dOSSIER
page 6 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 8
>>> Francis PAYRE, Henri-Marc BOURBON et
Marc HAEULIN, DR CNRS;
Michèle CROZATIER, CR CNRS;
Alain VINCENT, DR CNRS et David CRIBBS,
Professeur UPS, tous chercheurs
au Centre de Biologie du développement
(CBD, UMR UPS/CNRS).
La mouche drosophile au service de
la génétique du développement
Génomique
Les animaux partagent grosso modo les mêmes gènes du développement. Une
universalité étonnante qui permet d’étudier le développement de l’homme à
travers le prisme de la petite mouche drosophile.
Comment l’information codée dans le génome finit-elle
par donner des organes de forme, de taille et de
fonction aussi précise? Ou, en termes biologiques,
comment passe-t-on du génotype au phénotype? Les
relations entre les processus du développement animal
et de l’évolution sont au centre des interrogations des
biologistes depuis la deuxième moitié du 19esiècle.
Or, ces pionniers se sont vite heurtés à un constat
surprenant. Les gènes de contrôle du développement
semblent en effet universels. Une universalité qui
contraste avec la disparité des tailles et morphologies
des animaux adultes et des complexités des génomes.
Mais qui s’avère aujourd’hui bien utile: elle permet en
effet d’étudier les bases moléculaires du développement
embryonnaire humain, normal ou pathologique en se
basant sur des organismes modèles vertébrés et
invertébrés. Une recherche intégrative qui a connu une
belle montée en puissance. La mouche drosophile s’est
très tôt imposée comme le modèle favori des généticiens,
avec les expériences de T. Morgan (Prix Nobel de
Médecine, 1933). Ce modèle ouvrait la porte à
l’utilisation d’approches génétiques pour comprendre
le développement embryonnaire.
Les recherches menées au Centre de Biologie du
développement se positionnent sur quatre axes:
le premier concerne la diversité de formes, tailles et
positions des muscles squelettiques. Les mécanismes
responsables de cette diversité programmée, qui
comprend un processus extrêmement élaboré de fusion
de cellules individuelles en une fibre musculaire
contractile, sont largement inconnus. Nous étudions
ces mécanismes, avec comme paradigme la formation
d’un muscle dans l’embryon de drosophile. Nous avons
récemment montré que les bases moléculaires de la
réponse immunitaire cellulaire induite par la présence
de parasites étaient déjà présentes dans l’ancêtre
commun aux insectes et aux vertébrés, il y a
600 millions d’années. Au-delà de sa valeur
heuristique, la connaissance des réponses immunitaires
de la drosophile aux parasites naturels est d’intérêt
majeur pour développer de nouveaux moyens de lutte
biologique contre les insectes ravageurs.
Le deuxième axe concerne le développement. Les gènes
homéotiques (au nombre de 8 chez la drosophile) sont
des gènes clefs du développement, responsables de
l’identité des différentes parties du corps. D’abord
identifiés chez la drosophile, ils ont été retrouvés dans
tout le règne animal. Nous étudions depuis de
nombreuses années le gène homéotique proboscipedia
(pb), qui est nécessaire à la formation de pièces buccales
de la drosophile et dont la mutation a pour conséquence
la formation de pattes au lieu du labium. La mutation
de plusieurs composants nous a permis de montrer que
le(s) complexe(s) médiateurs, considérés auparavant
comme des facteurs «généraux», contribuent en réalité
à la spécificité tissulaire d’expression du génome. Par
ailleurs, nos cribles génétiques ont identifié quelques
gènes cibles de cette régulation, dont deux codent pour
des facteurs de croissance cellulaire connus pour leur
capacité à promouvoir la formation de tumeurs chez
les mammifères, lorsque leur expression est dérégulée.
Spectaculaire diversité de formes
Le troisième s’intéresse à la compréhension des
mécanismes régulant la production des cellules
sanguines (hématopoïèse). Nous étudions les
mécanismes de contrôle de l’hématopoïèse et de
l’immunité chez la drosophile, c’est-à-dire, les
mécanismes de reconnaissance et d’élimination
d’organismes pathogènes ou de tissus altérés, des
mécanismes vraisemblablement ancestraux. En parallèle,
nous avons récemment initié une analyse génétique des
réactions immunitaires activées en réponse à une
dérégulation de l’expression génique provoquant la
formation de tumeurs. La drosophile s’impose en effet
comme un modèle d’étude de pathologies humaines, en
particulier grâce à la puissance des cribles d’interactions
génétiques qui peuvent être mis en œuvre.
Enfin, le quatrième axe cherche à comprendre comment à
partir de génomes étonnamment similaires, il existe une
spectaculaire diversité des formes animales. Comment ces
caractères morphologiques sont-ils générés au cours du
développement et quels sont les mécanismes à l’origine de
«l’explosion» de leur diversité au cours de l’évolution?.
L’étude de différentes espèces de drosophiles a conduit à
une nouvelle vision des mécanismes de l’évolution:
l’évolution morphologique repose sur la modification
répétée de seulement quelques gènes clés, déterminant de
nombreux caractères morphologiques. La découverte d’un
de ces gènes, shavenbaby, a permis à l’équipe d’identifier
des protéines contrôlant directement la forme des cellules.
Ces recherches sur la Drosophile doivent permettre de
mieux comprendre les mécanismes moléculaires à la base
des changements de forme des cellules cancéreuses, qui
sont nécessaires à leur prolifération et à l’invasion des
métastases.
>>> Organe hématopoïétique de la drosophile
vu en microscopie co-focale. Les cellules
immatures expriment la GFP (en vert).