Réf : MO61F04 Analyse : L’Afrique face au marché unique,

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Réf : MO61F04
Thématique : La paix et la réconciliation dans certains pays d'Afrique
Analyse : L’Afrique face au marché unique,
leurres et lueurs de la mondialisation du continent noir
1. Comprendre la mondialisation
1.1. Le terme et son contenu
D’entrée de jeu, nous faisons l’économie du débat sur le concept de mondialisation.
Nous utilisons ce terme dans une perspective économiste dominant la plupart des
analyses socio-économiques en vigueur.
Il s’agit de voir la mondialisation actuelle comme une forme de capitalisme de
marché dont le développement pluri-séculaire a atteint un stade d’expansion inédit
dans sa dimension géographique et dans ses ramifications sociales. Il est question,
en d’autres termes, de la constitution "d’un grand marché mondial unique, intégré
et autorégulateur" (Riccardo Petrella, 1997, 9).
L’existence d’un marché mondial unique implique des changements qualitatifs et
quantitatifs importants au niveau de la production, la distribution, les échanges des
biens et des services entre les pays, en réponse aux nouveaux standards et accords
internationaux, à l’extension des marchés et à une plus grande flexibilité, voire à la
quasi disparition des frontières nationales. Ces changements sont actuellement
palpables, entre autres, dans le domaine des technologies de l’information, des
transports et des communications, des médias, ou dans les restructurations et
fusions d’entreprises en cours dans différents pays.
Loin d’être une simple conjoncture économique, l’avènement du marché capitaliste
affiche une haute prétention dogmatique et métaphysique. Il se présente comme
une véritable idéologie fondée sur le postulat selon lequel la libéralisation des
marchés nationaux et mondiaux, la libre circulation des capitaux, des biens et
services et de l'information produiront la croissance économique et le bien-être
humain. En d’autres termes, la mondialisation se conçoit comme un nouveau
paradigme de développement. Dès lors, elle est considérée comme étant la destinée
logique, naturelle et inévitable de l’économie et du monde. La via salutis de
l’humanité. S’y opposer reviendrait à faire acte d’aveuglement et d’inconscience,
voire d’auto-exclusion de l’histoire de l’humanité.
Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que ce projet néo-libéral soit prescrit à
l’intelligentsia africaine, sous la poussée des institutions financières internationales,
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comme remède au naufrage du continent. L’insertion dans le marché mondial leur
est présentée comme une voie d’accès à l’autoroute du bonheur et du bien-être
planétaire, comme la panacée aux maux du continent. La logique à la base de cette
prescription est simple. La banqueroute du continent africain s’explique par le fait
que celui-ci n’est pas inséré (en tout cas pas suffisamment) dans l’économie
mondiale. Le manque de capitaux (étrangers surtout) et la rareté des technologies
nouvelles aggravent cette situation. D’où l’urgence pour l’Afrique de rompre le
cercle vicieux de la pauvreté et de profiter de la prospérité offerte en s’insérant dans
la logique du marché mondial, libre et autorégulateur. Faute de quoi la
marginalisation du continent ne pourra que s’approfondir et sa situation empirer.
1.2. Les acteurs et le mécanisme de la mondialisation
La mondialisation, grande dynamique internationale, a ses acteurs et prédicateurs.
Outre la légion d’intellectuels mis au service de cette idéologie, nous pouvons en
retenir trois catégories principales : le secteur privé, l’Etat et les organisations
internationales, et la société civile.
a) Le secteur privé
Ce secteur constitue le principal moteur du processus de mondialisation. Il en
incarne l’essence et la finalité. Il inclut les compagnies multi- et trans-nationales de
même que les grandes entreprises des pays riches (G8). Telle une toile d’araignée,
ces compagnies contrôlent au niveau mondial les domaines de la
télécommunication, de l’information, des transferts financiers, des transports, du
commerce international et des investissements. Elles pèsent de leur poids sur les
réglementations de nombreux ensembles régionaux, sur les législations du GATT et
de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Il n’est donc pas surprenant que, malgré les crises boursières et financières de l’Asie
ou de l’Amérique latine de la fin du siècle dernier (1998-1999), ces entreprises
deviennent de plus en plus riches et puissantes. Sous l’effet de la concurrence, les
plus faibles disparaissent au profit des plus puissants, entre autres dans les secteurs
de l’automobile, de la banque, de l’aéronautique, de la chimie, du pétrole, ou des
téléphones. Il s’agit d’un secteur principalement contrôlé par les acteurs du Nord,
où les voix du Sud, notamment africaines, y sont très peu perceptibles.
