Médecine
& enfance
octobre 2016
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la population vis-à-vis de l’innovation et
de la recherche ?
PASTEUR AURAIT-IL SURVÉCU À
LARÉGLEMENTATION ACTUELLE?
Paradoxalement, il n’apparaît, à l’inver-
se, aucune judiciarisation des messages
négatifs susceptibles de mettre en dan-
ger la santé publique. Il ne serait cepen-
dant pas absurde de fonder un dossier
sur une perte de chance touchant un pa-
tient non vacciné et qui aurait contracté
une infection évitable par sa vaccina-
tion ou celle de son entourage. Sans al-
ler jusqu’à un tel préjudice, en droit, il
serait envisageable d’engager la respon-
sabilité d’un auteur de publication ou
de propos tenus via des réseaux sociaux
au titre d’une fausse information. La
réelle mesure du préjudice causé par
une telle information trompeuse n’est
pas prise en compte aujourd’hui.
Les médias jouent là un rôle majeur. Il
est démontré dans la littérature médica-
le qu’internet amplifie les messages né-
gatifs en matière de vaccination et tout
particulièrement en France. L’audimat
préfère le spectaculaire à l’explication,
le témoignage individuel et dramatique
aux données de santé publique, le mala-
de en chaise roulante qui attire la com-
passion et les larmes à l’épidémiologiste
sérieux et… ennuyeux. La presse clas-
sique actuelle cherche d’ailleurs mainte-
nant ses thèmes directement dans les
réseaux sociaux et vient en amplifier les
messages négatifs. Or internet donne
accès à une foule d’informations dispa-
rates, souvent tronquées, incomplètes,
spécieuses. On donne par exemple le
nombre brut de SEP après vaccination
hépatite B ou HPV sans dire que le
pourcentage est le même que dans la
population non vaccinée ! On transfor-
me des hasards temporels, des « on-
dit », en preuves apparentes. Les ré-
seaux amplifient les rumeurs, les
« buzz » entraînent l’opinion sur des
messages simples, à la charge émotion-
nelle forte et favorisent les revendica-
tions. Volume et masse des messages
circulant sur les réseaux semblent plus
refléter la vérité qu’un message fondé
sur les preuves mais isolé et perdu au
tréfonds d’un site officiel. De rares mé-
decins, abusant de leur titre, idéologues
convaincus ou en mal de notoriété ou
de profit surfent sur cette vague. La foi
remplace les données objectives, la
science de la communication remplace
la science tout court, les affirmations ja-
mais démontrées fleurissent… Les mili-
tants sont beaucoup plus expérimentés
dans ce domaine que les médecins qui
essayent « juste » de pratiquer leur mé-
tier correctement… Si on demande aux
prescripteurs de vaccins d’être respon-
sables, ce qui est la moindre des choses,
il serait temps de se demander au nom
de quoi l’injonction par certains de « ne
pas faire » serait dénuée de responsabi-
lité lorsqu’elle s’oppose aux faits dé-
montrés scientifiquement.
Les professionnels de santé, du fait des
insuffisances de leur formation dans le
domaine de l’immunologie et de la vac-
cination, ne sont pas suffisamment ar-
més pour répondre à ces affirmations
connectées et négatives. Pour les méde-
cins, une étude récente dans les diffé-
rentes universités françaises ne retrou-
ve que quelques heures d’enseignement
consacrées aux vaccins, disséminées
sur l’ensemble du cursus médical [14].
Pour les autres professionnels, infir-
mières, sages-femmes, pharmaciens, le
constat est encore plus terrible. Pour
tous, la faiblesse de la formation initia-
le laisse la porte ouverte à des sources
non scientifiques. Les mêmes que celles
de leurs propres patients. Elles ont
l’avantage d’être facilement et rapide-
ment accessibles (souvent en tête dans
les moteurs de recherche), elles véhicu-
lent des messages simples, de « bon
sens populaire », à la charge émotion-
nelle importante. A l’inverse, les don-
nées scientifiques sont complexes, font
appel à l’épidémiologie et aux statis-
tiques, ce qui est rébarbatif ; elles sont
de plus en plus souvent en langue an-
glaise et généralement difficiles à obte-
nir (un article complet, « full text », sur
Pubmed coûte plusieurs dizaines de
dollars), mais, surtout, leur analyse né-
cessite du temps que les praticiens
n’ont pas. Le praticien de terrain a be-
soin de synthèses facilement utilisables
dans sa pratique, venant de sources de
confiance.
Ces praticiens ne sont pas aidés, non
plus, par les autorités françaises, qui
sont plus traumatisées que celles
d’autres pays ; affaire du sang contami-
né, gestion des campagnes vaccin hépa-
tite B, grippe pandémique, affaire du
Médiator®, autant de crises sanitaires
qui ont laissé aux agences de santé l’an-
goisse du scandale à venir. Ces chocs
les laissent frileuses pour de véritables
campagnes de promotion grand public
comme celles réalisées dans les pays
anglo-saxons et scandinaves. Au niveau
de ces mêmes autorités de santé, et
beaucoup plus que dans les autres
pays, la psychose du conflit d’intérêts
aggrave cette ambiance, car elle élimi-
ne beaucoup d’experts investis dans la
vaccinologie. De réels abus dans les ca-
deaux faits par l’industrie au corps mé-
dical (et pas seulement aux experts)
ont bien sûr existé et ont représenté de
vrais conflits d’intérêts. La réglementa-
tion a heureusement depuis longtemps
régulé ces dérives de façon drastique et
imposé la transparence. Il reste à trou-
ver une solution pour que les experts,
en particulier les jeunes, tout en restant
parfaitement indépendants, puissent,
pour acquérir et maintenir un niveau
d’expertise suffisant, conserver des
échanges libres (des « liens ») avec ceux
qui font le principal de la recherche et
la totalité du développement et de la
production. Cela implique de pouvoir
participer à des travaux de recherche,
des réunions, en particulier des congrès
internationaux, assurer des formations.
Comment faire autrement ? Le vrai
conflit est celui où il y aurait enrichisse-
ment personnel et non justifié de l’ex-
pert. Les excès de cet encadrement né-
cessaire, la confusion entre liens indé-
pendants et conflits avec dépendance
entraînent, dans les agences décision-
nelles, une véritable pénurie de profes-
sionnels de terrain compétents,
connectés au réel de la recherche ainsi
qu’à celui de la production et de la pra-
tique des vaccins. La réac tivité institu-
tionnelle, déjà bridée par une régle-
mentation tatillonne, en est d’autant
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