarité nationale) et de revenus (provenant, par exemple, de membres
familiaux installés dans les pays développés ou dans les centres urbains nationaux). Moins du
tiers de leurs revenus provient de la culture de l’arachide. La paupérisation rurale se manifeste
au niveau communautaire et semble plus aiguë et plus structurelle que son corollaire urbain.
Dans les zones urbaines, la pauvreté présente un autre visage, elle ne se situe plus au
niveau communautaire mais au niveau des individus, des familles et des ménages. Si la
pauvreté urbaine exprime des inégalités qui augurent le plus souvent d’un processus moins
structurel et peut-être réversible, il n’en gagne pas moins du terrain en termes d’ampleur.
En milieu urbain, la pauvreté est localisée dans les ménages de grande taille (12 personnes
contre 7,7 pour les non pauvres à Dakar) dont le chef a bénéficié d’une faible instruction et
exerce une activité précaire aux revenus incertains. À Dakar, seulement 24 % des pauvres –
13 % dans les autres villes – sont salariés et donc, bénéficient de la sécurité sociale
institutionnelle 2.
L’analyse spatiale de la pauvreté met en exergue une disparité entre les zones urbaines
qui regroupent en moyenne 17 % des pauvres et les zones rurales qui dépassent le cap des 40 %.
Parmi les dix régions du Sénégal, six dépassent la moyenne nationale. À part Fatick,
Tambacounda et Ziguinchor qui bénéficient de structures touristiques, les autres régions
(Kaolack, Louga et Kolda) ne tirent leurs revenus que de l’agriculture et dans une moindre
2
Si l’on parle ici de sécurité sociale institutionnelle, c’est qu’une autre forme de sécurité sociale, certes
plus précaire mais non moins utile est parfois mise en place par le biais de réseaux sociaux.
-9-
mesure de la pêche (Kaolack). Ces moyennes cachent d’importantes disparités qu’une analyse
au niveau du département ou du district pourrait mettre en lumière.
IV/ La gestion de la dette
Les ressources empruntées n’ont pas toujours servi à des investissements productifs mais
plutôt soit à financer des consommations ou des équipements publics sans réelle utilité soit à
alimenter la corruption. Une part non négligeable des recettes d’exportations des pays endettés
est transférée tous les ans vers les pays du Nord. Il semble difficile voire inacceptable que les
pays du Tiers monde continuent à payer les intérêts alors que ce prélèvement sur leurs
ressources pèsent lourdement sur leur capacité à investir et sur leurs niveaux de vie. Par
ailleurs, cet endettement excessif a pour conséquence de créer un climat d’incertitude qui
encourage les sorties de capitaux et décourage les arrivées d’investissements directs étrangers
ou le retour des capitaux enfuis. Enfin, l’endettement pose un problème d’équité et de justice
car, ceux qui remboursent (les populations rurales et urbaines) ne sont pas les principaux
bénéficiaires des projets financés par la dette.
Les deux principales mesures de gestion de la dette internationales que sont les
Programmes d’ajustement structurel (PAS) et les rééchelonnements sont nécessaires mais
insuffisantes. À ces deux solutions s’ajoutent la réduction des taux d’intérêt, les rachats de
dettes, les conversions de dettes en actifs réels ou en obligations et les annulations de dettes.
• Les PAS se manifestent par une déflation de la demande intérieure (publique et privée),
une réduction des déficits budgétaires, une amélioration de l’équilibre de la balance des
paiements courants. Pour cela, il faut freiner la progression des salaires de la fonction
publique et assainir la situation financières des entreprises publiques. Parallèlement, par
des mesures fiscales et/ou monétaires, encourager l’épargne intérieure et limiter la
consommation de biens de luxe, généralement importés.
• Les
rééchelonnements
sont
des
aménagements
négociés
des
échéances
de
remboursement. Des délais de grâce sont alors accordés sans que les intérêts ne
continuent de courir.
• Les rachats de dettes “ debt buy backs ”. L’emprunteur rachète la dette en profitant d’une
décote qu’elle subit sur le marché secondaire des dettes. Il évite à l’avenir d’avoir à verser
les intérêts afférents à la dette et à rembourser la totalité du capital emprunté. En
revanche, cet achat s’opère dans des devises car le prêteur souhaite que le
remboursement se fasse dans la monnaie d’emprunt ou tout au moins en monnaie
convertible. C’est l’importance du coût en devises pour le pays endetté qui limite le
nombre de ces rachats. Plus la décote est élevée, moins l’effort demandé à l’emprunteur
est grand. Ainsi, la banque créancière qui récupère de “ l’argent frais ” assainit son bilan
mais subit une perte d’actifs équivalant à la décote.
• Le rachat-conversion en actifs réels “ debt equity swap ”. L’emprunteur échange une
créance contre une participation dans une entreprise publique ou, plus généralement, il
- 10 -
rachète en monnaie locale et, avec la somme reçue, la banque investit dans le pays ou
prend des participations dans des établissements financiers locaux. Cette opération met
en relation une banque, un pays emprunteur et un investisseur.
