Le style Yang du Taiji quan, une technique de longue vie D`après un

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Le style Yang du Taiji quan, une technique
de longue vie
D’après un essai de Wang Yongjian
Le Taiji quan (太极拳) est un art martial chinois de plus en plus populaire aussi bien
en Chine qu’en occident. Il y a traditionnellement en Chine deux motivations pour pratiquer
un art martial, apprendre à se défendre et rester en bonne santé. Il en est ainsi pour le Taiji
quan comme le montre le sous-titre d’un ouvrage de la sinologue C. Despeux « T’ai-K’i
K’iuan (=Taiji quan) technique de longue vie, technique de combat »1. Aujourd’hui, c’est le
premier aspect qui semble l’emporter. Le parcours de Maître Wang Yuanfang (ci-contre), en
est une illustration.
Maître Wang Yuanfang (ci-contre), qui est célèbre en Chine pour avoir gagné de
nombreux prix dans des compétitions nationales et internationales enseigne le Taiji quan à
Qingdao (province de Shandong) où elle compte de très nombreux élèves. Elle commença à
pratiquer le Taiji quan sous les conseils de mon frère à la suite d’une erreur de transfusion
sanguine pendant une intervention chirurgicale qui faillit lui coûter la vie et qui lui laissa une
santé précaire. Elle ne retrouva une santé normale que grâce au Taiji quan0.
Les origines du Taiji quan
Le mot quan (拳) a le sens de « poing » mais doit être traduit dans le présent contexte
par « art du combat à mains nues ». Le mot Taiji (太极) fait référence au souffle originel
d’où se différencie le Yin (阴) et le Yang (阳), antagonistes mais complémentaires. Il apparaît
pour la première fois dans le livre des mutations , le fameux Yi Jing (易经) de la dynastie des
Zhou (1121-222) : « Il y a dans les mutations le Taiji qui engendre les deux principes
premiers ; les deux principes premiers engendrent les quatres images, les quatres images
engendrent les huit trigrammes ». Nous verrons que ces principes jouent un rôle
prépondérant dans la théorie et la pratique de cet art martial ce qui justifie son appellation.
On reconnaît dans le Taiji quan diverses influences. Des styles d’arts martiaux
antérieurs comme l’art du combat du temple Shaolin2 ; les techniques de combat rapportées
par le général Qi Jiguang3 (1528-1587) de la dynastie Ming (1368 –1644) dans son traité sur
les arts martiaux, en particulier «les 32 formes de boxe longue de l’empereur Taizu ». Des
techniques de Daoyin (导引) qui sont des exercices daoistes de respiration et
d’assouplissement. L’art du Tuna (吐纳纳) c’est-à-dire l’art de rejeter l’ancien et d’absorber
le nouveau (souffle vital) qui est mentionné dans le Zhuangzi, un classique daoiste du IVème
siècle avant J.C. On parlerait aujourd’hui plus volontiers de Qigong (气功, travail du
souffle). Enfin, influence de la théorie des canaux du corps (jingluo, 經絡) de la médecine
traditionnelle chinoise.
Plusieurs versions circulent sur l’origine du Taijiquan1,4. Certains attribuent sa création
à Zhang Sanfeng (张 三丰), une ermite daoiste de la dynastie Song (960-1279) aux multiples
exploits. D’autres prétendent qu’il aurait été transmis depuis la dynastie Tang (618-907) par
Li Daozi (李道子) ou Xu Xuanping (许宣平). Ce dernier l’aurait tenu de Han Gongyue
(韩拱月) qui vivait sous le règne de l’empereur Liang Wu Di (梁武帝) de l’époque des 6
dynasties (265-589), lui-même élève de Cheng Lingxi (程灵洗). Mais force est de constater
qu’il n’y a aucun document historique à l’appui de ces légendes.
Selon les travaux du chercheur Tang Hao la plus ancienne trace attestée du Taiji quan
se situe dans la famille Chen du village de Chenjiagou, district de Wen, dans la province de
Henan. Le Taiji quan aurait été créé par Chen Wangting (陳王庭), un homme qui alliait
vertus civiles et militaires conformément à l’idéal chinois du wenwu (文武). Ses descendants
perpétuèrent le style, qui devint ce qu’on appelle aujourd’hui le Taiji quan de la famille Chen
ou « la forme Chen du Taiji quan » qui a maintenant plus de 300 ans de tradition et qui a
donné plusieurs nouvelles branches.
