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Montagnier rapporte la situation de la décennie précédente : une volonté collective
forcenée (« une armée ») cherchant la causalité virale des cancers.
« Une armée de chercheurs et de techniciens préparait, sous contrat du National Institute
of Health, des litres de réactifs et des milligrammes de rétrovirus de poulet, de souris et de
chat. C'était là une des retombées de l'effort américain lancé sous l'égide de Richard Nixon
pour| démontrer l'origine virale des cancers». (Des Virus et des hommes, 1994, p. 30-31)
Il constate l’échec et les erreurs propagées par les deux plus prestigieuses revues
magazines, en particulier lorsque des contaminants faisaient croire à des causalités virales :
/Il raconte la précipitation à publier des résultats erronés dans le sens souhaité :
« La recherche de rétrovirus impliqués dans les cancers humains s'essoufflait. Combien de
fois de grandes revues| comme Nature ou Science avaient fait état de «la grande
découverte» qui se dégonflait ensuite comme une baudruche : le rétrovirus isolé s'avérait
être un contaminant de laboratoire, un virus de souris en général. Parmi ces fausses
annonces, celle de Robert Gallo en 1977 ne fut pas la moins retentissante. Un virus de
leucémie humaine, le HL23, qu'il crut avoir découvert, se révéla être un mélange de
rétrovirus de singes ! En fait, à la fin des années soixante-dix, la plupart des laboratoires
étaient découragés dans cette recherche et s'étaient reconvertis à l'étude des «oncogènes»,
des gènes qui contrôlent la multiplication cellulaire et qui, mutés ou exprimés à
contretemps, sont à l'origine de beaucoup de cancers. » (Des Virus et des hommes, 1994, p.
35-36).
Montagnier, comme Gallo, persiste quand même dans la recherche de rétrovirus
oncogènes et critique l’incompétence de Gallo en virologie :
« Mon laboratoire n'est pas rentré dans cette course. Nous lui avons préféré la chasse aux
rétrovirus de l'homme. » (Des Virus et des hommes, 1994, p. 36)
À propos de son rival Gallo, il explique en partie ses erreurs (mais pas ses tromperies) ainsi :
« Je concède que bien des points me séparent de Robert Gallo. Cependant, quelque chose
nous unissait, sans que nous le sachions l'un l'autre, durant cette fin des années soixante-dix:
la recherche désespérée et désespérante des rétrovirus associés aux cancers et aux
leucémies de l'homme.
Robert Gallo n'était pas virologiste de formation, mais biochimiste. Il n'entra au club des
rétrovirologistes qu'après la découverte de la transcriptase inverse. Son manque
d'expérience en virologie explique peut-être ses erreurs et les contaminations qui eurent
lieu dans son laboratoire.» (Des Virus et des hommes, 1994, p. 38).
Montagnier témoigne d’une manipulation de Gallo, qui veut confondre le résultat de
l’équipe de Montagnier avec ses propres travaux :
« Dans ma hâte, j'oublie de rédiger le résumé qui doit être publié en tête de l'article. R.
Gallo me propose de l'écrire lui-même. J'accepte pour gagner du temps. Mais ce résumé
tend à inclure notre virus dans la famille des HTLV, alors que le reste de l'article et son titre
indiquent le contraire.
En fait, sans en avoir conscience, nous sommes déjà entrés dans une querelle scientifique
qui ne s'achèvera que plusieurs années plus tard. » (Des Virus et des hommes, 1994, p. 56)
Montagnier insiste sur le conformisme scientifique d’une communauté qui n’accorde de
crédit qu’aux prétentions de Gallo, et un Institut Pasteur qui se préoccupe avant tout de son
prestige pour des raisons pécuniaires. Ainsi, lorsque le 17 mai 1983, Montagnier organise un
séminaire à l'institut Pasteur pour présenter ses travaux à ses collègues, la réaction est
négative :