• Les conversions en obligations “ exit bonds ”. Ce sont des obligations échangées sur la
base d’une décote contre un titre généralement libellé dans la même devise que la dette.
Leur durée est longue, de l’ordre d’une vingtaine d’années. Ces titres sont souvent
négociables c’est-à-dire qu’ils peuvent être vendus librement sans l’accord de l’émetteur à
toute personne morale ou physique désireuse de les acquérir.
• La réduction des intérêts ne s’applique en général que sur les dettes non concessionnelles.
Elle s’opère si les pays du Nord consentent à octroyer des subventions aux banques qui
acceptent de réduire leurs intérêts.
• L’annulation des créances.
Encours de la dette publique extérieure du Sénégal entre 1987 et 1996 en mds FCFA (suite et fin)
- 11 -
Année
Source de la dette
FMI
- dont fonds fiduciaires
Crédits multilatéraux
- BIRD/AID/FIDA
- BEI/FED
- BAD/FAD
- OPEP/BADEA/BID
- BOAD et CEDEAO
Crédits bilatéraux
- Pays de l’OCDE
* dont France
- Pays Arabes
- Autres pays
Crédits commerciaux assurés
Crédits commerciaux non assurés
UNICEF
1987
1988
1989
1990
1991
1992
(1)
74,7
1993
(1)
72
1994
(1)
160,3
91,6
4,2
235
144
30,1
31,6
23,2
6
358
232
147
118
8,6
38,4
11,6
96,4
2
307,7
199,6
33,1
40,3
25,9
8,8
379,9
270,5
167,6
100,1
9,3
33,7
11,2
91,4
0,4
323
216
33,2
40,8
24,1
8,9
222
111
45,2
100
10,4
27,4
10,6
80,6
84,8
316
214
31,8
43
18,5
8,5
209
119
53,6
83
7,1
19
9,4
353
239
32,8
51,6
19,2
10,1
206
116
61,9
80,4
9,6
12,9
3,3
411 448,328
267
5,5
34
32,9
74
95,6
21,9
23,6
14
10,6
204
214,8
129
139
61,6
71,1
63,9
70
11
5,8
18,1
13,2
2,9
2,3
Total partiel I
734
828,9
674
634
660
711
Dette rééchelonnée
- Club de Paris
- Club de Londres
- Autres accords
Dette Air Afrique
154
128
17,8
8,5
22,2
165,1
141,2
11,9
12
21
134
107
11,9
15,1
16,1
133
112
9,4
11,2
12,4
129
104
10
15,4
8,6
Total partiel II
911
1015
824
779
32
49
32
45,1
32
44,7
Total Général
992
1092
901
Source : Direction de la Dette et de l’Investissement, 1997
Dépôt Koweïtien
Intérêt sur solde du compte d’opération
1995
1996
167
163,8
865,4
563,6
70,7
175,9
34,3
20,9
359
146,6
0
192,5
19,9
24,9
3
4
863,7
562,3
61,9
191,8
29,3
18,5
250,1
130,9
0
103
16,2
0,6
1,2
1,7
1018,2
713,7
60,1
200,2
28,2
16
266
135,6
0
114,2
16,2
38,7
0,9
0
750,9
1417
1284
1487,6
146
130
8,8
6,1
3,8
155
145
10
-1,4
288,4
262,9
20
5,5
0,8
348,1
280,8
9,7
57,6
0
345,2
283,6
7,5
54,1
0,3
798
860
907
1706
1632
1833,1
32
44,1
32
40,3
28,2
46,6
29,8
86
59,6
27,7
59,5
26,7
59,5
24,6
855
870
935
1023
1793
1719
1917
(1) Y compris l’encours des arriérés à la fin de l’année
Le poste “ Intérêt sur solde du compte d’opération ” représente la dette à court terme.
Bibliographie sélective
Banque mondiale, 1994, Sénégal : évaluation des conditions de vie, Washington D.C.
Bastable C.F., 1899, On some applications of the theory of international trade, Quaterly Journal of
Economics.
Cairnes J.E., 1874, Some leading principles of political economy newly expounded, Londres.
Chenery H. et Strout A.S., 1966, Foreign economic assistance and economic development,
American Economic Review, Trad. franç. in H. Chenery, 1981, Changement des
structures et politiques de développement, Economica, Paris.
Jarret M.F. et Mahieu R.F., 1991, Ajustement structurel, croissance et répartition : l’exemple de la
Côte-d’Ivoire, Revue du Tiers-Monde, t. XXXII, n° 125, janvier-mars.
M.Kassé (1992) : L’Afrique endettée Edit NEAS-CREA,134p
N’Diaye A., à paraître, Croissance économique ou éradication de la pauvreté : quelles alternatives
entre la croissance économique, l’équité et la stabilité macro-économique au Sénégal ?, Forum
du Tiers-Monde, Dakar.
Raffinot M., 1991, Dette extérieure et ajustement structurel, Edicef/Aupelf, Vanves.
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