La plus populaire aujourd’hui est sans doute celle initiée par Yang Luchan (18001873, 楊露禪) qui apprit le Taiji quan à Chenjiagou avec Chen Changxing (1771-1853
﹐陳長興) dans son jeune age. Adulte il retourna sur sa terre natale de Yongnian, province du
Hebei pour transmettre la forme Yang du Taiji quan (杨式太极拳). En effet, Yang Luchan
changea la forme Chen pour la rendre accessible au plus grand nombre. Son fils Yang Jianhou
(1847-1917, 楊健候) et surtout son petit-fils Yang Chengfu (1883-1931, 楊澄甫) apportèrent
eux aussi leur pierre pour faire évoluer le style vers une forme plus facile à pratiquer. Ainsi
dans la forme Yang , les fajing (發勁﹕ jaillissement de la force élaborée , jing 勁 , qu’on
oppose à la force musculaire brute , li 力) sont différents par rapport à la forme originelle, les
sauts, les prises d’appui violentes, les mouvements difficiles ont étés supprimés, toutes les
postures sont décontractées, simples, droites, d’où la popularité dont jouit la forme Yang. Il
faut aussi ajouter que Yang Chengfu fut un inlassable promoteur du Taiji quan qui était
encore quasiment inconnu en Chine au début du XXème siècle.
D’autres branches se sont séparées du Taiji originel, comme la forme Wú (吳) initiée
par Wu Quanyou (1834-1902 ﹐吳全佑), un mandchou natif de Daxing dans la province du
Hebei, la forme Wǔ (武) de Wu Yuxiang (1812-1880 ﹐武寓襄) et la forme Sun de Sun
Lutang (1860-1932 ﹐孫露堂). À cela on peut ajouter le « Taiji de la frappe des 5 étoiles », le
« Taiji du Singe craintif et du Dragon du Wudang », « le Taiji de la secte Chan (secte qui
donna le Zen au japon) »…
La théorie
1. Taiji quan et Qigong
La pratique d’exercices physiques pour écarter les maladies et prolonger la vie a une
longue histoire en Chine. Un médecin célèbre nommé Hua Tuo (華佗) de l’époque des trois
royaumes (222-264) inventa un exercice corporel appelé le « jeu des 5 animaux » (五禽戲) à
vocation prophylactique. Cet exercice consistait à imiter les mouvements du tigre, du daim, de
l’ours, du singe et de l’oiseau. Il fallait coordonner balancements, flexions-extensions,
rotations vers la droite et vers la gauche, sauts
etc., avec la respiration. Il est considéré en
Chine comme une des premières formes de
Qigong et de Neixinggong (travail de circulation
interne) et comme une des racines lointaines du
Taiji quan.
Le Taiji quan est aussi héritier du
Daoyin et du Tuna en raison de la façon
particulière de coordonner les mouvements des
mains, des yeux, du corps et des pieds. Dans cet
art martial, la conscience du corps, la respiration
et les mouvements sont 3 ingrédients inextricablement liés ensemble, ce qui en fait un art à la
fois interne et externe. On entend par « externe » les mouvements du corps visible par un
observateur extérieur et par « interne » ce qui n’est pas habituellement observable de
l’extérieur comme le guidage par la pensée (yi, 意) de la force élaborée (jing﹐ 勁) ou la
respiration. La respiration dans le Taiji quan est abdominale et non pas thoracique, c’est-àdire qu’elle s’effectue, non par une ouverture de la cage thoracique, mais par abaissement du
diaphragme à l’inspiration.
2. Taiji et théorie médicale des canaux
Les canaux du corps jing (longitudinaux, 經) et luo (collatéraux, 絡) forment un réseau
constituant les voies de circulation du souffle vital sanguin (氣血) qui relient les organes
(zang, 臟) et les viscères (fu, 腑) aux membres du corps. Lorsque le souffle vital sanguin ne
circule pas harmonieusement dans les canaux du corps, il faut s’attendre à tomber malade ;
lorsqu’il circule sans entrave, le corps se renforce et les années s’allongent.