b) Les Etats et les organisations internationales
D’entrée de jeu, il convient de noter que les Etats du Sud n’ont pas le choix face au
processus de mondialisation. Ils y sont poussés, bon gré mal gré, par leurs
homologues du Nord et les sociétés multinationales privées sous le prétexte déjà
évoqué d’accéder au développement. Aussi s’avère-t-il urgent que les Etats
puissent intégrer le plus rapidement possible l’impact et les effets de la globalisation
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dans leurs objectifs de développement afin de définir la place qu’ils doivent occuper
dans ce processus et disposer des outils nécessaires à la conclusion des accords ad
hoc.
Ce faisant, les Etats africains sont confrontés à un paradoxe : il leur faut défendre et
renforcer leur économie nationale tout en s’efforçant d’intégrer leur pays dans la
nouvelle économie globale, c’est-à-dire fondamentalement néo-libérale. Toutefois,
il leur est indispensable de participer aux grands forums et conférences
internationaux sur les effets et la réglementation de la globalisation afin de faire
entendre leur voix, de défendre leurs intérêts dans un espace où a toujours prévalu
la voix des pays riches.
En outre, il convient de noter l’action (combien critiquée et critiquable) des
organisations internationales, comme par exemple la Banque Mondiale, le Fonds
Monétaire International, l’Organisation Mondiale du Commerce dans l’insertion de
l’Afrique au marché global. Ces institutions sont en effet des acteurs clés et
incontournables du processus en cours, notamment en ce qui concerne la
réglementation et la résolution des conflits d’intérêts. Ils sont, en particulier au
travers des programmes d’ajustement structurel, les principaux artisans de
l’adhésion des pays africains à la logique économique en vigueur.
c) La société civile
Considérée au départ comme quantité négligeable, la société civile 1 prend de plus
en plus sa place et affirme clairement son rôle dans le processus actuel de
globalisation. L’épisode du retrait précipité de l’Accord Multilatéral sur les
Investissements (AMI) a mis en lumière ce rôle. Il s’agissait d’un accord rédigé
dans le plus grand secret par les experts de l’OCDE, avec le soutien des Etats-Unis
et des grandes entreprises multinationales, faisant la part belle à la protection des
investissements et des activités des multinationales et, de ce fait, remettant en cause
la souveraineté des Etats. Dénoncé d’abord par les ONG américaines, ensuite par
la société civile européenne, cet accord n’a pu aboutir. La société civile a également
pour tâche de veiller à l’exigence de la bonne gouvernance et de la démocratisation.
2. Les effets de la mondialisation sur les sociétés africaines
2.1. L’insertion de l’Afrique dans l’économie mondiale
D’abord, il convient de dénoncer l’illusion de croire que l’insertion du continent
noir dans la dynamique de la globalisation est une voix de salut. Il s’agit d’une
supercherie. En effet, contrairement à l’oubli ou à la minimisation affichée dans le
1 Nous introduisons ici une distinction entre la société civile d’en haut (proche des institutions dominantes) et la
société civile d’en bas (critique et solidaire des intérêts de la base).
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discours dominant, le continent africain est depuis longtemps intégré au marché
mondial. L’esclavage, insertion mercantile de la population africaine dans le
commerce triangulaire, en a été la première expression. La conférence de Berlin
(1884-1885) et l’occupation coloniale qui s’en est suivie, confirmèrent cet ancrage.
Malheureusement, il ne s’agit pas d’une "insertion réelle et bénéfique", mais plutôt
du début d’un long processus de marginalisation qui repose, entre autres, sur la
division mondiale du travail entre le Nord et le Sud.
Depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, malgré l’évolution des théories
économiques et les profondes transformations intervenues dans le panorama
mondial, l’Afrique reste une terre de rente dans l’imaginaire des décideurs du Nord
(Philippe Hugon, 1999, 21-41). On y investit le moins possible -dans la traite, les
produits agricoles ou les ressources minières et maintenant dans le commerce des
armes-, en vue de plus grands bénéfices. Telle est la part assignée au continent, hier
comme aujourd’hui, dans le fonctionnement du système économique en vigueur.