L’influence de la théorie des canaux jingluo dans le Taiji quan se manifeste par les
mouvements en spirale, les mouvements d’enroulement comme on enroule un fil de soie très
fréquents dans les enchaînements. Ces mouvements visent à activer la circulation du souffle
interne accumulé dans le champ de cinabre inférieur, le « dantian » (丹田). Les maîtres de
Taiji disent qu’il faut : « mettre en mouvement le souffle par la pensée, pour mettre en
mouvement le corps par le souffle ». C’est à partir de la taille (au centre de laquelle se situe le
dantian) qui sert de pivot qu’on engendre de légers mouvements de rotation, les hanches
droite et gauche les transforment ; de la taille les rotations sont transmises à la colonne
vertébrale, puis en enroulant comme on enroule un fil de soie le mouvement se propage au
corps tout entier ; vers le haut aux poignets et aux épaules, vers le bas aux genoux et aux
chevilles ; enfin après avoir atteint les 4 extrémités il retourne au dantian.
En pratiquant le Taiji quan, les mouvements spiralés que l’on décrit favorisent la
circulation du souffle vital sanguin ﹐ ce qui peut traiter des maladies et préserve la santé.
Pendant la pratique du Taiji quan « il ne faut pas d’immobilité dans le mouvement », c’est-àdire que le mouvement ne doit jamais mourir . Lors de la pratique avec un partenaire, après
avoir atteint ce dernier il faut tourner naturellement en accompagnant le mouvement, c’est-àdire que là non plus le mouvement ne doit pas s’arrêter ; les maîtres de Taiji disent :
« transformer (le mouvement) c’est frapper, frapper c’est transformer ». Ainsi la continuité
dans le Taiji sert un double but maintenir en bonne santé et combattre un adversaire.
3. Taiji et théorie martiale
Les maîtres de Taiji quan ont absorbé et synthétisé l’expérience et la théorie martiale
populaire pour créer leur style de combat. C’est à partir d’une solide base martiale qu’ils ont
développé leur mouvements d’enroulement et de spirales, et énoncer leur principes
stratégiques : « la douceur contient la dureté », « éviter les points forts de l’adversaire et
frapper aux points faibles », « ne pas se dévoiler à l’adversaire mais par contre bien le
connaître », « transformer ses mouvements en fonction de ceux de l’adversaire », « guider le
souffle vital par la pensée », « changer de l’intérieur la force élaborée »...
En ce qui concerne plus particulièrement l’école Yang, Yang Chengfu a édicté 10
principes essentiels à son disciple Chen Weiming : être vide et agile et maintenir l’énergie au
sinciput, rentrer légèrement la poitrine et étirer le dos, relâcher
relâcher la taille, distinguer le « plein »
et le « vide » (cf plus loin), baisser les épaules et laisser tomber les coudes, employer la
pensée et non la force musculaire, relier le haut et le bas, unir l’intérieur et l’extérieur, lier les
mouvements sans interruption,
terruption, rechercher le calme au sein du mouvement. Nous n’entrerons
pas dans les détails des explications de Yang Chengfu. A titre d’exemple, l’explication du
premier principe est la suivante : maintenir l’énergie au sinciput, c’est tenir la tête bien droite,
d
de sorte que la puissance spirituelle soit reliée au sinciput. Mais il ne faut pas employer la
force musculaire, qui raidirait le cou et gênerait la circulation du sang et du souffle. Il faut
avoir l’état mental de spontanéité et d’agilité. Sans l’agilité
l’agilité et le maintien de l’énergie au
sinciput la force vitale ne peut être mise en branle.
Un autre auteur, Chen gong a classifié la force élaborée en 24 formes : la force qui
écoute, la force qui comprend, la force qui évite, la force qui transforme,
transforme, la force qui attire, la
force qui prend, la force qui jaillit, la force qui emprunte, la force qui ouvre, la force qui
ferme, la force qui lève, la force qui enfonce, la force qui pare, la force qui tire en arrière, la
force qui presse en avant, laa force qui repousse, la force qui cueille, la force qui tord vers le
bas, la force du coude, la force de l’épaule, la force longue, la force coupante, la force en
vrille, la force qui transperce le vide. Hormis les trois premiers, ces noms décrivent l’usage
fait de ces forces
La pratique
La pratique du Taiji quan consiste essentiellement en l’exécution d’enchaînements de
mouvements et quelques exercices annexes comme les exercices de « poussée des mains »
avec un partenaire. On choisit de préférence un cadre naturel (un parc, une forêt, une
montagne) afin d’être dans les meilleures conditions pour se laisser imprégner des souffles du
ciel et de la terre, et de l’essence (精) de la végétation.
Les enchaînements ou « taolu » (套路) peuvent varier quelque peu selon les écoles et
même d’un maître à l’autre. En revanche, les principes à observer dans l’exécution des
mouvements sont en général consensuels. L’esprit doit être apaisé par la pensée, le rythme de
la respiration rester naturel, l’axe central se mouvoir de façon posée et détendue, souple et
lente, les mouvements doivent reproduire la forme d’un arc, les cercles être vifs et parfaits, les
courbes complètes et harmonieuses, les « vides » et les « pleins » (c’est-à-dire souvent les
changements d’appuis dans un mouvement) être nets, le pratiquant doit allier dureté et
souplesse, légèreté d’âme et maîtrise de soi.
L’enchaînement le plus répandu de l’école Yang est « l’enchaînement des 108
mouvements.
L’école Yang a aussi un taolu à mains nues plus long de 256 mouvements, un taolu à
l’épée de 66 mouvements, trois taolu de sabre, un taolu de bâton …
Conclusion
Dans ce travail nous avons attaché un soin particulier à la méthode de recherche. En
effet, dans la littérature la plus répandue sur les arts martiaux, les auteurs se copient les uns les
autres sans citer leurs sources, perpétuant nombres d’erreurs invérifiables pour le lecteur non
sinologue. Nous avons pour notre part sélectionner les quelques rares travaux scientifiques qui
nous semblaient les plus sérieux sur le sujet en langue française ou chinoise, et nous n’avons
pas hésité à aller vérifier dans la bibliothèque de l’ERICMA7 certaines sources chinoises
originales très difficile à se procurer même en Chine.
Les maîtres de Taiji quan ont exploité la notion de Taiji et du Yin et du Yang
s’engendrant mutuellement, pour créer cet art martial où domine la continuité symbolisé par
le cercle, figure parfaite n’ayant ni commencement ni fin. Ainsi, mouvement et repos, dureté
et souplesse, avancées et retraites, bonds d'esquive et bonds d'attaque, ouvertures ou
fermetures de garde, tout cela et bien d'autres choses encore doivent se transformer
naturellement et harmonieusement les unes en les autres dans le Taiji cosmique comme dans
le Taiji du corps humain. S’imprégnant quotidiennement de ces principes, l’adepte de Taiji
quan acquiert une plus grande liberté d’adaptation aux différentes situations dans laquelle il
peut se trouver aussi bien dans un combat que dans la vie courante. C’est pourquoi, quelque
soit sa valeur prophylactique, le Taiji quan permet de lutter contre la sénescence dont la
principale caractéristique est la perte de la faculté d’adaptation à son environnement (du point
de vue cognitif mais aussi physiologique, les systèmes naturels de défense de l’organisme
devenant moins efficaces).
Références
[0] Interview de Maître Wang Yuanfang.
[1] C. Despeux, « T’ai-K’i K’iuan (=Taiji quan) technique de longue vie, technique de
combat », Mémoire de l’Institut des Hautes Études Chinoises, Vol. III, (Collège de
France, Paris, 1975).
[2] T. Dufresne et J. Nguyen, « Taijiquan, art martial de la famille Chen, (Budostore, Paris,
1994).
[3] Qi jiguang (戚继光), Jixiaoxinshu (纪效新书) . En chinois.
[4] 中國武術拳械彔(Catalogue des styles de combat à mains nues et avec armes des arts
martiaux chinois) ﹐(人民體育出版社﹐北京﹐1993) 。En chinois.
[5] Fu Weikang, « Traditional chinese medicine and pharmacology », (Foreign languages
press, Beijing, 1985).
[6] Li Zhiyong, « The history of Chinese Qigong», (Henan scientific and technical publishing
house, Henan, 1988). En chinois.
[7] http://www.welcome.to/ericma
[8] http://membres.lycos.fr/lbdn/ericma
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