Dès lors, la question fondamentale n’est pas l’insertion au système mondial en tant
que tel, mais l’examen de la nature et les effets d’une telle insertion. Pour ce qui
concerne l’Afrique, nous pouvons déjà signaler qu’il s’agit d’une intégration
asymétrique et dont les effets réels restent en deçà des promesses de la
mondialisation.
2.2. Les effets de la mondialisation
Nous pouvons retenir, d’un point de vue schématique, quatre types d’effets. Cette
catégorisation n’est en rien hermétique, car les effets d’une catégorie sont parfois
les causes d’autres types d’effets. Il s’agit principalement des secteurs économique,
politique, social et culturel.
a) Du point de vue économique
Comme nous l’avons signalé, il est vivement conseillé aux pays africains d’ouvrir
grandement leurs portes au commerce international, aux investissements étrangers,
aux mouvements de capitaux et de la force de travail dans l’espoir d’accéder ainsi à
la croissance économique et de résoudre nombre des problèmes sociaux. Ceci n’est
pas du tout évident, car la mondialisation produit essentiellement un processus
cumulatif et inégal de croissance et de distribution de richesses. L’idéal d’un
développement au travers du commerce extérieur et de l’investissement étranger est
contredit par les faits, du moins en ce qui concerne les pays africains. Le fardeau de
la dette et ses conséquences sur le devenir des populations africaines sont éloquents
à cet égard.
Si la mondialisation permet aux grandes firmes transnationales d’exploiter, à
l’échelle planétaire et au moindre coût, les ressources et les opportunités, il n’en va
pas de même pour les petits entrepreneurs africains qui, dans la jungle de
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l’économie globalisée, n’ont pas les moyens appropriés pour soutenir la
concurrence. Ils sont aspirés, balayés par la loi du plus fort. En vertu de sa logique
de concurrence et la suppression du protectionnisme, la mondialisation est un
processus de polarisation ou de marginalisation des pays sur base de leur puissance
économique et commerciale. C’est le règne de l’avoir où l’être n’a pas de place. La
compétition actuelle a pour centre de gravité le contrôle des ressources de
l’environnement et de la nature, des technologies de l’espace et de l’information, du
progrès scientifique et du commerce. Il s’agit des domaines où, faute de moyens et
en raison de la division du travail en vigueur, l’Afrique est simplement un acteur de
seconde zone.
b) Le domaine politique
Les institutions politiques constituent le second champ des implications du
processus de mondialisation en Afrique. La mondialisation économique requiert
une mondialisation politique, si pas de droit, au moins une polarisation politique de
fait. "A vin nouveau, outres neuves". Les nouvelles institutions économiques exigent
comme cadre de leur développement, des nouvelles institutions politiques, un autre
modèle de gestion des affaires publiques -au niveau national et international-
favorable à l’esprit du libéralisme. L’Etat africain, déjà fragilisé par nombre des
facteurs endogènes (voir Stephen Smith, La négrologie, pourquoi l’Afrique meurt, 2003),
voit sa souveraineté confisquée et sa sphère d’action réduite au profit de l’entreprise
privée et de la concurrence du marché. L’Etat africain est réduit à assurer
l’existence d’un environnement macro-économique, social et juridique propice au
développement de l’entreprise privée et du marché. En d’autres termes, l’Etat est
instrumentalisé au service du marché dont il est loin de contrôler les rouages.
Les programmes d’ajustement structurel sont, à ce propos, un outil politique
important ayant contribué, dans les années 1980-1990, à la transformation des Etats
africains en agences d’exécution des projets favorables à la mondialisation néo-
libérale. Les concepts de bonne gouvernance, de démocratie, de nouvelle
génération des leaders politiques ou de la prétendue lutte contre la corruption,
trouvent largement leur explication dans ce contexte.
c) Le secteur social
La mondialisation est une véritable machine d’intégration, de polarisation, de
hiérarchisation et surtout d’exclusion sociale. Il y a au cœur de cette dynamique un
réel processus d’appauvrissement et d’exclusion de pans entiers de populations
africaines des dividendes socio-économiques. Nombreux sont ceux qui, en vertu
des exigences de la nouvelle économie, sont projetés dans la précarité de l’emploi
ou le chômage. Les budgets pour les services publics, notamment l’enseignement
et la santé, sont chaque fois revus à la baisse. La mondialisation se présente ici
comme une source de conflits sociaux et politiques.
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